"Je n'ai pas vécu la liberté, mais je l'ai écrite sur les murs" (la révolution syrienne)

L’execution de Melissa Lucio doit être suspendue et la peine de mort abolie

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Melissa Lucio est une mère de famille Americano-Mexicaine condamnée pour le meurtre de sa fille. Elle clame son innocence depuis 15 ans. Melissa doit être exécuté le 27 avril 2022. Un immense élan se mobilise pour demander aux autorités américaines de surseoir à l’exécution, elles en ont le pouvoir. Des ambassades, des stars, des politiques suivent le mouvement initié par les militants mobilisés contre l’exécution de Melissa par le Texas et contre la peine de mort dans sa totalité, partout.

Notre camarade militante Marie Bardiaux Vaïente nous explique le sens de cette lutte

LDC: Tout d’abord, peux-tu nous dire comment tu en es venue à ce combat de militer contre la peine de mort? En quoi est-ce important? Qu’est-ce que ça signifie, la peine de mort et militer pour son abolition?

En premier lieu je tiens à remercier LDC de me proposer un entretien dans le cadre de la mobilisation pour sauver Melissa Lucio.

C’est une question importante car je milite pour l’abolition universelle de la peine de mort, et ce en toutes circonstances. Depuis très longtemps. J’ai toujours été abolitionniste et c’est ma cause première. Elle passe avant toutes les autres car elle est la propédeutique et la structure de mes combats antifascistes. Je pense intimement que l’abolition universelle est le premier pas pour sortir du cercle de la violence. Elle est nécessaire et primordiale, même si elle n’est pas suffisante.

Tant que des États exécuteront, tant que des pays mettront en œuvre toute une mécanique (par le biais du droit, de la loi, des procès et tribunaux) qui met à mort des gens – et ce avec préméditation -, nous ne pourrons pas espérer vivre dans des espaces et communautés apaisées.

L’abolition ne règle pas tout, mais elle permet de ne pas nous retrouver complices d’assassinats d’États (le mot d’assassinat étant important à mes yeux, car il s’agit bien de meurtres programmés, avec des dispositifs, protocoles très précis et détaillés, et des dates : le meurtre est prémédité), puisque dans une société démocratique où les citoyens sont pourvus de droits (voter) et de devoirs (être juré de procès), vivre sous le couperet des condamnations c’est être tous responsables, collectivement. Le bourreau n’est pas l’assassin, mais la société tout entière qui acquiesce, permet ou laisse faire sans se révolter et s’opposer. Nous sommes les acteurices des changements de lois ; pas les juristes (qui ne font que les écrire), mais bel et bien la société civile.

La sanction capitale n’est jamais la justice : il s’agit de vengeance. L’abolitionnisme enfin, est une des grandes valeurs de l’antifascisme.

LDC: Et comment tu en es venue à Melissa spécifiquement? Est-elle coupable en fait? Est-ce que ça compte d’ailleurs?

J’ai découvert l’histoire de Melissa Lucio à l’automne 2021 alors que je participais à divers événements organisés pour les 40 ans de l’abolition de la peine de mort, en France. J’ai été invitée à une projection du documentaire de Sabrina Van Tassel, « L’État du Texas contre Melissa Lucio ». J’ai trouvé ce film particulièrement pertinent. En effet, puisque je suis militante abolitionniste, je considère qu’aucun crime ne peut donner lieu à une exécution capitale. Or le film est monté de telle sorte que nous pensons dans les premières minutes que Melissa est une mère maltraitante et infanticide. Ce qui permet aussi de nous bousculer.

Là encore, j’estime qu’il est nécessaire de se positionner pour l’abolition non pas pour ce qui nous paraît facile à défendre, mais bien vis à vis du principe en lui-même. Être abolitionniste ce n’est pas « aimer » les criminel-les et oublier les victimes. Jamais. C’est bien au contraire refuser que l’on continue à tuer, car la violence engendre la violence et un État qui condamne à mort ses concitoyens alors qu’en parallèle il le leur interdit (« tu n’as pas le droit de tuer mais moi si, car je suis l’Institution ») est le pire des mauvais exemples et des modèles. Cela alimente les pulsions de haine et la croyance en laquelle il pourrait être imaginable que se venger réduirait le chagrin de la perte. Or, c’est l’inverse qui se produit.

Nous savons en outre que les pays abolitionnistes sont des pays où les crimes de sang sont moindres, statistiquement, par rapport aux pays rétentionnistes (qui appliquent le châtiment suprême). La violence est un cercle vicieux, qui s’entretient.

Le film de Sabrina Van Tassel est une contre-enquête et il démontre l’innocence de Melissa Lucio. Nous pourrions comparer son documentaire à ce qu’a pu représenter le « Pull-Over rouge » sorti en 78 suite à l’exécution de Christian Ranucci, en France.
Ce film permet de dire en quoi la peine de mort peut être le tombeau d’innocents. Et c’est fondamental.

Néanmoins, pour moi, l’argument de l’innocence est toujours le dernier que j’emploie. Car si on ne se mobilise uniquement que pour les personnes possiblement innocentes cela veut dire que le principe lui n’est pas acquis pour tout le monde. Or je me bats pour l’universalisme moral, philosophique et humaniste de l’abolition.

Donc oui, je suis persuadée que Melissa Lucio est innocente mais en fait la domination qu’elle subit du système judiciaire américain va bien au-delà de ce fait. Et donc en soi ce n’est pas à mes yeux un élément qui prédomine plus que les autres, la concernant. C’est une horreur supplémentaire. Qui permet de sensibiliser davantage.

LDC: J’ai lu qu’elle était d’origine hispanique et précaire, ça a un signifiant en matière de racisme aux Etats Unis ? La peine de mort et le racisme, la précarité il y a un lien ?

Voilà. C’est cela le fondement de l’absolue oppression de groupes sur d’autres, aux USA (et partout ailleurs).

La peine de mort est un objet juridique raciste, classiste, et qui cumule toutes les intersections des dominations structurelles.
Qui se trouve dans les couloirs de la mort ? Des personnes pauvres (avant tout autre chose : ce sont les plus pauvres qui sont les premiers touchés par le système car ils n’ont pas les moyens de se défendre face à un système judiciaire très complexe et où l’argent est un facteur essentiel), de couleur ou de communautés dites racisées (les personnes noires, latino, …).

Donc oui la peine de mort est une violence systémique envers les personnes pauvres et racisées, tout comme le système carcéral (je suis devenue anticarcéraliste au fil des années, par le biais de mon militantisme pour l’abolition universelle : les mêmes enjeux de domination s’y retrouvent).

LDC: On parle d’une exécution au Texas. La peine de mort c’est aux Etats-Unis, pas en Europe… ça parait bien loin, pourquoi s’y intéresser?

Il faut savoir que l’UE est le seul conglomérat d’États au monde où la peine de mort est interdite, depuis la fin des années 90. On ne peut pas devenir État membre de l’UE si l’on n’a pas aboli, et l’on ne peut pas rétablir la peine de mort dans un pays, si l’on appartient à l’UE. Nous avons cet acquis. Mais … Quid du reste du monde ? L’abolition universelle est à un moment charnière. Des pays du Maghreb (le Maroc notamment) pourraient franchir le pas et de plus en plus de personnes s’élèvent partout pour que cesse cette aberration : programmer des assassinats de personnes, en toute légalité.

Deux grands pays démocratiques ont toujours la sanction capitale dans leur arsenal judiciaire : le Japon (qui l’applique alors que c’est une chose très peu sue…) et les USA. Les États-Unis ont la particularité du fédéralisme. À ce titre la peine de mort peut y être appliquée selon deux voies : la peine de mort fédérale (dont Trump a abusé de façon criminelle avec un acharnement répugnant), et la peine de mort aux niveaux des États qui l’ont conservée dans leur arsenal judiciaire (soit la moitié actuellement, et chaque année un des retentionnistes passe le cap abolitionniste ; pour mémoire la Virginie l’année passée, État ségrégationniste, immense surprise et avancée réellement conséquente).

Le Texas est l’État des USA qui exécute le plus. Plusieurs condamnés à plusieurs dizaines de condamnés chaque année. Même s’il y a une chute conséquente du nombre de mises à mort, elles restent pérennes et rien ne semble tirer le fil de l’abolition. On tue moins, mais on tue encore et sans état d’âme (le 21 avril un homme de 78 ans, Carl Buntion, invalide, malade et après 30 années d’incarcération, a été exécuté).

Mobiliser autour de Melissa c’est aussi la possibilité de focaliser les projecteurs sur l’entièreté de la cause : le châtiment suprême est une dégueulasserie. Point.

Melissa cumule tous les facteurs : très pauvre, racisée, mère qui aurait fait « trop » d’enfants, abusée sexuellement avant ses 10 ans puis par différents compagnons, etc. Elle démontre au monde entier ce qu’est la somme des oppressions. Ce ne sont pas les actes criminels commis (elle est accusée de la mort de sa fille la plus jeune) qui importent, mais la facilité avec laquelle le système judiciaire peut vous écraser.
Elle est la coupable idéale. Celle dont personne ne se soucie. L’oubliée des oubliés.

Or, par le plus grand des hasards (voir ses interviews multiples à ce sujet), Sabrina Van Tassel décide de remonter l’enquête et faire un film sur elle, spécifiquement. Et la femme martyre devient alors un sujet. Qui est-elle ? Pourquoi est-elle dans le couloir de la mort ? Pour ou contre ? Etc. Melissa Lucio, inconnue, est restituée et reconstruite dans son histoire, histoire qui devient elle-même un sujet politique.

Elle incarne l’injustice de la sanction capitale.

LDC: Qui soutien Melissa? Qui s’oppose à son exécution? Et à l’inverse qui veut la peine de mort pour Melissa? J’ai vu qu’il y avait même des gens habituellement pour la peine de mort qui soutiennent le mouvement contre l’exécution de Melissa, des conservateurs etc, pourquoi son cas mobilise? De quels soutiens tu a été surprise? Déçue?

Quand en janvier une date d’exécution est tombée pour Melissa, ce fut un coup de tonnerre. Je ne pouvais y croire, car ce n’est pas une chose raisonnable, ça n’a pas de sens. Au lieu de me morfondre j’ai contacté Sabrina, en lui demandant ce que je pouvais faire pour aider. Elle a eu confiance en ma sincérité – je l’en remercie, car nous ne nous connaissions absolument pas -, et m’a confié la mobilisation en France. Carte blanche.

J’ai à mon tour contacté deux camarades – Nadia Méziane et Marie Bellosta – en leur demandant si elles seraient d’accord pour m’aider. Les deux n’ont pas hésité une seconde. Là commencent de longues semaines. J’avais pour objectif une prise de position de l’UE, acteur abolitionniste mondial et prosélyte. Mais comment parvenir au Parlement ou à la diplomatie européenne quand on n’est rien d’autre qu’une militante inconnue des grandes juridictions ? J’ai donc fait appel à mon réseau, Nadia en doublon avec le sien, et je me mise à envoyer des mails absolument partout, dont Marie me faisait des modèles. Assemblée nationale, Sénat, Église de France (Melissa Lucio est catholique), députés européens et enfin candidats à l’élection présidentielle.

C’est là, alors que je commençais à désespérer que qui que ce soit me recontacte, que Christiane Taubira m’a téléphoné, un dimanche après-midi alors que je lui avais envoyé un sms d’appel à l’aide. À partir de ce moment-là les choses ont bougé. Elle a pris plusieurs fois position publiquement en faveur de Melissa Lucio, elle a alerté son réseau.

Et il y a eu ce moment où tous les acteurs abolitionnistes se sont regroupés (associations et militants autonomes, dont ECPM, mais aussi Enfants D’Afghanistan et d’Ailleurs, les jeunes qui avaient travaillé avec Taubira pendant sa campagne, etc.), autour de Melissa. Cela a donné lieu à un rassemblement sur le parvis de l’hôtel de ville de Paris, le 14 avril.

Rassemblement pour #MelissaLucio avec
@SabVanTassel @sab_ganeswaran @g_garrigos @AssoECPM photo de @rivieresflo
#SaveMelissaLucio #AbolishTheDeathPenalty

Et puis enfin, les tweets de l’ambassadeur de l’UE aux USA, repris et suivis par les ambassades de plusieurs pays européens (France, Danemark, Allemagne, Slovaquie, Espagne, Belgique, Italie, etc.). Cela a été un moment très important pour moi, de voir en direct (Twitter permet d’assister à cela), le rouage européen réagir avec conviction sur une de ses valeurs fondamentales, mécanisme que j’avais étudié pendant des années, mais la pratique rejoignait ici la théorie historique.

Aujourd’hui, la plus grande chance de Melissa est l’immense mobilisation aux USA menée par sa famille, Sabrina Van Tassel, des associations abolitionnistes puissantes et contre toute attente un regroupement transpartisan de sénateurs du congrès du Texas, des républicains pro-peine de mort mais convaincus de l’innocence de la condamnée, aux démocrates. C’est un moment majeur, une bascule qui se donne lieu.
Nous espérons tous et toutes que cela permettra un dénouement positif.

La vie de Melissa, voilà tout ce qui compte aujourd’hui.

Militante féministe, Autrice de bande dessinée, Docteure en Histoire https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01246549/document?

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