Emmanuel Macron, président libéral élu grâce au front antifasciste a donc choisi, d’autorité présidentielle octroyée par la 5eme république de célébrer le Maréchal Pétain.
Choisir est à vrai dire un bien grand mot, pour un président qui se targue de construire un “récit national”, mais peut, en 24 heures, et dans le cadre d’une semaine mémorielle censée avoir été préparée pendant un an, alterner hommages et relativisation de l’hommage, pendant que son équipe de communication va chercher De Gaulle pour justifier l’éloge de Pétain.
Autorité présidentielle, d’ailleurs, est aussi un bien grand mot, pour celui qui le lendemain de la révélation d’un projet d’attentat de l’extrême-droite contre lui, lui donne des gages pitoyables et dangereux sur l’histoire et la mémoire.
Nous y sommes habitués depuis le début du quinquennat. Celui-ci a commencé par la réception en grandes pompes d’un bourreau autoritaire à Versailles. Image hallucinante d’un président fraîchement élu, après une campagne marquée notamment par les attaques des médias de propagande de Poutine contre lui, le recevant littéralement comme un roi. Presque immédiatement après, Emmanuel Macron entamera une idylle politique tragi-comique avec Donald Trump, autre symbole et référence de toutes les extrême-droite, tragique de par ses conséquences politiques, comique malgré tout, tant le narratif du petit Français qui allait rendre Trump raisonnable et progressiste à coup de poignées de mains viriles relevait du chauvinisme le plus éculé et le plus pitoyable qui soit.
Et c’est bien ce chauvinisme étroit, irrationnel et minable qui est apparu aujourd’hui, chauvinisme de com qui se prétend grand récit apartisan. Celui d’un Président qui se voudrait toujours “en même temps au dessus de la mêlée”, et finit toujours par passer pour un lâche inconséquent, raillé par les fascistes à qui il fait les yeux doux avant de les baisser, honteux, devant les réactions de ceux qui l’ont élu pour faire barrage à ces mêmes fascistes.
Ce gouvernement aura donc, en un an et quelques mois, décidé de commémorer Maurras et puis finalement non. Avant de décider de commémorer Pétain et puis finalement, non, ou alors juste un peu. Et il appelle cela “regarder l’Histoire en face”.
Regardons. Pétain n’a jamais été “un grand soldat”; Pétain n’a jamais été un “soldat”. Pétain a été un haut gradé qui a envoyé des milliers et des milliers d’hommes mourir dans la boue et l’horreur d’une boucherie sans nom.
Croire en son mythe
Mais Pétain a su construire son mythe. Le « vainqueur de Verdun » n’est pas un brillant stratège militaire mais un bon gérant de boucherie qui a su, par ses qualités de logisticien, assurer un flux continu de matériel mais aussi de jeunes gens aillant crever au front jusqu’à épuisement de l'”ennemi”. La “victoire” de Verdun, c’est d’abord cela, un flot de sang continu pour la “Grande Guerre”.
C’est précisément parce que Verdun est une grande boucherie de la première guerre mondiale qu’elle est considérée comme une grande bataille, le besoin de sens créant le mythe. En terme de stratégie militaire, elle n’a rien de “grand”.
Par la suite, fort de ce mythe, Pétain va continuer une illustre carrière. Général en chef des armées Françaises, chargé en 1925 d’aller massacrer les riffains d’Abd el Krim el Khittabi au Maroc aux côtés de Franco, puis chargé de l’organisation de la défense aérienne du territoire, puis ministre de la guerre, Pétain est durant toute l’entre deux guerre un de ces Chefs ayant consciencieusement œuvré à la “bonne préparation” de la France à la seconde guerre mondiale.
C’est en lisant Marc Bloch « L’étrange défaite » qu’on prend conscience de combien le « Plutôt Hitler que le Front Populaire » a joué à plein dans la société de l’entre deux guerre et particulièrement chez les chefs militaires. Difficile de ne pas voir combien le mythe du « grand soldat vainqueur de Verdun » octroyé à Pétain est lié directement avec le mythe du bon père de famille des Français à qui on confie les pleins pouvoirs en 1940.
Et c’est ce mythe du fascisme arrivant comme conséquence hors contexte que Macron souhaite commémorer en célébrant « un grand soldat » ayant fait « des choix funestes par la suite » plutôt qu’un chef militaire ayant consciencieusement construit sa légende grâce à la première boucherie du 20eme siècle, légende qui lui permettra d’être considéré comme le “recours de la patrie” en 1940, lui qui était censée l’avoir sauvée déjà une fois.
Certes, Emmanuel Macron n’est pas le seul responsable du récit politique actuel sur la Première Guerre Mondiale. L’ambiance politique a malheureusement amené à une situation où dans l’ensemble du champ politique, le narratif dominant concernant la Première Guerre Mondiale est celui d’un immense mais magnifique sacrifice collectif pour de nobles idéaux. Et malheur à qui s’avise de contester l’ambiance “fleur au fusil” pour rappeler que les belligérants de cette guerre précise avaient en tête essentiellement le triomphe de leurs ambitions économiques, territoriales, et coloniales et très peu de beaux principes universalistes. Car c’est aussi ça l’histoire de la “victoire” de 1918: la transformation des idéaux et des principes humanistes et universalistes de la Société des Nations en machine à mandat coloniaux.
Le Président de la République honorera le sacrifice de tous les soldats et rappellera le sens de leur combat, qui fut de faire triompher les idéaux de la Nation française sur les démons du nationalisme et de l’impérialisme
Malheureusement, à ne plus oser être progressistes pour complaire au climat général, on finit forcément par sombrer dans l’anti-progressisme.
Le dossier de presse du Ministère à propos du centenaire illustre d’emblée cette vaine tentative de ménager la chèvre et le chou: dès les premières lignes, on trouve cette phrase: “Le Président de la République honorera le sacrifice de tous les soldats et rappellera le sens de leur combat, qui fut de faire triompher les idéaux de la Nation française sur les démons du nationalisme et de l’impérialisme”.
Même en ayant de très vagues connaissances historiques, le non-sens de la formule saute aux yeux. Le nationalisme ne peut être à la fois un “démon” à combattre et la revendication du combat mené, il faut choisir. Et en 1914, la France avait choisi, qu’il s’agisse du nationalisme ou de l’impérialisme. En 1914, la France est un empire colonial, et l’on cherchera en vain en quoi le fait qu’elle se soit engagée dans une guerre mondiale relevait d’un quelconque anti-impérialisme.
Avec ce genre de sornettes absurdes, l’itinérance mémorielle ne pouvait être qu’errance au gré des vents mauvais. Aussi au bout de deux jours, lorsque la droite dure comme l’extrême-droite, comme une partie de l’armée attaque la menée des commémorations par Macron, en estimant qu’elle fait la part trop belle à la paix et pas assez au “sens militaire” de la guerre, la girouette macroniste tourne avec le vent.
Et à la fin de cette séquence hallucinante, faite de zig zags et de perte de contrôle total, Pétain reste un et un seul, maréchal sanglant de bout en bout, militaire d’extrême-droite comme tant d’autres, sa spécificité étant d’avoir gagné le pouvoir suprême et réalisé ses projets. Le Pétain de la “Grande Guerre” n’est certes pas celui de 1940 mais en revanche le Pétain de 40 est bien le “Vainqueur de Verdun”. Le chef d’Etat sous Vichy n’est pas un accident “funeste”, une évolution inexplicable: il y a bien un récit pétainiste qui triomphe en 1940. Un récit construit, avec sa cohérence interne et qui inclut la “victoire” de Verdun. Ce récit naturellement se conjugue avec bien d’autres facteurs pour aboutir à Vichy, mais il n’y est pas une anomalie politique absolue, une contradiction inexplicable et individuelle.
Et ce récit aujourd’hui est encore celui de l’extrême-droite. Raison pour laquelle c’est à elle et à elle seule qu’Emmanuel Macron aura encore une fois donné de la force.
Pour autant, il ne l’aura pas fait seul, car ce récit là n’est contré presque nulle part dans le champ politique, pas même par l’opposition qui se définit désormais comme “populiste de gauche” , mais dit et agit exactement comme Macron.
Un front uni contre le front antifasciste
Quelques jours avant lui, Djordje Kuzmanovic, dirigeant de premier rang de la France Insoumise sommait ainsi Macron à “célébrer la victoire de 1918” dans une tribune, jugeant que le chef de l’Etat faisait dans la “démagogie victimaire” en dénonçant trop vigoureusement une “hécatombe”. Dans cette tribune, Emmanuel Macron était accusé une nouvelle fois d’être au fond l’agent de l’ennemi, de toute façon incapable de comprendre le “patriotisme français”. Bref, une nouvelle fois, la France Insoumise reprochait à Macron de ne pas être assez de droite, pas assez chauvin, pas assez belliciste (contre l’Allemagne), et de toute façon, pas très “français”. Rien d’étonnant, dans la mesure où la France Insoumise n’avait pas hésité au début du quinquennat à défendre immédiatement la fronde de haut gradés de l’armée, soutenus par toute l’extrême-droite.
Immédiatement Macron donnait des gages et transformait son itinérance mémorielle en célébration “du centenaire de la victoire de la France”. Et les propos de Macron sont donc aussi la victoire et la conséquence de l’action politique de tous ceux qui appellent à briser le front antifasciste, chacun avec ses raisons.
La France Insoumise, mais pas seulement. On se souvient aussi de la méprisable bronca du Printemps Républicains et assimilés contre le concert de Black M à Verdun se joignant à l’extrême-droite raciste pour faire annuler cette initiative de François Hollande. Avec succès.
La sociale-démocratie a en effet laissé, elle aussi, advenir en son sein des forces politiques œuvrant à briser le front anti-fasciste, le Printemps Républicain s’appliquant consciencieusement à détruire le front antifasciste pour prôner contre “l’islamofascisme” avec l’extrême droite mais contre les musulmans. La réhabilitation de Pétain à laquelle cède aujourd’hui Macron s’est aussi construite sur la réhabilitation de Maurras et la réédition de Céline que le Printemps Républicain, notamment par la voix de Enthoven enjoignait de ne surtout pas combattre.
Ce qui pousse Macron à céder sans cesse à l’extrême-droite ce n’est pas son libéralisme qui mènerait automatiquement au fascisme mais bel et bien sa faiblesse politique liée au pouvoir de séduction du fascisme sur l’ensemble du champ politique. La croyance que les fascistes sont « une conséquence » plutôt qu’une menace et qu’en leur donnant quelques symboles on pourra les contenter ou s’en servir contre la gauche.
A tel point que Castaner, alors même que ses services viennent de démanteler un projet d’attentat d’extrême droite contre Macron, s’empresse de poser une équivalence politique entre la menace terroriste d’extrême droite et l’ultra gauche.
C’est systématique depuis le début du quinquennat et la cause n’en est pas le front antifasciste qui a fait barrage au FN mais la remise en cause perpétuelle de ce front antifasciste. Les macronistes eux mêmes, dans une posture aussi stupide qu’arrogante, s’empressent de liquider ce front antifasciste qui les a portés au pouvoir mais à qui ils ne souhaitent pas rendre de comptes. Macron fait le pari, pour faire passer ses réformes au plus vite et sans conditions, de liquider systématiquement le front anti-fasciste qui l’a porté au pouvoir, par des cadeaux aux fossoyeurs de la révolution syrienne, par sa politique vis à vis des migrants ou par la réhabilitation des héros d’extrême droite.
Pour les macronistes, admettre le front antifasciste serait admettre qu’ils n’ont pas gagné l’élection seuls. Ce serait admettre que le contrat social n’est pas tout à fait celui d’un mandat total donné aux mesures antisociales et anti-progressistes.
Mais rien, dans l’opposition politique telle qu’elle est rien ne les pousse à admettre quoi que ce soit de ce genre. Bien au contraire, l’anti-macronisme actuel, à bien des égards, est en dehors des mouvements sociaux, dominé par la complaisance avec les nationalismes agressifs, avec l’antisémitisme, avec les dictatures contemporaines.
Macron ne ment sans doute pas tant que ça, lorsqu’il affirme avoir l’impression d’être dans les années 30. En face de lui, depuis son accession au pouvoir, il a bien une étrange alliance, un conglomérat de forces toutes acharnées à ne surtout pas défendre les valeurs antifascistes de la gauche.
En l’absence de Front populaire, rien d’étonnant à ce que la girouette opportuniste estime plus prudent de défendre Pétain, au moins à moitié, face à tous ceux dont il sait qu’ils n’auraient de toute façon jamais défendu Blum contre les fascistes.