"Je n'ai pas vécu la liberté, mais je l'ai écrite sur les murs" (la révolution syrienne)

Pardon Wajdi, pour ces occupations

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C’était un 20 mai 2021, un mois de mai où le ménage de printemps s’imposait. Aérer, ouvrir, ré-ouvrir, en finir avec cette odeur de Covid, avec ces histoires de luttes, de combats sociaux, de convergences. Les théâtres étaient prêts, les artistes trépignaient.

Il restait toutefois quelques intermittents dans les lieux, qui avaient décidé d’occuper des théâtres vides durant le confinement et d’y faire résonner les revendications qui agitaient l’époque, d’organiser les luttes, de rêver convergence. Plus de 100 théâtres furent “occupés” et des Agoras organisées partout en France devant ces théâtres avec une revendication : annulation de la réforme assurance chômage.

C’était une bien belle et bien valeureuse lutte, promise à l’échec comme toutes les luttes du moment, qui méritait d’être saluée, encouragée, applaudit. Wajdi Mouawad, auteur prodigue du théâtre contemporain et directeur d’un théâtre national à Paris, le théâtre de la Colline publie un manifeste à l’attention du public de son théâtre, pour leur expliquer pourquoi il refuse d’ouvrir le théâtre et pourquoi il préfère annuler les représentations afin qu’ils n’aient pas le désagrément de croiser quelques militants dans le hall.

Voici ma réponse d’occupante de ces théâtres, militante, artiste, intermittente ou pour reprendre la définition qu’il fait de nous: une sorte de bactérie humaine, d’infection de ce monde.

Pardon Wajdi.

Pardon, je suis coupable, je suis une grande coupable Wajdi. Je ne t’ai pas donné un grand et beau spectacle, à toi, oh maître des lieux…. pardon, j’ai beaucoup pêché Wajdi.
Tu vois, j’ai moi aussi un faible pour le concept de la culpabilité.

C’est ma faute, c’est ma très grande faute.

Quand on estime avoir fauté Wajdi, comme tu le fais, on parle en son nom. On ne parle pas de soi en disant “Nous” c’est très gênant Wajdi, vraiment.
D’autant qu’il y a eu des lieux où les directions des théâtres n’ont pas été aussi sourdes et aveugles que toi et tu ne peux pas les rayer de ta carte des lamentations d’un trait d’esprit, aussi bien écrit soit-il.

Il existe un bon nombre de salles où les représentations ont lieu et où la direction ne voit pas de souci en la présence de militants dans le théâtre. Il existe des directions sages et courageuses.
Je t’assure on peut très bien vivre ensemble. C’est une question de désir, pas d’intelligence.
Non, Wajdi, tout le monde n’est pas comme toi. Tu n’es pas le Dieu de tous les directeurs et directrices de France.

Je t’ai déçu Wajdi, tu étais aux première loges, disposé à applaudir un produit théâtral novateur, du théâtre révolté, voilà ce que tu attendais, tu aurais voulu de la rentabilité, que cette lutte puisse trouver une façon de se transformer en or, que tu aurais pu monnayer ensuite en concept artistique.
Or, il ne s’agissait que de luttes de précaires, de chômeurs, d’intermittents qui réclamaient plus de justice sociale. Vulgaires. Comme un rayon de supermarché c’est l’image que tu reprends, toi qui t’es pourtant si bien servi dans ce supermarché du malheur.

J’imagine ton effroi à l’évocation des individualités des pauvres, tu la décris assez bien. Ainsi les pauvres ne veulent plus être une masse anonyme, ils veulent aussi être reconnus, comme le notable, l’entrepreneur, l’intellectuel, tu as vu surgir le précaire, le chômeur, l’intermittent et te voilà renvoyé dans tes appartements de nanti.
Ca s’appelle la lutte des classes, certains auteurs en ont fait de très jolis récits, la poésie n’est pas bégueule.

Tu n’aimes pas Molière pour cela, il se moquait des gens comme toi, moi c’est exactement pour cela que je l’aime.

Alors oui cette lutte n’est pas la guerre, évidemment… oui… C’est pas aussi fun que de se faire un apéro en direct de Gaza, pour se consoler de la médiocrité de la lutte en France. Oui, Wajdi t’es un type sympa, oui, oui, oui… c’est ça que tu voulais dire, que t’étais sympa ? Conscient des vraies tragédies de ce monde. A ce moment de ton manifeste soudain tu t’incarnes, tu dis “je” évidemment… et je commence à me demander qui est donc ce directeur de théâtre un peu couillon qui annule les représentations parce qu’il y a 4 jeunes militants dans le théâtre, mignons et doux comme des agneaux en plus.

Nous ne faisons que nous battre sans bombes et sans armes, contre la destruction méthodique de tous nos acquis sociaux, tout l’héritage de la seconde guerre justement. Nous réclamons une protection … mais me voilà en train d’expliquer ce que tu sais très bien déjà et qui visiblement ne t’intéresse pas beaucoup.

Je pourrais nous faire une guirlande de nos échecs, depuis 6 ans, tout n’est qu’échecs à répétition dans toutes les luttes que j’ai mené.
Il n’y a plus de prise, le pouvoir est sourd, isolé, tout semble vain, l’impuissance nous terrasse. Cela ne réjouit personne, certainement pas le plus grand nombre auquel tu voudrais t’adresser. les gens sont gentils en règle général, je crois.

Tu moques notre échec médiatique, alors que toute contestation est étouffée. Tu as un conseil à donner, tu pourrais faire quelque chose d’autre que de tirer sur l’ambulance du haut de ton mirador Wajdi ?

C’est Victor Hugo et Romain Gary, des grands hommes de lettres et de combats, de luttes, d’échecs et de victoires qui parlent assez bien du piège du détachement, chacun à leur façon.
C’est le piège dans lequel tu t’es engouffré Wajdi. A vouloir regarder le monde d’en haut, par réflexe de lâcheté, on en finit par ne plus le voir et le comprendre.

L’homme de théâtre ne peut se permettre cela.

Pour finir, je voudrai souligner une victoire, elles sont si rares. Il s’agit des femmes de chambre de l’Hotel Ibis, qui après 28 mois de luttes ont obtenu gain de cause.
Elles ont gagné ces femmes pauvres, noires, elles ont gagné et les poètes étaient de la fête. Les poètes ne se moquent pas de ces femmes là, ils ne se moquent pas des luttes des plus précaires, non.

Je crois que les poètes ne sont pas contents de toi Wajdi, il va falloir que tu fasse amende honorable.
vas-y, ouvre, redescend, partage, arrête de bouder.

Tu es pardonné.

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