"Je n'ai pas vécu la liberté, mais je l'ai écrite sur les murs" (la révolution syrienne)

Terrorisme d’extrême-droite: les faits et les “forcenés”

in Chroniques de la violence brune/Chroniques du déni by

Frederik Limol ne comptera jamais officiellement dans les statistiques du terrorisme, même si ses trois victimes ont eu un hommage national.

Il a pourtant abattu trois gendarmes, dans le cadre d’une résistance armée, manifestement anticipée de longue date, même si l’évènement déclencheur à savoir l’appel à la police effectué par une amie de sa compagne qu’il violentait n’a pas dépendu de lui.

Mais le choix de la date précise du passage à l’acte n’est pas ce qui distingue le terrorisme du simple fait divers non politique. En l’occurrence, il est arrivé dans de nombreux attentats djihadistes que la date soit déterminée par des évènements extérieurs: par exemple, les attentats de Bruxelles ont eu lieu parce que leurs auteurs savaient avoir très peu de temps avant de se faire arrêter par la police qui les avait repérés. Plus globalement, on ne sait souvent pas très bien, dans le cadre d’attentats commis par les « isolés » de Daech, sans ordre explicite de l’organisation, ce qui détermine le jour où ils se décident à tuer.

Il y a d’autres critères qui semblent cependant absents du crime de sang perpétué par Frédérik Limol et qui le distinguent même d’autres terroristes d’extrême-droite. Il n’a  laissé aucun manifeste, et personne ne peut être sûr, en l’état des informations données par le procureur de la République, s’il a agi ou pas en étant préoccupé seulement de motifs qu’il vivait comme personnels au moment du drame.

Le problème politique ne réside donc pas dans le fait que son acte ne soit pas immédiatement qualifié de terroriste par les autorités mais « juste » dans celui que cette hypothèse soit exclue d’office, alors même que le procureur a immédiatement parlé d’un intégriste catholique d’extrême-droite, adepte du « survivalisme ». Double problème, dans la mesure où non seulement, il a abattu sciemment des gendarmes mais également agressé une femme, et il était récidiviste dans ce domaine. Selon le témoignage de sa première épouse et mère d’une fille dont il voulait la garde depuis des années, sa violence sexiste avait débuté en même temps que sa conversion à l’extrémisme d’extrême-droite à tendance apocalyptique.

Or, la haine des femmes, accompagnée de la recherche de leur soumission absolue lorsqu’elles sont des compagnes est un des autres critères politiques constitutifs des tueurs politiques fascistes actuels.Dans un rapport de juin 2020, Europol pointait d’ailleurs spécifiquement le danger de l’émergence de terroristes qui cibleraient des femmes spécifiquement, soit parce qu’elles sont féministes, soient parce qu’elles commettent le crime ultime aux yeux des suprémacistes blancs, se lier avec l’Ennemi des “races inférieures”.

Pour ces raisons, il est donc légitime de creuser l’hypothèse, en gardant à l’esprit qu’elle est possiblement fausse, en partie ou complètement, en ce qui concerne l’acte précis commis par Frédérik Limol avant son suicide.

Commençons justement par la vie avant. Frédérik Limol avait abandonné son entreprise de conseil en informatique, ainsi que son domicile initial, pour venir s’installer dans un village où il avait décidé de devenir élagueur d’arbres. L’homme, d’origine martiniquaise était ingénieur au départ, avait fait Maths Sup et Maths Spé, et entamé une carrière brillante, notamment à l’international.

De nombreux témoignages évoquent sa croyance dans la Fin du Monde imminente, et il s’y était préparé, non seulement en se créant un refuge fortifié en zone rurale, mais également en accumulant un nombre d’armes assez élevé, dont il savait parfaitement se servir, ayant été militaire et s’entraînant régulièrement dans un club de tir. Autre élément significatif, le président de son club de tir est le seul de ceux qui l’ont fréquenté ces dernières années à décrire un homme plutôt aimable et intelligent. Son ex-femme le décrit comme un harceleur dangereux, et des habitants du village racontent, eux, qu’il ne leur parlait pas et qu’il avait par contre été pris d’une crise de colère lors d’un événement public où il avait tiré des coups de feu en l’air. Ce qui au passage ne lui avait valu aucun ennui judiciaire.

Une fois ce portrait dressé, faisons un bond de de quelques quarante ans en arrière, aux Etats-Unis, pour évoquer un autre homme, devenu mythique dans la sphère mondialisée du suprémacisme blanc et de l’accélérationnisme néo-fasciste.

En 1974, Robert Jay Matthews est un jeune activiste intégriste mormon, violemment anticommuniste. Après une condamnation mineure, il décide d’acheter des terres forestières dans l’état de Washington pour y vivre en autarcie avec la famille qu’il fonde peu après. En quelques années, et malgré son désir d’isolement, il se lie avec la mouvance suprémaciste blanche, notamment la National Alliance de William Luther Pierce. Il y découvre l’univers culturel et politique centré autour de la Prophétie apocalyptique des Turner Diaries. Les races inférieures colonisent les Etats Unis, les blancs sont soumis à un Etat fédéral dominé par les Juifs et ne sont pas dignes du destin de leur race. Cependant quelques uns, par une politique de terreur violente peuvent renverser la donne, accélérer l’effondrement d’une civilisation en bout de course en organisant des massacres et la guerre civile. Mais cela nécessite de créer des mini-communautés clandestines ou de devenir un Loup Solitaire indétectable et assassin. Dans ce cadre, les femmes doivent revenir à leur rôle de soutiens des hommes blancs, obéir, et reproduire la race blanche.

Robert Jay Matthews prendra tellement au sérieux les Turner Diaries qu’il donnera le nom de l’organisation terroriste du roman à la sienne. The Order, composé de quelques individus suit exactement les préconisations du roman, notamment commettre des braquages pour financer l’organisation. Et puis, un des membres arrêtés, livre les identités de tous les autres au FBI qui entoure la maison de Robert Jay Matthews, un jour de 1984. Il est armé et prêt à l’assaut auquel il réplique par des tirs pendant un long moment. Avant de se suicider, l’insigne de The Order gravé dans sa poitrine.

Factuellement, The Order aura été un groupe terroriste plutôt anecdotique dans l’histoire du suprémacisme blanc américain, histoire marquée par des tueries perpétuelles souvent massives, des attentats à l’explosif, des meurtres racistes et antisémites prémédités et une violence de haute intensité quasi ininterrompue depuis des dizaines d’années. Factuellement, Robert Jay Matthews n’aura été qu’un leader de groupuscule, sans œuvre politique particulière, totalement façonné par la propagande d’idéologues qu’il n’a fait que tenter de mettre en application.

Pourtant, il est devenu un Mythe fondateur, et l’histoire de sa vie et de sa mort dans un assaut policier est un Récit mille fois imité , au cœur de la formation des jeunes néo-nazis les plus militants. D’autres beaucoup d’autres ne connaissent pas forcément son nom, mais font de son histoire un destin personnel, une quête à atteindre. Par exemple, les Boogaloo Bois américains, qui, sur les réseaux, ne cessent de poster des mèmes où ils ironisent sur l’assaut policier qu’ils attendent avec impatience comme conclusion de leur vie personnelle et politique.

 

Comment un Mythe limité au départ à quelques sphères néo-nazies se propage-t-il ? Il ne s’agit pas uniquement du résultat de la mutation technologique internet, et de sa compréhension par les leaders de l’internationale brune, qui sont un des courants politiques qui l’ont le mieux saisie et utilisée. Il ne s’agit pas seulement de la poussée idéologique et concrète de l’extrême-droite partout en Occident, de la prise du pouvoir par des politiques favorables aux suprémacistes blancs, de la Russie à la Hongrie, en passant par Trump aux Etats Unis.

Cela, c’était la situation avant la pandémie. Celle qui a créé toute une génération de tueurs de masse racistes et antisémites, Breivik puis Tarrant, puis un nombre de soldats perdus du néant fasciste en perpétuelle augmentation. Ceux là ont une démarche politique cohérente, pensée, menée jusqu’à son terme en toute conscience. Trouver une cible, écrire un manifeste, s’assurer les moyens de le diffuser, puis frapper le jour où on le décide. S’inscrire ouvertement dans une généalogie et une communauté militante, faire en sorte que le message politique soit envoyé , à la fois à ses « frères » de race et à la société toute entière.

De fait, la difficulté de la démarche exige une force de conviction et d’organisation que très peu ont avec les mêmes idées. L’immense majorité de ceux qui les partagent se contentent…De les partager et de diffuser des mèmes appelant au meurtre de masse puis au suicide by cops sur les réseaux. Et de mener à côté une vie ordinaire.

C’est ce que tentait de faire Frederik Limol avant la pandémie, manifestement. Créer son petit refuge blanc en attendant la Fin du Monde. Couper du bois, opprimer violemment sa compagne, mépriser les blancs dégénérés de son voisinage au point de tirer des coups de feu en l’air pour leur apprendre la vie, si une occasion de sociabilité se présentait. Affronter sans doute aussi, ce qu’ont mis en avant les sites d’extrême-droite pour tenter de se disculper de toute responsabilité politique, le fait qu’il n’était pas totalement “blanc”, malgré son apparence , car en partie originaire de la Martinique. Dans ces milieux, on est toujours le métèque de quelqu’un.

Mais la Fin du Monde est arrivée et repartie. En France, lors du premier confinement, d’extrême-droite ou pas, collapsologues et survivalistes ont connu leur moment de fusion avec l’histoire en cours. La pandémie a bien commencé comme une immobilisation partielle du monde, et les images des métropoles désertes et terrorisées, comme la totale incapacité des pouvoirs publics à fournir la moindre protection à la population semblaient effectivement correspondre au mythe, tout comme en France la fuite des urbains vers les zones rurales, les heures avant la mise en place du confinement. Des millions d’entre nous ont vécu une mini apocalypse, et parmi ceux qui attendaient la leur depuis longtemps, il y avait ces fascistes comme Limol, qui ont sans nul doute l’impression grisante d’avoir raison depuis le départ et d’être ceux qui s’étaient les mieux préparés.

Cette impression a évidemment été renforcée par l’adhésion massive et extrêmement rapide au conspirationnisme sur la pandémie, dont l’origine politique et pratique se situe bien souvent dans des sphères d’extrême-droite et sectaires. Partout en Europe et aux Etats Unis, lors des manifestations contre les masques ou contre les confinements, les fractions les plus extrêmes et les plus violentes du suprémacisme blanc ont été au minimum acceptées dans des mobilisations de rue puissantes.

Seulement, la Fin du Monde n’a pas eu lieu. Pas de Grand Effondrement, mais une situation chaotique, où cependant le capitalisme continue son grand bonhomme de chemin. Après le premier confinement a suivi un moment, où certes le conspirationnisme et le déni de la pandémie allaient bon train. Mais la plupart des gens qui y adhèrent n’ont cependant absolument pas le désir de créer des communautés néo-nazies ou fascistes en autarcie terroriste …Mais tout simplement de reprendre une vie normale.

Dans ce contexte, les discours omniprésents sur la « dictature sanitaire » comme sur le « complot autoritaire » trouvent certes un écho. Mais les seules mobilisations de rue réelles et massives contre les privations de libertés sont celles du mouvement antiraciste pas du suprémacisme blanc.

Dans ce contexte, mettons-nous quelques moments dans la tête des Frederik Limol, avec leur Fin du Monde avortée, leur certitude de la victoire de la dictature sanitaire mondialisée, et les contraintes de leur vie quotidienne à assumer.

Combien seront-ils à décider de conclure dans les prochains mois, en réalisant le récit inauguré par le terroriste raté Robert Jay Matthews et devenu depuis un mythe extrêmement mobilisateur  Il est absolument impossible de le savoir, en tout cas en France. Aux Etats Unis, même sous la mandature de Trump, la menace terroriste d’extrême-droite a été prise au sérieux et les autorités communiquent précisément sur ces sujets. Au Royaume Uni également.

En France, après le meurtre de trois gendarmes par un homme parfaitement préparé à un assaut policier, le procureur indique immédiatement que l’homme était d’extrême-droite, catholique intégriste et considéré comme dangereux. Cependant, aucune précaution particulière n’a été prise pour intervenir le soir du drame. La dernière commission parlementaire sur l’extrême-droite violente a accouché d’une souris, en l’occurrence des interventions d’experts médiatiques pour répéter que la situation française n’avait rien à voir avec celle du reste de l’Occident, que le nombre de néo-nazis n’avait pas augmenté en vingt ans, et que les tentatives de passage à l’acte meurtrier n’étaient jamais réussies.

Il faut donc chercher parmi les faits divers de ces derniers mois pour répérer la possibilité du phénomène. Par exemple, deux semaines après la fin du confinement, Aurelien C. , admirateur de Brenton Tarrant et de Breivik, mais aussi des écrits de William Luther Pierce, l’auteur des Turner Diaries et inspirateur de Robert Jay Matthews est arrêté en urgence alors qu’il effectue des repérages devant des synagogues. Un raté, Aurélien C. qui a des armes chez lui, mais divague bêtement à propos de son projet sur des groupes publics de réseaux sociaux, ce qui permettra de l’arrêter à temps.

Un raté également, l’homme au blouson de Génération Identitaire d’Avignon dont on ne connaît pas le nom. Celui, qui, le 26 octobre 2020 a d’abord menacé un homme d’ « origine maghrébine », disent les journaux avant de tenter de tirer sur les policiers appelés au vu de la violence de la scène et d’être abattu immédiatement. A vrai dire, il s’en est fallu de peu qu’on sache beaucoup de choses sur cet homme là : en effet, dans un premier temps , l’ « attentat » semblait s’inscrire dans la suite de l’assassinat de Samuel Paty et de l’attentat de Nice. L’information a fait le tour des unes des chaînes d’information…avant que le procureur ne mentionne le blouson de Génération Identitaire, et affirme immédiatement qu’il ne s’agissait pas d’un acte terroriste . La chose étant redevenue un fait divers, nous ne saurons donc jamais rien du déroulé et des raisons exactes du passage à l’acte .

Mais en tout cas, c’est le deuxième individu d’extrême-droite qui meurt en attaquant des forces de police et de gendarmerie en deux mois et Frédéric Limol , lui a réussi à tuer.

Quant aux femmes qui vivent sous la coupe de ces hommes là, nous ne saurons pas combien elles sont. Nous connaîtrons seulement celles qui meurent, où celles qui ne sont pas les seules victimes de ces tueurs. Et cela en dit long sur un gouvernement qui, à propos du terrorisme, comme du sexisme violent ne fait que les hypothèses qui l’arrangent. Celles qui permettent de réaliser partiellement le rêve des terroristes fascistes, pointer du doigt uniquement les musulmans.

PrecairE, antiracistE

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