"Je n'ai pas vécu la liberté, mais je l'ai écrite sur les murs" (la révolution syrienne)

Souverainisme gazeux sentant la mauvaise gauche

in Chroniques du déni by

Donc une nouvelle revue “de gauche” entend disputer à Onfray le retour de la Nation. Dernier né d’une demi douzaine de revues, think-tanks, instituts et autres machins souverainistes montés par “Le Vent Se Lève”, la Revue Germinal vient de sortir son premier numéro sur “le retour de la Nation”. A force de revenir on pensait que la Nation était déjà bien arrivé mais apparemment non, ce retour là devra, les concepteurs du projet l’espèrent, assurer enfin l’hégémonie culturelle du souverainisme à gauche.

Le problème fondamental de jouer le retour de la Nation pour contrer les méfaits mondialisation est que ce jeu va inévitablement devoir recycler les grands classiques du thème, et se fixer sur des figures classiques incarnant à la fois les exclus de la Nation et les responsables de la mondialisation. Puis, car l’antisémitisme a moins bonne presse que l’islamophobie, ce petit jeu de la Nation contre la Mondialisation va avancer sur deux jambes, une islamophobe ouverte (on sait bien qui détruit la Nation) et un antisémitisme couvert (on sait bien qui finance cette destruction). Autrement dit et en termes plus crus (par le ministre de l’Intérieur en personne): la Nation républicaine doit se défendre contre les communautarismes Hallal et Cacher entretenus par le capitalisme mondial, jusque dans les rayons de supermarché.

C’est ce phénomène précisément qu’on a vu à l’œuvre, lors de la fondation du mouvement de Kuzmanovic, qu’on a observé à la France Insoumise, au Printemps Républicain, chez Onfray, ou dans tout mouvement de gauche, ou prétendument issue de la gauche, qui a joué à ce jeu là.

La nouvelle Revue Germinal n’échappe pas à cette règle. Dès le choix, totalement assumé, de son nom, chargé de l’histoire antisémite et collaborationniste qui exprime clairement sa volonté d’aller plonger dans la pire des auges pour trouver de quoi renouveler la gauche.
Onfray a emprunté « Front Populaire » pour fonder une revue sur le retour de la Nation par le souverainisme populaire; Le Vent Se Lève empruntera « Revue Germinal » à l’extrême droite pour fonder une revue sur le retour de la Nation par le populisme souverain. Les deux mouvements qui n’ont de cesse de clamer la fin du clivage gauche droite se retrouveront à l’extrême droite, comme à chaque fois que ce genre d’exercice a été tenté.

En tout cas la Revue Germinal est déjà pas très loin de chez Onfray, chez son numéro 2 pour être exact, sur MarianneTV, une des innombrables antennes de Stéphane Simon le producteur de webtv fasciste, d’Onfray et numéro 2 de la revue fasciste Front Populaire. C’est sur cette chaine donc, anciennement PolonyTV, anciennement OrwellTV, qu’Antoine Cargoët fondateur et de Laetitia Riss rédac chef de Le Vent Se Lève, annoncent fièrement le lancement de la nouvelle revue de Le Vent Se Lève : la revue Germinal.

Alors oui le titre de la vidéo n’est pas celui là, c’est « rencontre avec l’avant garde du populisme de gauche ». Et puis l’aveu que la Revue Germinal est en fait la revue du Vent Se Lève est jeté un peu comme ça, discrètement, à 2 minutes 12: “on va sortir une revue aussi, ça va s’appeler la Revue Germinal”. La discrétion c’est parce qu’il est probable que Le Vent Se Lève a omis de dire à sa Revue Germinal que Revue Germinal c’était la revue de Le Vent Se Lève. Probable aussi que la Revue Germinal, qui titre son édito “ce que peut la gauche”, n’est pas au courant que le projet de Le Vent Se Lève c’est la fin du clivage gauche-droite et la dissolution de la gauche dans un machin rouge-brun nationalo-populiste contre les élites mondialisées, jusqu’au rejet même du mot gauche et des symboles de gauche, théorisé dans de nombreux textes. Probable enfin que la Revue Germinal ne sait pas qu’à peine lancée elle a déjà fini en interview sur une webTV ultraréactionnaire, produite par l’industrie de propagande fasciste, entre trois interview d’Onfray, quatre d’Asselineau et une de Chouard.

L’histoire des souverainistes de gauche est malheureusement celle d’une éternelle défaite. Arrivés des cimes des grandes écoles avec toute la fougue de l’avant-garde éclairée bourgeoise, qui va expliquer à la vielle gauche que son avenir passe par sa dissolution dans « l’innovation populiste », les souverainistes de gauche se trouvent vite confrontés à une cruelle réalité: la gauche, vielle, jeune ou autre a un gros défaut, elle est de gauche. Donc quand la jeune avant-garde rouge-brune lui explique qu’il faut qu’elle arrête d’être de gauche pour aller serrer la main à Florian Philippot et à Chevènement, dans un grand moment qu’on appellera pas rouge-brun (y’a plus ni rouge ni brun dans le populisme) mais Bleu-Blanc-Rouge-Nation-Souveraine, et bien la gauche résiste.

La Croisée des Chemins Bruns saison 2

C’est cette histoire que nous racontions déjà à l’époque et qui est l’histoire de la France Insoumise.
La France Insoumise représentait le meilleur moment de cette alliance rouge-brune, repeinte en bleu blanc rouge et qui aurait eu ses quartiers à gauche. Le deal était le suivant: les vieux gauchistes historiques auraient tenu l’appareil pendant que les jeunes rouge-bruns leur auraient ramené le peuple, le tout marchant à coup de bleu-blanc-rouge, de préférence nationale, de sorties antisémites contre la mondialisation et raciste contre l’étranger venu voler le pain français.

Ce projet n’a pas marché et, au moment des Européennes et de l’arrivée au pouvoir du fascisme en Italie allié avec le mouvement 5 étoiles, les Insoumis ont explosé sur la question de l’alliance ou de la concurrence avec l’extrême droite. Le mythe disait que les classes populaires étaient devenues fascistes et qu’en jouant sur les mêmes thèmes on pouvait récupérer “le peuple” et conquérir la gauche, la réalité fut que les lieutenants rouges-bruns réclamaient des places sur les listes électorales et que l’alliance avec les fascistes permettait de porter les fascistes au pouvoir.

Djordje Kuzmanovic et François Coq, qui prônaient ouvertement l’alliance, se sont retrouvés exclus de la France Insoumise, au grand dam d’une bonne partie de la base du mouvement et notamment de Le Vent Se Lève, qui rêvait plutôt d’un scénario à l’italienne, en prenant modèle sur le mouvement 5 étoiles (dont il publiait des interview avec les plus hauts responsables en tentant de les repeindre en gauche au lendemain de leur alliance victorieuse avec les fascistes). Ce moment a un peu déboussolé Le Vent Se Lève, qui ne savait plus trop sur quel pied danser. Ils ont toujours été assez fan du mouvement 5 étoiles (détaillé ici par un spécialiste de Carl Schmitt) mais, confronté au réel, les petits souverainistes ne savent plus trop comment se comporter avec l’extrême droite, hésitant comme toujours entre concurrence et alliance.

Un coup Salvini est le tombeur de Merkel, l’auteur de brillants coups politiques qui incarne, dans son courageux rejet des migrants à la mer, la résistance italienne à l’arrogance Franco-Allemande.
La semaine d’avant Salvini est en fait « le fils de Merkel » un méchant donc (c’est un classique de Le Vent Se Leve ils ont absolument besoin de poser l’extrême droite comme héritier du libéralisme allemand pour déterminer si ils sont contre).

L’hégémonie culturelle sera un conseil d’administration de Think-Tank


Enfoncés dans leur désarroi, n’osant pas finalement assumer de franchir le Rubicon qu’ils souhaitent franchir mais pas tout seul, et refroidis par le vent glacial de solitude qui a un temps soufflé sur Kuzmanovic au moment de son départ, les souverainistes de gauche préfèrent pour l’instant rester “de gauche”. Ils ont alors une idée : créer un réseau de pleins d’instituts, revues, think-tanks et autre pour tenter, en saucissonnant la gauche, d’obtenir le graal, l’hégémonie culturelle.

L’architecture mise en place par les petits souverainistes de Le Vent Se Lève est assez bien ficelée.
Il y a donc Le Vent Se Lève, mouvement de plus en plus gazeux, qui se réclame d’environ 500 contributeurs “tous bénévoles” parait-il. On peine un peu à le croire, l’association s’étant récemment doté d’un numéro SIREN qui permet à une association de verser des salaires. Il doit bien y avoir au sommet de la pyramide un peu de hiérarchie qui croque. Le Vent Se Lève est responsable des sites Revue Germinal et Institut Rousseau.

Institut Rousseau qui compte dans ses comités de rédaction et d’administration: Antoine Cargoët, Lenny Benbara fondateurs de Le Vent Se Lève, les autres responsables des principales rubriques de Le Vent Se Lève ou encore Gael Giraud, Chloé Ridel et Thomas Branthôme. Gael Giraud ainsi que Chloé Ridel et Thomas Branthôme, en plus de leur fonction à l’institut Rousseau, se retrouvent tous dans le comité de la Revue Germinal, aux cotés de David Djaiz qui promet avec Branthôme de merveilleuses contributions sur la Nation dans le premier numéro.

Ils en connaissent un rayon sur la Nation, Branthôme et Djaiz, car on les retrouve aussi au conseil scientifique de la fondation ResPublica, la Jérusalem du souverainisme de Chevènement, où l’on peut côtoyer des souverainistes parfaitement de droite et d’extrême droite (genre Chevènement en personne); une demi douzaine de contributeurs de la revue antisémite d’Onfray, compagnons de route du Printemps Républicain ou de chez Kuzmanovic (genre Henri Pena Ruiz, Guillaume Bigot, Coralie Delaume); du géopoliticien conspirationniste pro-Assad et pro-Poutine comme Pierre Conesa; du vieux rouge-brun faux laïc genre Julien Landfried, et, pour boucler la boucle, Antoine Cargoët, fondateur de Le Vent Se Leve et propriétaire du site de la Revue Germinal.

Thomas Branthôme cumule aussi, entre autre, un siège au conseil scientifique d’Intéret-Général, le think tank de la France Insoumise (dont la première note est ironiquement une critique des think-tanks).

A Intérêt-Général on retrouve aussi Stéphanie Roza qui, curieusement se trouve justement être la référence de Le Vent Se Lève en matière d’antiracisme.
Oui car sur les questions « antiracistes »,a Le Vent Se Lève ils n’aiment pas trop s’engager. Racisme, antiracisme, difficile de savoir où se placer. Puis c’est un débat qui ramène des thèmes de gauche. On adore pas. Alors quand Boucaud-Victoire sur MarianneTV pose la question « l’antiracisme est relativement absent de votre travail, aujourd’hui vous vous situez comment là dessus ?» la réponse d’Antoine Cargoët est assez clair:
« – Oui c’est un clivage sur lequel on a tout à perdre, ça doit pas être ça le clivage majoritaire.
– Oui surtout que j’ajouterait que ce clivage là est entretenu précisément parce que les gens mettent une pièce dans la machine médiatique et de la polémique »
ajoute Laetitia Riss qui, plutôt que de se positionner, botte en touche en citant l’entretien de Stéphanie Roza à Le Vent Se Lève. Un entretien qui ne propose rien de très novateur à part fustiger « l’affaire Adama » qui risque de radicaliser l’électeur de droite, mais pose néanmoins une frontière originale entre Mélenchon et les lumières d’un coté, les indigénistes et les anti-vaccins de l’autre.

Enfin dernier machin qui aide à la composition du comité de la Revue Germinal, le think-tank Hémisphère Gauche qui compose une bonne partie du Conseil Scientifique de la Revue Germinal avec au moins quatre membres dont le fondateur Alexandre Ouizille. Hemisphère Gauche assure la promo des propositions du PS Boris Vallaud (qui cherche à se rapprocher de Le Vent Se Lève) et de l’économiste Gabriel Zucman qui, surprise, est l’un des premiers contributeurs de la Revue Germinal. Hémisphère-Gauche c’est aussi, grâce à Nina Karam-Leder dérrière l’organisation du Festival des Idées. Ce qui explique pourquoi on trouvait tellement de rouges-bruns au mètre carré lors de ce rassemblement “de gauche”, dont Le Vent Se Lève était partenaire (avec Alexis Poulin, avec la France Insoumise, avec des souverainistes comme Coralie Delaume, des copains de Montebourg, des “Gilets Jaunes” tout à fait bruns comme François Boulo, les vieux potes de Chouard genre Blondiaux, Thomas Branthôme (qui fait au moins deux ateliers), les vieux antisionistes-pas-antisémites genre Esther Benbassa, Pascal Boniface et Françoise Verges, et évidemment (et surtout) tous les noms qu’on retrouve dans la myriade de conseils d’administration, comité de lecture ou conseil scientifique fondé par Le Vent Se Lève. Il y avait même un “débat” spécial sur les think-tanks comme solution pour la gauche d’après, animé par Nina Karam-Leder avec comme invité entre autre Intéret-Général, Hémisphere Gauche, Institut Rousseau…

Hemisphère-Gauche compte aussi dans ses membres Milo Lévy-Bruhl qui est aussi auteur à Le Vent Se Lève, et qui retrouvera au comité de rédaction de la Revue Germinal Marie Lucas. Elle aussi était officiellement Le Vent Se Lève jusqu’en 2018 en tout cas, mais sera plus sobrement présentée dans la Revue Germinal comme spécialiste en Gramsci. Il semblerait d’ailleurs que malgré le fait que Le Vent Se Lève constitue les murs, le toit, la charpente, la plomberie et les appliques et une bonne partie des meubles du salon de la maison Revue Germinal, Laetitia Riss soit la seule officiellement estampillée Le Vent Se Lève dont elle est rédactrice en chef.

On s’est dit qu’en mettant “de gauche” ça ferait moins peur


Les membres du comité de rédaction de la Revue Germinal, de composition plus universitaire qu’universaliste, sont probablement authentiquement convaincus de reconstruire la gauche, sans avoir bien compris qu’ils étaient la 6eme roue du carrosse souverainiste, carrosse qui passé minuit, a vocation à redevenir une citrouille rouge-brune un peu pourrie, forcée, comme on l’a vu, de choisir entre passer à l’extrême droite ou continuer de se planquer à gauche en attendant le moment où on pourra assumer qu’on y croit pas.

On regardera ainsi avec amusement le titre de l’édito de la Revue Germinal « ce que peut la gauche ». Avec amusement car les auteurs de l’édito qui veulent poser une « alternative » au « populisme de droite » n’ont semble-t-il pas vraiment compris l’objectif des fondateurs de leur propre revue et l’arnaque qu’on leur prépare.

Interrogé par Boucaud Victoire (MarianneTV) sur cette idée de « populisme de gauche » Antoine Cargoët et Laetitia Riss répondent très honnêtement (à 23 min 41)
« KBC – Autre clivage, le clivage gauche droite, je sais que vous vous inscrivez dans un populisme de gauche mais est-ce qu’un populisme de gauche a du sens ? Est-ce que construire un peuple c’est pas construire un peuple en dehors du clivage gauche droite justement ?
AC – Je pense effectivement, Populisme de gauche l’expression a été forgé sans doute parce que le mot populisme faisait peur…
LR – Oui oui c’est ça, Chantal Mouffe le dit d’ailleurs dans son livre, elle dit “de gauche” parce que y’a un moment c’est difficile de revendiquer le populisme donc elle s’est dit je vais mettre de gauche sans forcément…
AC – après pour le dire en deux mots c’est vrai que ça va un peu à l’encontre de l’esprit du truc quoi, voilà si on veut dire les choses clairement. »

L’arnaque est évidente et pourtant, elle continue de séduire certains à gauche, convaincus qu’en faisant du RN on arrivera à convaincre les classes populaires passées à l’extrême droite de revenir à gauche.
De fait les cadeaux fait à l’extrême droite dans l’édito de la Revue Germinal sont nombreux et important. Dès le premier paragraphe on accepte de fustiger « la globalisation socialement, écologiquement et culturellement destructrice ». On aurait cru, de la part d’une telle équipe, qu’elle aurait été capable de réfléchir la problématique culturelle autrement qu’en un délire réactionnaire essentialisé, qui serait menacé par le mélange et les interactions mondialisées. De la même manière les inquiétudes sur les « idéologues réactionnaires (…) qui dénatureront l’identité même de la France qu’ils prétendent défendre ». On aurait pensé la gauche capable d’autres formes de réflexions qu’une resucée sur la dénaturation de l’identité française que la gauche serait censé défendre contre l’idéologie réactionnaire.

On concède aussi aux réactionnaires et identitaires, comme bien souvent dans ce genre de projet le « juste constat de la sécession des élites ». Le problème du renouvellement de la gauche par l’avant-garde éclairée bourgeoise est toujours le même : ce qu’elle ne parvient pas à mettre en place elle le concède à l’extrême droite. Ici le projet de la Revue Germinal, qui singulièrement sur ce coup manque un peu de réflexivité, est d’organiser son premier numéro autour des contributions des grands esprits sur la Nation, puis, au milieu du programme, un chapitre « Gilets Jaunes, témoignages ». Deux gilets jaunes sans nom auront donc l’honneur de témoigner de leurs espoir et de leur engagement, aux côtés des grands esprits de science po ou de l’ENS, qui eux pensent et auront donc le droit d’exister nommément. C’est pour gommer un peu cette caricature que la ligne politique se sent obligée d’accorder à l’extrême droite de faire les bons constats et de poser les bonnes questions, en particulier sur la dénonciation des élites. Se mettre d’accord sur la dénonciation des élites avec l’extrême droite (qui rajoutera “financière mondialisée” derrière “élites”), c’est plus simple que de se mettre en accord avec la gauche sur les rapports de domination, de pouvoir, et de hiérarchie au sein des appareils politico-intellectuels.

Autre cadeau à l’extrême droite offert par l’édito de la Revue Germinal:
« Si la gauche a abandonné les souffrances du peuple aux réactionnaires, c’est faute d’avoir su apporter une réponse à la mondialisation qui progresse depuis quarante ans grâce à l’abaissement généralisé des barrières douanières »
Ici encore on retrouve des classiques bien connus de la gauche réactionnaire sur l’abandon du peuple par la gauche. On notera aussi le fantasme sur la barrière douanière qui rendra de fait cette gauche totalement obsolète face au trumpisme. Trump est en effet tout à fait fasciste et tout à fait sérieux et efficace en termes de barrières douanières. Malheureusement, à reprendre des vielles lunes de la gauche réactionnaire d’il y a 15 ans, on se retrouve vite dépassé face à la force populaire du fascisme. D’autant plus qu’on reste convaincu, dans ces milieux, que la force de conviction populaire du fascisme viendrait uniquement des erreurs de la gauche, sans comprendre ni accepter que le fascisme dispose d’une réelle force de conviction populaire, par et pour lui-même, et qu’il est capable d’être tout à fait conquérant, très loin de l’image de ramasse miette que ces gens lui attribuent.

La ligne de la Revue Germinal insiste beaucoup sur le rôle des institutions intermédiaires, essentielles à nos démocraties qui permettent « d’articuler la pluralité des revendications de justice », d’accompagner les mutations (dont la mutation écologique nécessaire) et de limiter un peu le marché en permettant aux dynamiques sociales de s’exprimer. On comprend bien le raisonnement et l’inscription du projet dans la sociale-démocratie. Par contre on ne comprend pas pourquoi ces institutions intermédiaires devraient forcément être Nationales. La Nation est posée là comme une évidence. On a besoin d’institutions donc on a besoin d’institutions nationales, donc ça serait le rôle de la gauche de porter ça sinon ça serait laissé à l’extrême droite. Pourquoi pas des institutions européennes? des mouvements, partis, syndicats internationaux? Une école émancipatrice européenne? Non, ça sert à rien de rêver, on séduira pas les gens avec de l’utopie à gauche, ce qu’il faut c’est la Nation (Française bien sur, pas Européenne)!

« Si la gauche entend porter la profonde transformation dont nos sociétés ont besoin pour sortir d’un statu quo destructeur et éviter la tentation du nationalisme identitaire, elle doit réinvestir pleinement l’ambition d’une solidarité portée par les institutions de la nation que les mutations engendrées par la mondialisation ont profondément abîmées »
Réinvestir la Nation par la gauche, un grand classique encore, bien amené certes, mais guère différent de ce que proposait Ségolène Royal, Jean Luc Mélenchon et sa clique rouge-brune ou le Printemps Républicain à l’époque où il était encore Gauche Populaire pataugeant dans Ragemag.

Mais la Revue Germinal pense sérieusement faire mieux que les 10 précédents ayant fait exactement la même chose. Ce coup ci, c’est sûr, sur le papier ça ne peut que marcher:
« Plus que le retour des nations qui n’est qu’un effet de perception, la persistance du fait national doit être nettement distinguée des discours identitaires et nationalistes qui s’y attachent. Penser la réalité historique de la nation à partir de la formation des institutions de la démocratie sociale invite donc à penser la nation contre le nationalisme. »

Cette merveilleuse construction théorique est très utile pour comprendre l’idée politique de la démocratie, l’histoire de la modernité et la sociologie de l’émancipation. Par contre, érigée en projet politique “de gauche” en 2020 c’est assez risqué. Surtout quand on n’a pas l’hégémonie culturelle, que la gauche est en miettes, que le fascisme est aux portes du pouvoir (voir derrière la porte) et qu’on décide ainsi d’aller discuter fin du clivage gauche-droite avec les patriotes identitaires et frexiteurs. C’est peut être le moment de rappeler à ces joyeux théoriciens du “retour de la nation contre le nationalisme et la mondialisation” l’existence de ce moment où en France sous état d’urgence on a vu défiler sur les champs Elysée dans la brume des lacrymos, des banderoles Rothschild Bankster et le drapeau Bleu Blanc Rouge d’Hervé Ryssen en une de Paris Match. Peut être que la gauche pourrait avoir, en ces temps et contextes, d’autres ambitions que celles d’aller récupérer des vielles notions émancipatrices d’avant la démocratie sociale et de rêver d’une époque où on pouvait ne pas être d’extrême droite quand on disait “Nation Républicaine”.

Puis, après une lamentation tristement et classiquement réac sur la gentrification, les centres-villes des villages qui se meurent, et les rapports de voisinages et la sexualité soumis aux algorithmes, l’édito reprend un des mantras de la droite de la gauche : la tristesse du prolo blanc. Ainsi face au désastre de la loi du marché et de l’extension des libertés individuelles, l’homme serait victime d’un “refoulé anthropologique” qui, en l’absence d’une Nation fière et forte, le pousserait à créer des communautés et du communautarisme.

« Sur les ruines de l’espace socio-culturel commun, se reforment alors, comme des champignons de petites tribus homogènes, de petits communautarismes rassemblant des individus semblables. » Cette époque bénie où on était tous égaux (entre français) mélangés et parfaitement brassées entre classes sociales (françaises) et tellement heureux et fier d’être français, qu’on avait pas l’idée de se rassembler entre individus semblables. L’extrême droite populiste aurait mieux compris ce phénomène et aurait entrepris de « rassembler la tribu majoritaire, celle de la population blanche périphérique et déclassée, celle des « perdants ». (…) en un communautarisme de la majorité qui prospère sur l’atomisation de la société. »

On renvient encore à cette forme de pensée, convaincue que l’extrême droite est une force passive et le fascisme une évidence naturelle, un « retour du refoulé anthropologique » destiné à arriver inexorablement « un peu plus à chaque élection (…) comme cela s’est produit en 2016 dans la grande démocratie américaine. ».

Cette pensée est ce qui se produit lorsqu’on abandonne l’antifascisme à gauche (que ce soit parce qu’on ne voit pas vraiment le problème avec les fascistes, parce qu’on a peur de prendre des coups, parce qu’on envisage de copier sur les fascistes et de “ne pas leur laisser le terrain”, ou les trois à la fois comme Le Vent Se Lève). L’antifascisme oblige à penser le fascisme un acteur politique et non comme une conséquence naturelle. Le fascisme est capable de mobiliser des foules, d’armer des milices, de tuer et de convaincre des gens de mourir pour lui, évidement de voter et bien plus encore.

Le fascisme est un produit de la modernité, il sait donc parfaitement avoir un discours sur l’injustice, sur le libéralisme, et il peut complètement résoudre des contradictions qui apparaissent absurdes à ceux qui refusent de le comprendre. Il y a plusieurs façons de comprendre Trump. Il y a la façon de base à croire que Trump est une réaction antisystème à la mondialisation. Il y a la façon un peu plus évoluée, qui trouve curieux, quand même, que le vote antisystème anti-élite se porte sur un homme d’affaire milliardaire qui ne paye pas d’impôts. Et puis il y a la façon antifasciste, qui va être obligée de comprendre en profondeur comment et pourquoi Trump a été élu, qu’est-ce qui a motivé ses électeurs et ses partisans, porté sa campagne, dans ses discours, car il fait des discours, dans ses actions, car il agit, dans les symboles et ce qu’il incarne, car il déborde de tellement de symboles que même les Qanons ont du mal à s’y retrouver.

L’électeur de Trump, le petit prolo blanc qui vote Trump, n’est pas un pauvre con victime de la mondialisation. Il est un sujet fasciste pensant et agissant. Autant, et au même titre, que le prolo (blanc ou pas) qui n’a pas voté Trump. Qui a, pensant et agissant, et aussi subissant exactement la même merde, choisi la démocratie plutôt que le fascisme, et que cette gauche est tout à fait prête à abandonner sans états d’âmes. Mais le prolo de gauche est un peu plus exigeant et il lui faut un peu plus que lui agiter du bleu-blanc-rouge sous le nez pour espérer le convaincre.

Le passé du Printemps Républicain comme avenir de la gauche…

L’edito de la Revue Germinal se termine dans le tragique, mais semble-t-il inévitable, aboutissement de toute gauche sociale-démocrate voulant chasser à l’extrême droite, et qui est de devenir, redevenir, et re-re-redevenir éternellement le Printemps Républicain:
“Le socialisme s’est vidé de sa force, de sa raison d’être pour ne plus consister qu’en un ensemble de slogans vides, en une moraline sans caractère. À en croire certains, le plus sage, le plus raisonnable, le plus responsable aurait été d’abandonner la question sociale, trop complexe, trop explosive, et d’assumer une rupture avec les classes populaires face auxquelles on ne pouvait de toute façon plus rien, pour ne plus se faire l’écho que des revendications sociétales, certes légitimes, mais insuffisantes à constituer une politique lorsqu’elles se limitent à la grammaire des droits subjectifs.”

Du Bouvet dans le texte. Avec les grammaires. Mais attention du Bouvet d’il y a dix ans.

« Aussi cherchent-ils désormais à « remettre la gauche d’aplomb, une gauche populaire devant adopter une ligne politique claire: le commun plutôt que les identités, le social avant le sociétal, l’émancipation collective plus que l’extension infinie des droits individuels ». In fine, il s’agit bien évidemment de ramener dans le giron de la gauche un électorat populaire trop facilement abandonné au Front National, quand il n’est pas tout simplement condamné à l’abstention. »
Ca c’était Coralie Delaume dans Causeur en 2012 vantant le projet Gauche Populaire de Bouvet et ses amis.

Encore plus bas que Bouvet, voici du Jérôme Olivier Delb de 2012 :
Il s’agit de renouer avec la « justice sociale », les mesures tant « sociales » que « sociétales » participent de cette idée de justice sociale. Si il y a un clivage naissant entre sociétal et social c’est que peu à peu le premier a supplanté le second alors qu’il s’agit fondamentalement des deux faces d’une même pièce. Cette hégémonie dans le logiciel culturel d’une partie non négligeable de la gauche a tendance à détourner le « politique » de son objectif en transformant son discours et ses actions en une « moraline » rentrant peu à peu en congruence avec la politique antisociale et moraliste de la droite. Là où les logiques de classes sont supplantées par des appartenances culturelles et identitaires, on peut parier que le néolibéralisme produit son œuvre aliénatrice : le visage de l’individu-citoyen s’effaçant sous l’écume du consumérisme et des luttes identitaires…

Tout ce bel édifice de think-tanks, instituts, revues, cumuls des conseils scientifiques souverainistes, populistes, nationaliste rouge-brun et gauche réac n’a, paradoxalement, pas d’autre but que celui de s’effondrer. Soit la gauche continue de se planter, et avoir tissé toute une toile de think-tanks et de revues nationalo-foireuses, pour s’imposer comme l’hégémonie culturelle, ne sert à rien. Soit le rêve de Le Vent Se Lève se réalise, le clivage gauche droite disparaît et donc, avec lui, les appareils de la bourgeoisie intellectuelle de gauche après avoir envoyé pleins de gens à l’extrême droite. A l’image de la France Insoumise revenue aux pires scores électoraux du PS après avoir envoyé des rouges-bruns islamophobes, antisémites, souverainistes et patriotes aux 4 coins de l’extrême droite. A l’image aussi du Printemps Républicain, qui gonfle comme une mauvaise ampoule au pied à chaque poussée raciste dans le pays, puis qui se dégonfle ensuite, et pleure d’être victime de la tenaille identitaire en voyant tous ses copains aller à l’extrême droite rallier les rouges bruns, islamophobes et antisémites (ex-France Insoumise). En fait l’avenir du retour de la nation à gauche, du souverainisme de gauche, du populisme de gauche ou de n’importe quelle marotte d’extrême droite qu’on voudra peindre en gauche est toujours le même : ne servir à rien, se tirer une balle dans le pied ou scier la branche sur laquelle on est assis.

Il y a aussi une troisième solution: la gauche qui renait de ses cendres et balaie en mouvement social et antifascisme cette pâle avant garde bourgeoise qui ne fait que courir derrière l’extrême droite.

Activist, master in History, master in War Studies, spare time freedom researcher, reggae DJ and revolution writer. bloqué par Nadine Morano

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