Une réponse à Aïssam Ait-Yahya: mon Frère, appelle-moi Marianne

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Donc un jour un « salafiste » a toqué à ma porte, et ce fut toi. Je ne sais si ce mot te convient, je mets les guillemets, et tu ne me peux plus me soupçonner de vision policière. Car je t’ai ouvert, tu t’es assis sur mon canapé d’assimilée soumise, laïque et néo-sioniste, et puis tu as parlé. Trente pages, 45 minutes de lecture, une conférence d’une heure à peu près, sans être interrompu. Ce n’est pas l’envie qui m’en manquait, ni celle de te foutre à la porte et de la claquer derrière .

Mais à quoi bon, Aïssam ? Je ne suis pas charcutière de Tourcoing, je suis une petite précaire démocrate insignifiante, sauf si elle refuse de se cacher derrière Gérald.

A quoi bon te faire ce qui t’a déjà été fait, fiché S, perquisitionné, mis au ban de tes propres communautés. Salaf, donc, les seuls réac de France qu’on ne voit pas sur les plateaux télé.

Non j’ai préféré saisir ma chance. Enfin l’un d’entre vous venait me parler. Oui, me parler, certes tu réponds à un homme, mais chez moi. Et toutes ces années, j’avais tellement de choses à te dire, mon Frère ennemi, mais contrairement à d’autres, je savais que cela ne servait à rien de parler dans le vide. Je vis dans une cité avec des hommes comme toi, et je sais comment vous êtes. Les racontars islamophobes me font bien rire, non vous ne frappez pas les apostates, les métèques, les buveuses d’alcool aux bras nus de votre communauté .

Vous détournez la tête, nous n’existons pas, nous sommes déjà en Enfer, et l’on peut bien vous insulter, ou danser une gigue en maillot de bain avec un verre de vin blanc pour vous énerver, si l’on n’a pas à coté de nous Laurent Obertone à qui vous daignerez parler, et bien on n’est pas Zineb El Rhazoui, on est personne, dans nos quartiers.

Bref, tu as fait de moi Quelqu’un, tu as croisé mon regard et tu me liras, car tu sais que d’autres vont lire, qui sont importants pour toi.

Je ne suis pas une intellectuelle, juste une militante de base, je parlerai donc sans savoir, seulement avec le cœur, l’expérience et la rage.

D’abord je sais que tu n’es pas Daech. Tu n’es pas mort sous les décombres d’un immeuble en Syrie, tu n’as pas été abattu ici de douze balles dans le corps, après t’être condamné toi même à être le dernier des salauds, des lâches, et des monstres pathétiques qui se prennent pour des guerriers en tuant des enfants juifs, ou des femmes et des hommes désarmés. Tu as donc beaucoup de chance, finalement. Tu es un rescapé de ces vingt ans atroces, qui depuis le 11 septembre 2001, ont fabriqué des bourreaux aussi laids, aussi dangereux, aussi niais, aussi pervers que le plus dégénéré des néo-nazis. Tu as de la chance, Aissam, et que le sang des victimes te serve à réfléchir. Nous serve à réfléchir

Car tu es responsable de Daech. Autant que moi. Exactement autant. Puisque toi et moi avons au moins cet accord là, nous parlons de « communauté arabo-musulmane », de communauté de Destin, donc. Et bien voilà, Aïssam, je rêvais d’une République Socialiste, tu rêvais d’une sorte de théocratie vertueuse et conquérante, mais à la finale, nous avons échoué et Daech a gagné. Pour l’éternité des temps, notre génération restera associée politiquement à ceux qui ont fait l’Histoire, horrible, insupportable. Nos frères ne nous ont pas écoutés, pas plus toi que moi. Car ce n’est pas à ton rêve de communauté musulmane française qu’ils ont souscrit, seulement à la pulsion destructrice, nihiliste et antisémite. De toi certains disent que tu es un idéologue du djihad, mais non, la preuve, ils l’ont mené sans toi. Contre toi.

Alors qui es tu ? Tu es allé chercher la sociologie pour qualifier Zinedine Gaïd d’opprimé qui souscrit à sa propre oppression. Je te répondrai uniquement par le jugement politique.

Tu es un ignorant, déjà. Ignorant orgueilleux des luttes et des sacrifices qui t’ont créé, toi, l’intellectuel brillant qui parle aussi bien que François Burgat, avec les mêmes références, avec la même forme universitaire. Et qui croit que les issus de l’immigration musulmane sont devenus adultes quand toi tu l’es devenu.

Non, nous le sommes depuis toujours. Depuis la première génération, qui, d’ici, a combattu le colonialisme en ne comptant pas forcément rentrer et être libres dans son pays d’origine. Cette génération t’a donné le début de l’égalité, elle t’a fait humain légalement. Elle était bien des choses, nationaliste,communiste, islamiste, mais surtout, surtout dans son immense majorité, elle était ouvrière et a lutté, en même temps, pour le pain et la liberté. Des bidonvilles et des hôtels meublés, ils se sont levés.

Et puis ensuite, Aïssam, il y a eu la conquête souterraine, ignorée, méprisée de tous, celle de nos droits civils et sociaux. Toutes ces grèves dans les usines, dans les foyers, tous ces combats pour mettre les enfants à l’école de la République et que certains, comme toi, réussissent à s’emparer du savoir de l’Occident, à le faire leur, tant d’années plus tard. Nous ne sommes pas devenus adultes, nous sommes à jamais les enfants des mères femmes de ménage et grévistes de l’hôtel Ibis, des pères sortis manifester dès les années 80 pour qu’on ne nous abatte pas à vue comme des lapins, des sœurs par millions investies dans les associations de soutien scolaire, de solidarité de quartier . Tu es à jamais l’enfant des institutrices, et des éducatrices, et des militantes gauchistes ringardes de manif comme moi, hurlant à s’en briser la voix «  Des papiers pour tous », « Pas de justice, pas de paix », ou «  Du fric pour l’école publique ». Tu es le petit frère des grands, qui ont lutté contre les ravages de l’héroïne et du SIDA qui nous ont frappés bien plus que les franco-français.

Tu viens après. De la génération, qui ayant eu en héritage tous ces droits là, conquis de haute lutte, a eu le privilège de l’ascension culturelle. Ma génération. Ne dis pas non, car tu parles à une précaire qui l’a refusée absolument, cette ascension. Tu as écrit sur le site d’une fille qui n’a pas eu les lumières des plateaux de « Ce Soir ou jamais » comme certaines Indigènes, ni les honneurs du Point comme toi, pour aller y clamer qu’elle est une rebelle et une révolutionnaire. Quand tu parles, tu es repris par une star universitaire, François Burgat, ça n’arrive guère à mes textes publiés sur Lignes de Crêtes, c’est normal, la lutte de classe d’une petite AESH, il s’en bat la race. Et mes textes sur l’antisémitisme, bon bah je te fais pas un dessin, ça ne risque pas, les arabes qui s’intéressent au négationnisme, ça le dépasse ce monsieur là, évidemment. Et privilège des privilèges, tu as même rencontré Alain de Benoist.

Et c’est là que je suis formidablement heureuse que tu m’accordes ce droit, te dire ton fait, frère réactionnaire. A quel moment, toi qui es communautariste, penses tu avoir le droit de faire cela à ta communauté et à notre histoire ?

Tout ça pour ça, Aissam ? Toutes ces luttes qui t’ont donné la liberté de choisir ton destin, de sortir de la masse qui a lutté et est morte pour toi, tu t’en sers pour aller lire  les héritiers de l’OAS, les théoriciens de notre inégalité dans ce pays, ceux qui ont mis en œuvre la fameuse métapolitique, celle qui a permis la conquête de l’hégémonie culturelle de l’extrême-droite, celle qui nous amène à la situation politique actuelle et nous condamne tous et toutes, réac, progressistes, musulmans, un peu, beaucoup avec ou sans voile à ne pas être chez nous dans notre propre pays ?

Et tu viens nous dire, à Zinedine et moi que nous reproduisons notre propre oppression ? Et tu viens te plaindre qu’il te compare à Eric Zemmour ? Mais au fait en quoi est ce une insulte pour toi ? Pas assez intellectuel, peut-être, tu estimes mériter d’être comparé à Alain de Benoist ?

Et c’est nous, les assimilés ? Non, c’est vous. Toi et tous ceux de ta génération qui avez trouvé que l’extrême-droite française était séduisante, brillante et que la gauche était nulle et à jeter aux poubelles de votre histoire. C’est vous qui avez suivi exactement le même chemin que les jeunes franco-français qui, au début des années 2000 se sont découvert une passion pour les racines, l’identité, le retour aux sources de la Tradition, saucisson, pinard et jupes plissées anti-IVG d’un côté , et de l’autre, heu, et bien la même mais sans saucisson et avec oppression.Ton parcours, cher Frère n’a rien d’autonome politiquement, sauf quand tu parles à gauche , c’est à dire quand tu manies brillamment les concepts de « démocratie défaillante », d’ « islamophobie d’état », ou quand tu exiges tes droits d’homme libre.

Sinon, et bien oui tu es Alain de Benoist, puisque cela ne t’insulte pas.

Sauf que les faits sont têtus. Tu es arabe, et minoritaire. Et la République, qui admet Maurras, et Zemmour, et Le Pen, et De Benoist ne te reconnaît pas les mêmes droits, effectivement. Grande découverte, les droits ne s’usent que si on ne les conquiert pas. Et évidemment, essayer de conquérir l’égalité politique antiraciste en étant réactionnaire et arabe, ça ne fonctionne pas. Car la réaction est raciste, et l’eau mouille, surprise, nous ne sommes pas en Arabie Saoudite.

Et face à cela, inutile de dire et redire «  Oui mais les Juifs, eux … ». Inutile de venir pleurer parce qu’après tout, les Juifs orthodoxes de ce pays ont le droit donné par la République de vivre tranquilles, et pas les tiens et toi. C’est une réalité, et qui a son histoire, elle aussi.

Avant cela, les Juifs de ce pays sont passés par un génocide et Vichy, figure-toi. Pour le moment, mon frère, nous avons échappé à cela, pas eux, alors avant de faire du deux poids deux mesures, regarde bien la balance et de quel côté elle penche, question oppression, horreur et souffrance, en France.

Parce que cela aussi, c’est le signe profond de ton assimilation au pire, le symptôme d’une génération conquise comme les franco-français par la logique antisémite, celle qui pousse à regarder du côté des Juifs, tout le temps, la Racine de toute cause. Serge Ayoub et des salafistes ensemble à la Main d’Or , par exemple. C’est cela, l’histoire de courants politiques qui te sont proches, alors bon, après cela viens pas me faire la leçon parce que j’ai porté la main jaune de SOS Racisme, excuse-moi, c’était peut-être très con, mais ça vaut mieux que serrer la main des croix celtiques en croyant qu’elles vont nous libérer.

Tu es intelligent, je ne te demanderai pas d’en avoir quelque chose à foutre des Juifs, juste d’user de ton poids politique pour justement faire que ceux qui t’écoutent n’en aient rien à foutre . Fais le par stratégie. Exige les mêmes droits que les catholiques, un peu d’ambition. Je te le demande , je t’en supplie même, à genoux, s’il le faut, fais ce qui est en ton pouvoir pour arrêter cela, sois l’Original.

Mais enfin ce qui est fait est fait, et je ne vais pas ressasser sur trente pages à quel point tu n’as rien compris, à mes yeux du moins.

Car un jour tu es venu , amené par un camarade avec qui beaucoup de mots horribles et violents ont été échangés par le passé.

Et je t’ai laissé parler car je suis la métèque des Lumières, la fille humiliée par la République qu’elle aime et c’était un défi à moi-même, évidemment. Tu m’as posé une Question, indirectement . Fondamentale pour la suite.

Nous sommes bien dans une démocratie défaillante. Et il y a deux mots dans l’expression. Et je crois au premier comme modèle de société. Je crois profondément à son Geste premier, accorder des droits et se mettre en danger, risquer d’être anéantie par des forces politiques qui rêvent de systèmes où le pouvoir ne serait jamais un vide, seulement une injonction permanente et armée.

Je suis une assimilée de la République, car je crois profondément en celle qui n’a jamais existé , sauf parfois. Lorsqu’elle sait se faire vide et tolérance, lorsqu’elle sait être Laïcité. Lorsqu’elle accorde à ceux qui veulent vivre autrement le droit de le faire. Lorsqu’elle accorde aux citoyens le droit de lui cracher dessus, car la bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe et même si c’est le cas, bon bah elle s’essuie et elle passe à autre chose.

C’est à dire à la défense de ce qui la fait belle et enviable. C’est à dire au service public de l’école, qui alors n’a pas à se préoccuper des écoles privées, car tout le monde veut aller là où ses enfants apprendront le mieux et réussiront ensuite à s’accomplir. C’est à dire les droits sociaux qui garantissent la liberté à ceux qui ne peuvent l’acheter. C’est à dire l’égalité qui te donne le droit de ne pas croiser le regard des femmes sans voile, mais me donne celui de me balader en maillot de bain si ça me chante dans le même quartier et dans le même immeuble. C’est à dire la liberté de conscience et le droit à la défense. Qui se distingue de la liberté d’expression absolue, car celle-là est liberté d’oppression. Et sur Lignes de Crêtes, Eric Zemmour n’aurait pas le droit de parler, toi je t’ai accueilli, pour rétablir la balance , d’une part et parce que tu as respecté , ici, au moins, mes droits de femme et les droits de toutes les minorités.

Et montré que finalement, le meilleur moyen de combattre une partie de  tes idées, pour nous, les prosélytes de la République rêvée, c’est déjà de t’intégrer au débat démocratique.

Tu n’es pas Alain de Benoist, tu n’es pas Eric Zemmour, tu n’es pas Daech, tu es un homme qui doit être libre d’être réactionnaire, s’il le souhaite.

Et moi, je suis celle qui accepte de se faire traiter de soutien des “salafistes” par des imbéciles racistes et mal intentionnés, des paternalistes arrogants qui rêvent de plateaux télé pour défier Zemmour ou De Benoist, mais qui voudraient que moi, la petite arabe, je n’aie pas ce rêve là, défendre la démocratie et la gauche face à ma droite, c’est à dire toi.

L’espace d’un instant, tu as été féministe radical et bien plus que tu ne le crois. Dieu te pardonnera, j’en suis sûre, les islamophobes lui diront que c’était de la Taqya. Moi je te dis merci pour le débat.

PrecairE, antiracistE