Ni de droite, ni d’extrême-droite

in Chroniques de la violence brune by

Après l’échec du barrage de la gauche au premier tour de la présidentielle, nous avons été nombreux à appeler à faire barrage à nouveau – contre Marine Le Pen, évidemment. Un certain nombre d’électeurs de gauche ont refusé un tel barrage, lui préférant l’abstention ou, pour une partie d’entre eux, un vote pour Marine Le Pen. Le clivage entre ces deux pôles tient à une double méprise.

D’une part, un électorat abstentionniste qui n’a pas réellement pris la mesure de la violence du programme du Rassemblement National, dont chacune des mesures annonce un déferlement de violence de classe, de race et de genre. D’autre part, une part de l’électorat qui appelle au vote pour Macron sans avoir réellement pris la mesure de la violence du quinquennat qui vient de s’écouler. Il existe bien évidemment des défenseurs du barrage qui savent pour qui ils vont voter, tout comme il existe des abstentionnistes qui savent ce qu’est le RN. On peut y ajouter des rouges-bruns, des confus, des fascistes purs et durs votant Le Pen ou des libéraux convaincus du bien-fondé des politiques de Macron.

Il existe néanmoins une certaine catégorie d’électeurs se revendiquant de gauche qui fait une mine outrée ou agacée lorsque quelqu’un a le culot de comparer Macron à Marine Le Pen, et de scander “ni-ni” durant une occupation ou une manifestation. Une catégorie d’électeurs qui ne comprend donc sincèrement pas le refus du vote barrage au second tour, estimant qu’il ne s’agit au mieux  que d’un caprice d’enfant gâté. Qui pense au fond que Macron est un homme de droite classique, peut-être un peu trop à droite parce qu’il est bien obligé de faire concurrence au RN mais qu’au fond il reste social-démocrate, que la comparaison est vraiment déplacée, que les mots ont un sens, et que franchement il faut arrêter de dire que tout le monde est d’extrême-droite sinon à la fin plus personne ne l’est.

Un bilan du quinquennat doit donc être fait, et à chacun ensuite de faire le sien propre.

1) La loi séparatisme et la persécution des musulmans

Sans doute l’une des lois les plus emblématique du quinquennat, et pourtant très peu discutée en dehors de la communauté musulmane et de certains cercles militants. La loi dite « contre le séparatisme », officiellement intitulée « loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République », institutionnalise la répression des musulmans en France.

Le texte entend lutter contre le « séparatisme islamique » et met en œuvre pour cela des moyens considérables. D’abord, en créant un régime de fermeture provisoire par le préfet des lieux de culte, de réunion et d’association . Ce qui signifie concrètement la possibilité de fermer de façon arbitraire et préventive tout lieux de réunion suspecté de servir de relais à « des propos ou des théories qui provoquent à la violence ou la haine ». Sachant que, comme l’atteste la Charte pour les principes de l’Islam de France , la contestation de la loi Séparatisme ou la dénonciation d’un « prétendu racisme d’état » constitue une diffamation et donc un motif de dissolution.
Les motifs sont la plupart du temps administratifs et donc officiellement motivés par autre chose que la lutte contre le terrorisme ou le soi-disant « séparatisme » : on pense au lycée MHS, unique établissement confessionnel musulman de Paris, et à sa porte d’entrée jugée trop petite (On pourra juger de la radicalité des professeurs de ce lycée). Un lycée dont les élèves assistaient régulièrement au ravivage de la flamme du soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe : on aura rarement vu taqiya plus insidieuse !

En une seule année et avant même la promulgation de cette loi, les cellules départementales de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (CLIR) avaient effectué 3.881 contrôles administratifs, fermé 394 structures et saisi 25 millions d’euros . Depuis, on peut y ajouter des dizaines de fermetures et de dissolutions . Ce qui est visé, c’est bien l’existence même d’une vie communautaire, quelle qu’elle soit. Prétendre lutter contre le terrorisme en appliquant des punitions collectives est non seulement contreproductif, c’est surtout parfaitement contraire aux valeurs démocratiques et à l’état de droit.
D’autant que pendant ce temps, les actes de violence contre les musulmans se multiplient (+52% en 2020), les discriminations à l’embauche (32% de chance de moins d’être rappelé pour un entretien lorsque l’on a un nom de famille arabe) persistent, et la police continue de contrôler 20 fois plus les hommes noirs et arabes que le reste de la population. Dans ces conditions, de nombreux musulmans font le choix de l’émigration .

Mais c’est finalement Gérald Darmanin qui le dit le plus clairement lors d’un débat avec Marine Le Pen, sur BFM TV . Face à la politique islamophobe (pardon, « laïque ») de Macron, elle devrait « prendre des vitamines » car elle n’est « pas assez dure ».

2) La Loi asile et immigration et la persécution des migrants

Celles et ceux qui se sont mobilisés en soutien aux réfugiés Afghans n’auront pas oublié les propos du chef de l’État au lendemain de la chute de Kaboul : la priorité était de « nous protéger des flux migratoires irréguliers ». Sa politique en matière de droit d’asile et des droits humains en général a été à l’image de cette petite phrase raciste et déshumanisante.
La loi Asile et Immigration est en effet un « code de la honte » selon la CIMADE. On y trouve, pêle-mêle : l’allongement à 90 jours de la durée de rétention administrative – y compris pour les familles avec enfant – la réduction du délai pour déposer une demande d’asile, le fichage des mineurs isolés ou même la possibilité pour la préfecture de passer outre les avis des médecins dans le cadre des procédures de régularisation pour raison de santé.

La loi durcit l’arsenal répressif dont l’État dispose déjà pour malmener les réfugiés, les demandeurs d’asile et les migrants en général. On se rappellera des chasse à l’homme en pleins Paris où, après avoir lacérer des tentes au couteau, la police a poursuivi sur des centaines de mètre des afghans qui réclamaient des hébergements pour leur famille. Ceux qui ont été coincés contre des porches ou des coins de trottoirs ont été tabassé à coup de botte, de matraque ou de bouclier .
Il ne s’agit pas d’un fait exceptionnel et cette « évacuation » est parfaitement emblématique de la « politique d’accueil » du gouvernement : c’était la soixante-sixième en cinq ans . L’abondance d’image et la symbolique du sang versé devant l’hôtel de ville l’aura simplement rendu plus médiatiquement intéressante que les dizaines qui l’ont précédées.

3) La Loi de sécurité Globale, la persécution des opposants et des Gilets Jaunes

Le mouvement des Gilets Jaunes a marqué le quinquennat et la vie politique du pays. L’on sait assez grossièrement qui ils étaient et sont encore : des travailleurs des classes populaires et moyennes-inférieures éprouvant un sentiment de paupérisation, habituellement peu mobilisés politiquement et ne se retrouvant pas dans la dichotomie droite/gauche, malgré la pénétration de nombreux éléments d’extrême-droite antisémite et complotiste au sein du mouvement. L’on se sait surtout la violence de la répression à laquelle ils et elles ont fait face. Si les décomptes varient selon les sources, on oscille autour de 2.000 blessés , et plus d’une centaine de blessés graves (dont une quinzaine d’éborgnement, quatre mains arrachées et un mort).

Les Nations unies , le Défenseur des droits ou le Conseil de l’Europe se sont inquiété de la violence de la répression policière, jugée disproportionnée et portant atteinte au droit de manifester. En cause notamment, l’utilisation du LBD (le fameux lanceur de balle de défense, responsable de nombreux éborgnements), la technique de la nasse (enserrer les manifestants entre des rangées de policiers et gendarmes en armure) et les interpellations préventives.

Le gouvernement répondra aux critiques par deux textes : d’abord par le Schéma national de maintien de l’ordre puis par la loi dite de Sécurité Globale . Le premier texte maintient l’utilisation du LBD et de la technique de la nasse (si le deuxième point sera censuré par le Conseil d’État, la technique reste régulièrement utilisée). Le deuxième texte s’attaque, entre autres choses, à la possibilité de filmer les exactions policières, en interdisant la diffusion d’image permettant d’identifier un agent des forces de l’ordre. La mesure sera finalement amendée, en partie à cause du scandale Michel Zecler . Un homme noir a été tabassé dans son studio d’enregistrement par des policiers qui comptaient ensuite le faire condamner pour rébellion et n’a été sauvé de la prison que par une vidéo démontrant son innocence.

C’est encore Darmanin qui, lors des manifestations contre les violences policières, dit les choses clairement : « Quand j’entends le mot violences policières, je m’étouffe ». Le slogan du mouvement BLM était, en souvenir des derniers mots de George Floyd, assassiné par la police : « I can’t breathe ». Le message est limpide.

4) Macron, Darmanin, Blanquer et Vidal : parler comme l’extrême-droite ?

En sus de toutes les mesures racistes et liberticides énumérées ci-dessus, le quinquennat Macron n’a pas été avare en petites phrases – on a rappelé certaines saillies du ministre de l’intérieur – en éléments de langage, et en références d’extrême-droite.
Il y a eu évidemment, dès le début de son mandat, la volonté de célébration de Pétain et de commémoration Maurras par Macron. Un amour pour Maurras que Macron a renouvelé, le citant longuement devant les députés lors de la présentation de son plan de « reconquête républicaine » face au « séparatisme islamique ». Il ira plus loin en citant le baron Julius Evola lors d’une visio-conférence , bien que son emprunt à un intellectuel phare du fascisme italien soit passé relativement inaperçu.

Il y a eu aussi un possible passage de Gérald Darmanin à l’Action Française . Ou alors ses écrits antisémites , égarés dans un opus d’une centaine de page à la gloire de Napoléon : l’empereur aurait en effet protégé les juifs de possibles pogroms en les spoliant… puisqu’ils menaçaient l’ordre public en pratiquant l’usure ! Le ministre se réjouit de cette « lutte pour l’intégration avant l’heure ».
On pensera évidemment à Blanquer, ministre de l’Éducation Nationale, qui compare la pensée de Foucault, Deleuze et Derrida à un « virus », contre laquelle « il faut fournir un vaccin » . Il avait également incité les enseignants qui refusaient de « transmettre les valeurs de la République » à quitter le métier . Valeurs de la République dont on peut saisir la substantifique moelle en se référant au débat autour de loi séparatisme, évidemment.

Enfin Frédérique vidal, ministre de l’Enseignement Supérieur, enfonçait le clou en assénant sur CNews que « l’islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble et l’université n’est pas imperméable ». Elle justifiait alors une enquête qu’elle avait mandatée pour traquer les « idées radicales ou […] militantes » au sein de l’université. Il ne faudrait pas oublier que « la République [y] est chez elle ».
Le vocabulaire de la maladie, de la dégénérescence et de l’enracinement ainsi que les références multiples au fascisme ne peuvent être des accidents. Soit toutes les plumes du gouvernement sont secrètement des anciens du GUD, soit le président ainsi que ses ministres sont depuis longtemps perméables aux idées d’extrême-droite.

Notre ami de gauche dira sûrement ici que « Oui, bon, parfois ils ont fait/dit/voter quelques conneries, mais Marine Le Pen ferait pire ! » Et c’est indéniable, dans la mesure où le RN est l’héritier du nazisme français et annonce dans son programme des joyeusetés comme l’interdiction du voile dans l’espace publique ou la présomption de légitime défense pour les policiers – à peu de chose près, un droit de tuer.
Mais si l’on va par-là, Éric Zemmour appelle à mot couvert à la guerre civile et à l’épuration ethnique : il est pourtant d’extrême-droite lui aussi. Il faut donc admettre qu’il y a des degrés dans l’extrême-droite, comme dans toutes les mouvances politiques. Et que le quinquennat qui vient de s’écouler ne s’en distingue pas tout à fait.

Qui sait ce que le suivant nous réserve ?