"Je n'ai pas vécu la liberté, mais je l'ai écrite sur les murs" (la révolution syrienne)

Entretien avec Nicolas Hénin, démocratie, droits humains et djihadistes

in Entretiens by &

Nous avons rencontré Nicolas Hénin quelques jours après le procès de Mehdi Nemmouche, reconnu coupable de l’attentat au Musée Juif de Bruxelles du 24 mai 2014. Nicolas Henin y a témoigné et fait face à celui qui fut son geôlier en Syrie, dans les prisons de Daech

Lignes de Crêtes: Dans ce procès, finalement, Nemmouche a eu un moment de vérité, un seul. Un sourire, inattendu, au rappel d’une « plaisanterie » pendant votre détention. Un moment où il s’est trahi, où il a dit, sans parler: « Oui, j’étais là, oui, c’est moi ».

Nicolas Hénin: Oui, tout à fait. Parce que c’est un joueur, parce que ça lui rappelait des moments trop intimes, trop personnels. Ca lui rappelait un moment agréable, le moment où nous étions son petit jouet et où il se moquait de nous. Et où il était dans la supériorité et dans la provocation permanente vis à vis de nous. Donc il n’a pas pu réprimer son sourire. Juste après son sourire, quand moi j’ai ancré ce moment et dit “ah il sourit, il se souvient”, son visage se fige, il reprend son masque impassible et il me fusille du regard dans le genre « Tu m’as bien eu tu me le paieras ».
On en reparlera quand il sort. Dans quelques décennies, au moins…

LDC: Parlons de ses avocats. Nemmouche a choisi des personnages très particuliers liés aux sphères dieudonnistes d’extrême-droite. Ce choix a-t-il un sens particulier et comment se sont-ils comportés avec toi, lorsque tu as témoigné ?

NH : Le choix des avocats veut dire énormément. Certains djihadistes vont prendre des avocats pour tourner la page, y compris des avocats qui sont considérés comme des ‘djihadologues’, des Martin Pradel, des Bourdon qui ont un peu l’étiquette d’« avocats des djihadistes » mais qui affichent un certain humanisme. Un djihadiste ancré dans la radicalité n’ira pas prendre un avocat humaniste ! A l’inverse, pendant notre captivité, Nemmouche nous parlait déjà de son procès. Il nous avait demandé si on pourrait être parties civiles et avait même au moins une fois parlé du choix de ses avocats. Il avait notamment évoqué la possibilité de prendre Dupont-Moretti…

deux narratifs antisémites se sont affrontés: celui qui dit que Daech a raison d’être antisémite et celui qui dit que Daech est une création du complot Juif/sioniste.

Je m’attendais à ce qu’ils aillent loin dans la disqualification des victimes, loin dans le complotisme, mais ils ont échoué à monter une théorie qui tienne tant soit peu la route. lls m’ont posé trois questions, deux questions cherchant vainement à faire apparaître des contradictions avec d’autres dépositions, et une question bien particulière et très significative: “Etes vous bien l’auteur du livre « La France russe » dans lequel il est affirmé que la Russie de Poutine déploie actuellement en France davantage d’agents de renseignements qu’à l’époque de la guerre froide?” J’ai répondu que c’était un excellent ouvrage dont j’étais bien l’auteur et que je les remerciais de me permettre d’en faire la promotion.

Mais au final ce choix d’avocats est très sain comme processus. Il permet de clarifier les lignes. Par exemple, pour les personnes qui auraient la faiblesse d’esprit d’imaginer que l’extrême droite est un rempart contre le djihadisme et bien nous avons là exposées de façon très concrète et très crue une passerelle et une vraie résonance. Donc ce choix a plutôt rendu service. A court terme c’était un défi. Parce qu’on a eu une ligne de défense choquante pour le public, blessante même pour les victimes et leurs proches. Mais en terme de valeur éducative c’est plutôt positif.

LDC: En effet, de l’extérieur, en lisant la presse, dans ce procès, on a vu surtout d’un côté le silence de Nemmouche qui a eu une stratégie assez semblable à la plupart des mouvances antisémites conspirationnistes. Un côté très Panamza, annoncer en début d’audience la grande révélation qu’il va faire à la fin du procès comme Panamza passe son temps à dire qu’il va faire un article qui va écraser tout le monde dans 15 jours et prouver le complot de manière définitive ; et puis finalement rien, ou les mêmes élucubrations déjà ressassées mille fois. Les avocats de Nemmouche n’ont fait que cela, ressasser de vieilles ficelles éculées du conspirationnisme, des choses vraiment grotesques, comme l’éternelle assertion sur les vidéos truquées, là celle des caméras de vidéo-surveillance du Musée Juif.

NH : Dans mon témoignage, j’ai pu revenir un peu sur les rapports entre les antisémites français et Daech. Comment justement, quelqu’un comme Marc Edouard Nabe, admirateur d’Al-Qaeda a pu être cité et soutenu par Daech dans sa revue francophone, contre Soral, avec qui il polémiquait. Comment deux narratifs antisémites se sont affrontés: celui qui dit que Daech a raison d’être antisémite et celui qui dit que Daech est une création du complot Juif/sioniste.

Finalement Nemmouche se retrouve, avec ses avocats à la jonction de ces deux univers politiques.

Et pour cause: les principales sources de narratif complotistes sont la Russie et l’Iran. C’est pour ça que ces narratifs complotistes sont volontiers anti-djihadistes, de facto parce que beaucoup d’entre eux vont dénigrer soit la réalisation, soit la nature des groupes djihadistes et antisémites parce que c’est l’un des marqueurs communs entre la Russie et l’Iran que d’être volontiers antisémites, mais dans la concurrence avec les djihadistes. Là c’est une variation assez originale parce que nous avons aussi de la chiitophobie dans le tableau.

Mehdi Nemmouche est parti en Syrie avec cette double haine: juifs et chiites. C’est quelque chose dont j’ai retrouvé la trace dans mes dépositions à mon retour de captivité. Mehdi Nemmouche que je connaissais à ce moment là comme Abou Omar avait eu des sorties d’une immense violence contre les chiites que je relate dans cette déposition. Et à son procès, ses avocats vont donc construire cette thèse sur les époux Rivas, d’une part, qui auraient travaillé pour le Mossad, et d’autre part une autre victime dont le père travaillait à l’ambassade de Berlin et aurait fait selon eux, du renseignement et surveillé les milieux chiites. Il ressort dans leur construction délirante, cette double haine des juifs et des chiites. En ce qui me concerne, mes positions anti-Assad sont connues mais ce n’est pas par sectarisme, je n’ai aucune antipathie pour les chiites (rires). D’ailleurs, c’est peut être ce qui fait la différence entre un rebelle syrien et un djihadiste. Le rebelle syrien se bat pour des raisons politiques. Le djihadiste a une part de sectarisme en lui.

LDC :Justement, revenons sur le djihadiste Nemmouche, peux-tu nous parler de ses points communs et de ses particularités vis à d’autres djihadistes au parcours différent. D’abord, l’organisation Daech s’est-elle exprimée en tant que telle sur l’attentat du Musée Juif ?

NH : Il n’y a eu aucune communication officielle de Daech dans la foulée de cet attentat… sauf que ça ne veut rien dire. La politique de revendication de Daech est assez flexible. Tous les attentats, loin de là, n’ont pas été revendiqués, et à l’inverse des attentats ont été revendiqués de façon loufoque. La revendication n’est pas nécessaire pour que l’attentat soit signé Daech. En revanche ce qui a été évoqué au cours du procès, ce sont les tweets des amis de Nemmouche en Syrie qui, le jour de l’attentat, disent « Abou Omar a fumé du juif ». Donc certes, il n’y pas eu de revendication officielle de Daech, mais des revendications de membres de Daech qui s’approprient l’attentat.

Ensuite, Nemmouche est assez atypique même parmi les djihadistes occidentaux que j’ai pu croiser. Il est d’abord excessivement narcissique -j’aurais presque envie de dire “potache” dans son atrocité. Il est parti là bas pour de la déconne. Pour de la déconne pour lui. De la déconne pour se faire plaisir et se mettre en scène. La cause, il s’en foutait. Jamais par exemple, il n’a évoqué Assad avec nous. Il était dans la haine et dans la phobie antisémite, mais de manière non-structurée, personnelle plus que vraiment politisée.

C’est assez atypique, même chez les européens de Daech, ce narcissisme. Et le manque de discipline qui va avec: dans l’islam djihadiste, l’humilité est quelque chose qui est très valorisé. Même si par exemple, des djihadistes anglais comme Jihadi John étaient aussi dans l’affichage et la prétention individuelle, ils étaient quand même beaucoup plus politisés. Nemmouche lui est dans la culture télé, dans un univers idéologique qui m’a paru très informel et égocentré. Il voulait buter du Juif et du chiite. Et la « cause » pour lui est uniquement le moyen d’assouvir ces haines et ce désir de meurtre.

Attention je ne dis pas que l’antisémitisme n’est pas au cœur du djihadisme, y compris parmi les locaux. Un jour, un Syrien de mes geôliers m’a passé son doigt sur l’arête de mon nez et interrogé: « Yahoud ? » Caresser la crête du nez pour essayer de déceler un angle, comme sur les caricatures qui ont inspiré le nazisme… D’une certaine façon, les types de la fachosphère qui fantasment sur ma conversion à l’Islam se comportent un peu de la même manière que ce mec de l’EI.

Mais par exemple, Israël, qui a été mis en cause dans la défense élaborée par les avocats de Nemmouche n’est pas la cible privilégiée des mouvements djihadistes parce que les Palestiniens s’inscrivent surtout dans une lutte nationale. Les palestiniens ont assez peu produit de djihadisme. Il y a quelques cellules de type al-Qaïda dans la bande de Gaza, mais globalement il y a très peu de djihadisme au sens strict en Palestine. Il y en a bien sûr un peu plus parmi les réfugiés, en Jordanie par exemple, mais les Palestiniens ont tendance à être considérés comme des nationalistes. Donc en gros, il va y avoir une utilisation de la cause palestinienne à des fins de propagande pour alimenter le discours victimaire de doubles standards: les musulmans qui sont frappés de partout et vous êtes tous contre l’Islam, la preuve vous soutenez Israël. Mais je pense que le côté nationaliste de la lutte de libération nationale palestinienne entrave la porosité djihadiste qui nie les frontières et revendique l’Oumma.

il aura contribué au délitement du débat, à la propagation de la confusion dans les esprits. Il aura alimenté certains discours victimaires. Il aura continué à faire du mal à la société, y compris pendant son procès.

LDC: Le portrait que tu fais de Nemmouche est très éloigné de la propagande djihadiste. On n’est même pas en face d’un Héros du Mal, de l’image repoussoir mais empreinte d’un certain désintéressement dans la propagation de la mort et de la terreur que nous pouvons avoir des auteurs d’attentat. Il y a une impression de sordide vraiment répugnant et petit dans ce que tu dis de lui.

NH : Je peux avoir du respect pour un ennemi. Cela reste un ennemi: je cherche sa neutralisation. Mais un ennemi peut avoir quelque chose de chevaleresque. C’est presque plus embêtant d’ailleurs parce qu’à détruire, ça va être plus compliqué. Mais Nemmouche n’a rien de tout cela. Il est juste minable et le fait d’ailleurs qu’il persiste à nier et qu’il s’inscrive dans cette espèce de déni de complotisme, qu’il profite du confusionnisme, tout cela confirme combien il est minable. Même s’il a été neutralisé judiciairement, avec sa longue peine, il aura contribué au délitement du débat, à la propagation de la confusion dans les esprits. Il aura alimenté certains discours victimaires. Il aura continué à faire du mal à la société, y compris pendant son procès.

LDC : Qu’est ce que tu veux dire par discours victimaire ?

NH : Les discours victimaires sont l’un des grands carburants de la radicalisation: l’idée, dans le cadre de la radicalisation djihadiste, c’est de dire que les musulmans sunnites sont victimes chez nous de stigmatisation, de racisme, et sont victimes là-bas de pratiques militaires répressives en Syrie et de marginalisation politique en Irak, ce que François Burgat qualifie de « globalisation du ressentiment ». Faire se rapprocher ces deux populations qui en soi sont tellement différentes et dont le rapprochement semble totalement contre-nature : d’une part les petits jeunes deuxième génération, troisième génération qui ont de gros problèmes d’identité, qui ne sont plus arabo-musulmans parce que ça fait trop longtemps qu’ils sont en France, enfin que leur famille est en France mais qui ne sont pas non plus complètement Français parce qu’ils continuent à être regardés comme des Arabes; d’autre part les populations sunnites du Moyen Orient qui sont dans une logique victimaire parce qu’en Irak, ils s’en prennent plein la gueule depuis la chute de Saddam, ou alors qui se font massacrer par Bachar en Syrie. Donc c’est cette grande communauté arabe sunnite victime d’un système oppressif, qui est mise en avant dans le récit djihadiste globalisant. Et évidemment en se présentant comme victime innocente d’un complot, Nemmouche renforce cette idée-là.

Quand j’interviens, dans le cadre de mon travail, auprès de publics qui peuvent être tentés par la radicalisation djihadiste, c’est vraiment l’un des leviers qui fonctionne le mieux. Des gens qui ne voient aucune contradiction entre dire « oui, l’Occident vous êtes contre les musulmans parce que vous avez bombardé les musulmans en Libye et vous les avez laissé se faire massacrer en Syrie. » Tout ça dans le même élan. En gros, que tu interviennes ou que tu n’interviennes pas, tu n’es pas musulman donc tu es coupable. Tu es responsable de la longue histoire du martyr des musulmans. C’est cela qu’il faut déconstruire.

LDC: Malgré cela, ce procès a-t-il été important pour toi et pourquoi ? Qu’apporte le moment judiciaire à une victime de Nemmouche ?

NH : Il y a deux choses qui m’ont donné énormément de force intérieure pendant mon témoignage à Bruxelles. La première chose c’est que le matin-même j’avais reçu un trophée, une prise sur l’ennemi qui m’a été envoyée par un copain journaliste qui était juste avant à Deir er Zor, dans l’Est de la Syrie. Et j’avais donc au fond de la poche, au fond de ma poche à Bruxelles une pièce de 25 fils (centimes) du « Califat ». J’avais une pièce de l’Etat islamique au fond de ma poche pendant que je témoignais !

L’autre chose beaucoup plus sérieuse qui m’a donné du courage et qui m’a motivé pendant cette épreuve de la confrontation, de ma première confrontation avec l’un de mes anciens geôliers depuis ma libération, c’est un message reçu deux jours avant. Un type qui m’écrit et me dit « Il faut quand même que je vous raconte: nous avons une connaissance en commun. Et cette connaissance c’est Mehdi Nemmouche. J’ai fait un petit bout de parcours avec lui, à la fin des années 2000, je l’avais croisé dans le cadre de son parcours pénitentiaire et on avait beaucoup de choses en commun et en particulier, on était tous les deux convaincus de la nécessité du djihad. Au moment où lui est parti en Syrie moi j’avais commencé à douter. Donc je commençais à me poser des questions sur cet engagement djihadiste et je ne suis pas parti, je voulais en savoir plus, enfin, développer ma conviction avant de prendre une décision aussi grave. J’ai appris ensuite ce que Nemmouche a fait et puis j’ai aussi vu vos témoignages, et de savoir ce que Nemmouche a fait, Nemmouche que je connaissais, bien, de très près, m’a confirmé dans l’idée que ce n’était pas la bonne voie. »

Savoir que rien qu’en racontant, sans haine mais sans concession, avec pudeur mais en donnant quand même une certaine image de l’horreur de leurs actions, cela pouvait avoir des vertus éducatives, ça m’a beaucoup aidé.

Je trouve extrêmement gratifiant qu’expliquer, y compris auprès de publics très sensibles, qui éprouvent une certaine sympathie pour les idées de Daech, permette de convaincre certains d’entre eux de l’erreur qu’ils ont pu faire sur la réalité de ce projet. L’autre chose que j’aimerais rajouter, c’est que lors de ce témoignage à la cour d’assises je suis rentré dans un niveau de détail dans la description des sévices, des violences que j’ai subies dans lequel je n’étais jamais rentré auparavant.

J’avais déjà eu l’occasion de faire quelques témoignages dans des documentaires ou dans des conférences et systématiquement le soir après ces témoignages je faisais des cauchemars, parce que me remémorer tout cela avait remué des choses trop fortes et trop douloureuses. Le soir de mon témoignage à la Cour d’assises, alors même que j’avais particulièrement remué ces souvenirs forts et douloureux, j’ai dormi comme un bébé. C’est exactement comme si j’avais traîné jusque là mon fardeau de souvenirs de violences sans parvenir à m’en débarrasser. Le principe de pouvoir le balancer en face du type, en le regardant dans les yeux, en lui disant : « je te rappelle que c’est ça que tu m’a fait » est libérateur. Ce fardeau, je le traînais depuis des années, maintenant ce fardeau c’est lui qui l’a, ce n’est plus moi.

J’avais lu pas mal de choses sur le rôle restaurateur de la justice. En particulier que l’implication des victimes dans la justice est importante pour obtenir réparation, pour les accompagner dans leur « reconstruction ». J’avais beaucoup tendance à considérer que c’était très beau comme principe mais que ça restait de grands principes très idéalistes et très théoriques. En fait, j’ai pu me rendre compte que non. Dans mon cas, ça a marché de façon assez spectaculaire.

LDC : « Sans haine mais sans concession». C’est quelque chose de très important, ce que tu viens de dire là. A un moment où se pose la question des revenants et des revenantes. Tu as pris avec énormément de courage une position à contre courant de l’opinion publique concernant les enfants des djihadistes. Cela t’a valu une campagne de violence infâme de la part de l’extrême-droite et de ses relais, nous en avions parlé ici, et il est sans doute peu utile de revenir sur une telle ignominie qui mérite avant tout le mépris le plus élémentaire.

Mais les revenants adultes, les djihadistes ? Fais tu d’abord une différence entre les femmes et les hommes ?

NH : Il ne faut pas en faire. La seule différence mineure est que les femmes dans le califat n’ont a priori pas commis de violence physique ou très peu, parce qu’elles ne portaient pas d’arme, sauf pour des selfies débiles. A part cela, elles étaient au moins autant ancrées dans l’idéologie, y compris dans sa partie la plus haineuse, que leurs homologues masculins. Et je suis désolé mais c’est aussi par féminisme que j’évite, que je tiens à éviter tout biais de genre. Ce n’est pas parce qu’on est une femme qu’on est davantage victime. La responsabilité ne se définit pas à partir du genre. La seule petite différence, c’est que l’EI avait une doctrine de non-utilisation militaire des femmes sur le terrain levantin. Mais pour commettre des attentats en Occident, il n’y avait pas de souci.

Concernant les revenants il faut un travail de vérité, un travail de justice. Il faut évidemment les rendre responsables de ce qu’ils ont fait mais aussi reconnaître les évolutions dans lesquelles certains d’entre eux sont prêts à s’engager et certains d’entre eux ont déjà bien évolué.

Dans le cadre de mes missions professionnelles, il m’est arrivé de rencontrer des revenants qui sont sur une trajectoire très positive. Ca ne veut pas dire que tout est gagné ! Une re-radicalisation est toujours possible. Et cela ne veut pas dire que tout le monde est sur une trajectoire positive. Certains d’entre eux restent extrêmement ancrés dans une idéologie extrémiste et haineuse. Mais cela ne veut pas dire non plus qu’il faille totalement absoudre ou tout pardonner à ceux qui sont sur le bon chemin. Chacun doit être tenu responsable de ses actes et payer pour ses crimes, et aussi pour ceux qu’ils ont commis envers les populations locales… Mais je n’aime pas partir du principe que quelqu’un est irrécupérable.

On a une fluidité des opinions, une fluidité des positionnements. On ne va pas changer du jour au lendemain. Cette fluidité des opinions garde une certaine latence. Les évolutions restent assez lentes, mais c’est une erreur de dire que parce que à un moment on s’est inscrit dans une idéologie, même la plus atroce que l’on puisse imaginer, même la plus extrémiste, on est irrécupérable. Même Nemmouche qui est un petit peu le symbole de ce que j’abhorre. Même les « Beatles », ces geôliers britanniques qui commis bien pire à mon égard parce qu’ils étaient parmi les principaux instigateurs de ma captivité et parce qu’ils ont assassiné plusieurs de mes copains.

C’est vrai que j’ai du mal à envisager un jour leur retour à la vie normale et une sortie de prison mais, parce que ça reste encore très frais tout ça. Mais il fut jamais désespérer de rien ni de personne. Il faudra du temps. Il faudra énormément de temps. Et pour eux ça sera évidemment du temps en détention, sans doute des décennies, c’est le fonctionnement et le but de la justice. Bien sûr, on peut toujours critiquer la prison. Le principe d’enfermer quelqu’un pour le punir est sans doute malgré tout la moins pire des solutions qu’on ait imaginé. L’alternative au système pénitentiaire, c’est la loi de la jungle, la vengeance personnelle ou les châtiments corporels. En termes de civilisation, je préfère encore la prison.

Cela prendra beaucoup de temps, pour les criminels comme pour les victimes. Mais il ne faut jamais fermer une porte à jamais.

PrecairE, antiracistE

Activist, master in History, master in War Studies, spare time freedom researcher, reggae DJ and revolution writer. bloqué par Nadine Morano

Latest from Entretiens

Go to Top