"Je n'ai pas vécu la liberté, mais je l'ai écrite sur les murs" (la révolution syrienne)

L’étrange positionnement de Caritas International sur la Syrie

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Caritas est un ONG spécialisée dans l’aide humanitaire, d’inspiration catholique (en France c’est le « secours catholique »). La profondeur de ses liens avec l’Eglise varie d’un pays à l’autre. D’une relative indépendance en Belgique à une très grande imbrication dans d’autres pays. En Belgique, l’association est vue comme un pilier dans les grandes ONG belge d’aides humanitaires. Ils font par exemple partie du consortium 12-12 visant à des récoltes de fonds d’ampleurs pour des évènements d’ampleurs (ex : le tremblement de terre en Haïti).

A ce titre, ils ont un positionnement qui, d’habitude, vise à s’en tenir à l’humanitaire quand il s’agit de prise de position publique. Pourtant une rapide recherche sur leur site tend à montrer une tout autre image lorsqu’il est question de la Syrie.

Début décembre 2016, l’offensive gouvernementale visant à reprendre Alep bat son plein. Les quartiers aux mains de l’opposition sont soumis à un déluge de feu de la part des aviations russe et syrienne. Les morts se comptent par dizaines tous les jours. Les analyses des ONG spécialisées sont sans appel sur l’origine de ces destructions : ce sont bien les forces gouvernementales qui sont responsables de l’écrasante majorité des victimes. Mais à Caritas, on préfère ne pas parler de cela.

On va plutôt publier le témoignage d’un membre de Caritas Syrie qui vit à Alep ouest. Celui-ci insiste sur le fait que les violences touchent autant les zones gouvernementales que les zones de l’opposition. C’est évidemment faux, comme le montre déjà à l’époque les rapports d’Amnesty Internationnal et d’Human Right Watch. Le témoignage se poursuit évoquant « leur » hôpital détruit la semaine d’avant, on imagine que c’est un hôpital aidé par Caritas.

Mais étrangement, il n’existe aucune info sur un hôpital détruit à Alep à cette période dans la zone gouvernementale. L’article de Caritas n’évoque à aucun moment l’impact des bombardements à Alep Est. L’approche adoptée par Caritas vis-à-vis de cette bataille d’Alep est finalement assez proche de celle choisie par les médias russes de propagande que sont RT et Sputnik. Quelle mouche a donc piqué Caritas International ?

En Syrie, l’ONG compromise

En Syrie, Caritas est fortement lié à l’Église locale. Église, au sein de laquelle une majorité d’ecclésiastiques ont choisi, par conviction ou par obligation, de soutenir le régime de Bachar el-Assad. Monseigneur Audo, évêque d’Alep et président de Caritas Syrie, s’est montré très décidé, dès le début de l’insurrection, à défendre le régime de Damas. Ainsi en juin 2011 alors que la contestation est encore exclusivement pacifique et que déjà le gouvernement syrien applique une répression implacable, tirant notamment à balle réelle dans les manifestations, Monseigneur Audo livre une interview pour le moins surprenante. Il y tient des propos qui sont véritablement choquant : défense totale du régime et de ses choix de réponses à la protestation. On y découvre aussi l’islamophobie qui atteint le prélat : tout opposant se réclamant de la démocratie cacherait en fait un dangereux islamiste.

Avec une telle personne à sa tête, Caritas international aurait dû, à tout le moins, se montrer prudente concernant son antenne syrienne. Ce ne sera pas le cas. Et l’exemple de la couverture du siège et de la reprise d’Alep n’est malheureusement pas un exemple isolé. Une recherche sur les différents articles concernant la Syrie sur le site de l’ONG belge laisse pantois. On y apprend qu’ils ont notamment orchestré l’audition de Monseigneur Audo au parlement européen. Ne manquant pas à cette occasion de lui redonner la parole sur leur site. Après la fin du siège d’Alep, l’organisation parle de dynamique de « réunification » et de « vivre ensemble » entre les deux zones autrefois séparées de la ville, oubliant de mentionner que la majorité de la population d’Alep-Est a été tuée ou déportée et ne peut plus revenir chez elle.

Durant le siège et la reprise de la Ghouta orientale, la violence en Syrie atteint des niveaux jamais atteint. Le récent rapport de Siege Watch sur l’offensive est extrêmement difficile à lire au vue de la violence des actes décrits. Comme pour Alep et Homs, c’est le régime et ses alliés qui sont responsables de l’écrasante majorité des violences. Mais de nouveau à Caritas, on préfère donner un autre son de cloche. Une interview d’un membre vivant à Damas coté régime explique à quel point le récit des « médias occidentaux » est biaisé. Il y affirme que son quartier, Bab Touma, est constamment l’objet de bombardement.

Pour qui connaît un peu Damas, cette description pourrait prêter à sourire si la situation n’était pas aussi dramatique : au même moment la Ghouta orientale n’est plus qu’un champ de ruine ou les civils doivent vivre 24h/24 dans les sous-sols pour se protéger des bombardements. A l’inverse Bab Touma est ce quartier riche et branché du centre-ville ou se concentrent la plupart des expats. Que quelques roquettes rebelle y soient tombé au cours des dernières années est certains, pour autant chercher à faire équivaloir les deux situations comme le fait Caritas est proprement choquant.

Et en France ?

Le Secours Catholique semble un peu plus prudente que son homologue belge. Pour autant, là aussi le discours de Caritas Syrie percole. Ainsi dans un entretien d’une membre de Caritas Syrie publié sur leur site, celle-ci dépeint une situation idyllique en Syrie avant 2011 et le soulèvement. En parlant de Damas, il est affirmé qu’« une grande sécurité régnait dans les rues où se côtoyaient sans distinction les musulmans, les chrétiens, les laïcs… ». Les minorités y étaient protégées et donc « En somme, confie-t-elle, le Printemps arabe nous était étranger». Un tableau positif du régime Assad avant 2011 y est donc présenté. Pourtant pour qui s’intéresse un peu aux droits humains, et ce devrait être le cas d’une association comme le Secours Catholique, déjà à l’époque le régime syrien était considéré comme une des dictatures les plus violentes et répressives au monde. Le classement de 2010 sur les libertés de Reporter Sans Frontières, la positionne à la 173e place sur 178. Par ailleurs, le régime a un historique sanglant de répression : du massacre d’Hama en 1982 par le père Assad au massacre de Qamichli en 2004 par le fils pour ne citer qu’un exemple pour chacun d’eux. Il n’a donc pas fallu attendre 2011 pour voir de quoi le régime syrien était capable.

L’exigence d’intégrité

Qu’en tant que mouvement à vocation mondiale, Caritas International présente des visages contrastés d’un pays à l’autre est une chose, pour autant les antennes belge et française peuvent-elles se permettre ce peu de distance critique vis-à-vis de leurs collègues syriens ? Pour nous la réponse est non. Il ne s’agit pas ici de point de détail. On parle d’un régime qui pratique crimes de guerre et crimes contre l’humanité à l’encontre de sa propre population à une échelle qui a peu d’équivalent dans l’histoire. Colporter la propagande d’un tel régime est très grave et inexcusable. D’autant plus, que celui-ci fait peu de mystère de son utilisation des institutions chrétiennes pour asseoir son narratif, celles-ci se doivent donc de faire preuve d’une vigilance accrue lorsqu’elle parle de Syrie. Ce ne fut pas le cas jusqu’ici.

droit-de-l'hommiste radical

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