Day of the Rope au Capitole: le jour où le mythe néo-nazi a pris corps

in Chroniques de la violence brune by

Dans toute politique réussie, il y a une part de magie. Au sens de pratique magique, de rituels irrationnels et normalement inopérants mais qui vont avoir des effets dans le réel parce que la croyance en eux est suffisamment importante dans un corps social pour que les acteurs s’y conforment.

Ce qui s’est passé au Capitole relève du Récit qui s’est incarné parce qu’il était suffisamment puissant et même dans les esprits de ceux qui le combattaient.

De manière bassement rationnelle, ce qui s’est produit relevait normalement de l’impossible. Il ne s’agissait pas, en effet, d’une tentative de coup d’État. Un coup d’État se prépare dans l’ombre, en secret. L’attaque du Capitole a eu comme dirigeant apparent, un homme qui l’annonçait tranquillement depuis des semaines. Un coup d’État nécessite de petites unités clandestines armées qui choisissent des objectifs stratégiques clés et les prennent d’assaut le moment venu, en comptant sur la stupéfaction de leurs opposants, et pas seulement sur le soutien de la masse de leurs partisans.

Depuis des semaines, des milliers et des milliers de suprémacistes blancs, d’accélérationnistes en tous genres, de Républicains pro-Trump clamaient que le 6 janvier serait la date du grand affrontement avec la démocratie américaine (1). Il y avait partout des appels, des hashtag, des cars et des voyages organisés pour l’insurrection qui vient et même des goodies, des casquettes et des sweat-shirts ornés d’un «  Civil War-6th January » fabriqués et commandés d’avance.

Sans la magie politique, de celle qui envoûte le camp d’en face, il aurait du se produire quelque chose. Quelque chose qui n’aurait pas été cette entrée d’une facilité déconcertante dans le Capitole (2), quelque chose qui n’aurait pas conduit à ces images hallucinantes, l’affolement stupéfait des élus se cachant sous leur siège, la sidération des journalistes et des commentateurs, et finalement un déroulé des événements exactement conforme aux prophéties fascistes, jusque dans la création de martyrs abattus par les services de sécurité, qui n’ont pas eu d’autre choix après s’être privés de celui de protéger correctement le bâtiment. Tout, absolument tout était prévisible, décrit publiquement par les fascistes avant qu’ils agissent et tout s’est passé exactement comme ils l’avaient prédit, comme si en face, dans un camp politique pourtant extrêmement puissant, puisque vainqueur des dernières élections, il n’y avait que des envoûtés par l’œil du serpent, incapables de se comporter autrement que comme acteurs d’un Récit écrit d’avance.

Il y a deux choix analytiques et donc politiques possibles pour la suite. Le premier est une position de surplomb, celle qui consiste à se considérer au dessus de la mêlée, et à choisir le ton de la raisonnable objectivité pour traiter d’un «  problème  » politique à résoudre entre gens de bonne compagnie, imperméables aux égarements de la «  post-vérité  ». Dans ce contexte sémantique et philosophique, l’antifascisme est tout sauf une prise de parti, sauf un récit politique : la réponse est alors celle de l’analyse sociologique, qui prend en général deux formes  .

D’une part, le discours sur les raisons économiques et sociales qui fabriqueraient les électeurs de Trump et les attaquants du Capitole, à l’insu de leur plein gré. Ces gens seraient avant tout des objets façonnés par les crises économiques, le déclassement généralisé, leur position de  “petits Blancs» menacés dans leur identité par un monde globalisé jusque dans le quotidien, où la mondialisation prend le visage de l’immigré ou du métissé. Ce qu’ils disent d’eux même n’aurait au fond pas grande importance, leurs discours n’étant que la réponse maladroite et monstrueuse à une condition pas très enviable. La démocratie en réalité ne serait pas «  vraiment  » leur ennemi politique comme ils le clament, et il suffirait qu’elle trouve quelques réponses concrètes à leurs «  vrais  » problèmes pour que les choses se calment.

Cette position est notamment développée au nom d’un pseudo-marxisme par toute une partie de la gauche qui trouve dans l’hypothèse populiste un réconfort narcissique, en ces temps de vaches maigres: selon eux, inconsciemment, les attaquants du Capitole, tout comme les électeurs de Marine Le Pen agiraient pour des raisons qui devraient les amener à rejoindre un autre camp politique. Il suffirait pour que ce soit le cas de les «  comprendre  » , c’est à dire de prendre en compte ce qu’eux -même ne disent absolument pas. Après quatre ans de politique anti-sociale de Trump et du Parti Républicain, persiste donc, notamment en France, la même quasi-croyance sur le caractère prolétarien du soutien dont il bénéficie chez certaines catégories socio-professionnelles. Quasi-croyance, parce qu’elle ne repose sur presque rien, à part sur des constats et des statistiques qui ne montrent qu’une chose  : oui le trumpisme et le suprémacisme blanc sont partagés par des ouvriers, des chômeurs, des travailleurs du secteur tertiaire ultra-précarisés. Mais manifestement, la persistance de leur adhésion ne repose évidemment pas sur un espoir social, puisque Trump n’en a réalisé aucun (3).

En réalité l’illusion et l’espoir vain sont à chercher du côté des populistes de gauche, qui s’auto-persuadent que les fascistes issus des classes populaires leur appartiennent par essence et qu’ils finiront bien par revenir au bercail…si on leur concède une part de Vérité. Très concrètement ceci amène à un état de fait immédiatement visible après les événements du Capitole  : nombre d’éditorialistes et de responsables politiques de gauche populiste en viennent, sous couvert d’objectivité, et d’anticapitalisme à reprendre…le récit des fascistes. C’est notamment le cas en ce qui concerne la prétendue «  censure  » illégitime des GAFA contre Donald Trump et les suprémacistes blancs. La fermeture de comptes Twitter et Facebook est le résultat de combats antiracistes et antifascistes aux Etats-Unis, d’un rapport de forces construit depuis des années et dans l’adversité puisque Twitter comme Facebook ont non seulement un laissez-faire global qui aboutit à la mise en danger des militantEs progressistes, mais aussi une politique d’invisibilisation qui touche avant tout les antifascistes et les minorités actives…Mais en Europe, notamment, de nombreux commentateurs reprennent le récit anti-système et choisissent de défendre la liberté de ceux qui appellent non seulement à un coup d’état mais aussi à tuer et à oppresser sans trêve.

En complément de cette analyse et toujours en surplomb absolu, l’analyse anti-conspirationniste conservatrice permet deux sécurités rassurantes pour celui qui l’énonce. D’une part, elle désigne un Mal circonscrit à des agents bien définis, les vecteurs de propagande mensongère, à commencer par le Président des Etats-Unis, et l’ensemble des entrepreneurs de conspirationnisme, évidemment puissants et nombreux . D’autre part, elle permet à celui qui énonce cette analyse de se placer dans la position de Gardien Malheureux de la Vérité, qui ne renonce jamais à décrire et à disséquer la victoire du Mensonge sur des masses manipulées.

Le souci est que les preuves de la manipulation manquent cruellement. A force de faire du conspirationnisme une idéologie en soi, définie uniquement par ceux qui la combattent, on finit par entrer dans un cercle vicieux de l’analyse. Si l’on réduit les sujets politiques d’un événement historique à des victimes du conspirationnisme, forcément l’on ne verra que cela. Et l’on expliquera leurs actes par l’adhésion aux thèses conspirationnistes. Or, est ce vraiment cette adhésion qui explique principalement la vie politique concrète de ceux qui ont attaqué le Capitole ?

Pas forcément. Les théories Qanon ont deux ou trois ans, le suprémacisme blanc, notamment a des siècles d’existence et s’enracine profondément dans l’histoire des Etats Unis, tout comme le fascisme s’enracine dans celle de l’Europe. C’est un projet positif de transformation du monde, et pas seulement une dénonciation de l’état de fait, même sous la forme du récit conspirationniste. En réalité, son essor récent est d’abord une tentative de retour en arrière après l’élection de Barack Obama et surtout face à la montée en puissance des revendications d’égalité réelle portées par le mouvement antiraciste américain. L’élection même de Trump s’inscrit dans ce processus, lui-même décidant de s’appuyer sur les américains qui disent tout simplement NON, un NON pas négociable à l’égalité.

Le suprémacisme blanc, sous ses divers avatars répond donc à une demande profonde, ancienne et massive, de la manière la plus claire qui soit. Mais le rapport entre l’offre et la demande n’est pas un rapport qui va dans un seul sens : la preuve en est que Trump a réussi dans un premier temps à capter totalement ou presque cette demande…en réalité jusqu’à ce que la force du mouvement antiraciste et de BLM convainque une partie de son électorat que la violence extra-légale massive était absolument nécessaire pour le briser.

Ce qui s’est passé au Capitole ne relève absolument pas du simple envahissement symbolique, commis par des foules grotesquement déguisées et emportées par leurs fantasmes hallucinés. Beaucoup des attaquants avaient traversé les Etats Unis avec un arsenal d’armes minutieusement préparé et en annonçant venir pour autre chose qu’une démonstration symbolique. Aucun des présents ne pouvait ignorer la nature de ce qui était prévu par certains…tout simplement parce que les leaders nationalistes blancs avaient clairement énoncé leurs mots d’ordre avant le 6 janvier, notamment Nick Fuentes dont les propos appelant à tuer des hommes politiques avaient fait scandale la veille.

Évidemment les théories conspirationnistes se mêlent à cela, et elles sont depuis toujours une composante du suprémacisme blanc, comme elles le sont du fascisme européen. Mais elles ne peuvent à elles seules être considérées comme le ressort de l’action et de l’engagement des masses. Les troupes des SA n’agissaient pas parce qu’elles avaient été convaincues de l’existence d’un complot Juif, en réalité leur nationalisme de combat intégrait pour certains d’entre eux la croyance dans un complot, et pour d’autres l’utilisation opportuniste d’une pseudo-croyance pour justifier leurs actes.

Entre sociologie bas de gamme et anti-conspirationnisme, le discours de surplomb tente de réduire le camp fasciste à une triste illusion. Il est un refus de prendre au sérieux l’engagement politique de millions de gens, de partir de ce qu’ils disent d’eux-même et de leur projet pourtant clairement défini et mis en pratique. Il est aussi un discours hiérarchique, où l’on ne s’intéresse au politique que comme politique de l’offre, en minimisant le pouvoir de la demande. Les rapports de construction d’une force politique iraient dans un seul sens  : ce sont les dirigeants des mouvements fascistes, conspirationnistes et trumpistes qui impulseraient le récit politique, l’imposeraient à une base passive, obéissante et fascinée. La dynamique politique interactive entre la base et ce qui est vu comme le sommet d’une Pyramide seule à être consciente d’elle-même est donc totalement niée.

Pourtant, ce qui s’est passé au Capitole doit forcément laisser penser à une autre configuration interne. Il n’y a pas eu de division entre ceux que l’on appelle les «trumpistes» et ceux que l’on appelle les «  suprémacistes blancs  » , à la base des attaquants. A l’intérieur du Capitole, les deux composantes se sont mêlées, en attestent la multiplicité des pancartes et des symboles affichés. Ceux qui étaient venus avec les insignes et les drapeaux du Parti Républicain se mêlaient à ceux qui affichaient leur néo-nazisme . Les soit disant «  pacifistes  » étaient aussi nombreux que ceux, qui d’emblée avaient dit qu’ils ne venaient pas pour manifester devant, mais pour attaquer le symbole de la démocratie américaine.

Certes, ce sont les slogans des suprémacistes blancs et leur Récit qui se sont imposés. En premier lieu, non pas le discours conspirationniste Qanon, discours essentiellement descriptif et explicatif, mais le récit activiste Anon, bien antérieur. Le nom du jour où l’on commence à attaquer physiquement et à tuer en masse les politiciens corrompus, les journalistes, les membres des minorités, c’est «  Day of the Rope  ». Ce terme là, répété sur Twitter et affiché par certains attaquants, sous forme de pancarte ou sous la forme stylisée du nœud coulant destiné à les pendre tous ne vient pas de la fiction conspirationniste contemporaine. Certes une version Qanon existe, publiée il y a quelques années aux éditions Redpills, où un roman d’une centaine de pages porte ce titre. Mais son auteur Devon Stack ne fait qu’y réactualiser le mythe originel forgé par un néo-nazi et presque immédiatement érigé comme Récit Fondateur par des milliers de militants, celui des Turner Diaries. Devon Stack (4) reprend la trame des Diaries dans son récit, et ce n’est pas un plagiat, car il n’est pas question de littérature mais de prophéties que chacun est libre de s’approprier au fil du temps.

Day of the Rope reprend donc le personnage central du Tueur de la Communauté Blanche des Turner Diaries (5), qui n’existe que par le Sang. Dans les Diaries originaux, l’intermédiaire, le collectif qui permet la métamorphose de l’américain opprimé et passif en Héros, se nommait The Order, c’était une organisation politique classique, structurée par des liens physiques stables et une hiérarchie fixe.

En 2021, l’organisation se structure autour d’un objectif et est finalement beaucoup plus horizontale. The List est exactement cela, une liste d’assassinats terroristes à accomplir, liste non exhaustive. Appartient à l’Ordre Nouveau celui qui passe à l’action violente et meurtrière.

Autre différence, en 1980, les néo-nazis répugnent un peu à l’introspection publique, en 2021, la sociabilité virtuelle a fait exploser les limites entre le public et le privé, entre ce qui relève du psychologique et du politique. Day of the Rope s’ouvre donc par ces deux paragraphes , le premier faisant le constat de l’inexistence totale du héros aux yeux du monde qui l’entoure, le second celui de l’existence de l’Ennemi Racial en tant que communauté.

La dialectique interne restera ensuite celle des Turner Diaries  : en prenant le droit de tuer, l’américain blanc accède au sens de sa vie. Cette dialectique là a déjà été parfaitement exposée, en actes et en mots dans plusieurs manifestes de terroristes suprémacistes, notamment celui de Patrick Crusius (4), jeune chômeur blanc responsable de l’attentat d’El Paso, où il avait ouvert le feu sur des Latino américains dans un supermarché, mais aussi dans la longue vidéo de Stephan Baillet, le tueur de la synagogue de Halle. Les deux avaient cette caractéristique très particulière, une absence de pudeur assez étonnante au regard de l’attitude virile et impersonnelle adoptée autrefois par les suprémacistes blancs. Crusius comme Balliet et ont un regard public sur eux même, un rapport que l’on pourrait trouver très post-moderne au Mythe du Chevalier Blanc, celui-ci n’hésitant plus à décrire publiquement l’absence individuelle de Sens de l’Existence qui préexiste au passage à l’acte mais surtout à l’adhésion totale au discours fasciste, adhésion qui ne peut être qu’une métamorphose complète de l’individu initial.

Personne n’est venu chercher les jeunes tueurs fascistes. En tout cas pas sous la forme d’un recrutement classique, pensé, ordonné par une hiérarchie. Les média fascistes s’adressent à qui veut bien écouter, et l’immense majorité des militants et des sympathisants passe d’abord par une période de passivité attentive, celle pendant laquelle on reste devant son écran à regarder et à écouter la Parole Révélée. Parce qu’on est en demande, et sans cette demande qui permet notamment aux vecteurs du fascisme moderne d’atteindre une visibilité extraordinaire, qui dépend énormément d’un public qui ne milite pas forcément dans un cadre structuré, leur puissance serait très fortement limitée.

Ce qui s’est passé au Capitole doit aussi être analysé au regard de cette demande. D’abord en tenant compte d’un sondage effectué immédiatement après les évènements. Il est évidemment la photographie de l’opinion à un instant T, et cela vaut ce que cela vaut. Mais 45 pour cent des américains interrogés sont en tout cas favorables à ce qui s’est passé et osent l’affirmer, alors même qu’il s’agit du projet du suprémacisme blanc révolutionnaire …et pas celui affiché officiellement par Trump . Un autre élément doit aussi être pris en compte  : certes Donald Trump a appelé ses partisans à marcher sur le Capitole, mais les suprémacistes blancs avaient appelé à l’investir physiquement de manière tout à fait ouverte. Et énormément de simples «  républicains trumpistes  » ont suivi volontairement les suprémacistes (6) et surtout les ont protégés en faisant masse à l’extérieur, et n’ont pas quitté les lieux suite aux appels au calme de Donald Trump.

De fait, c’est donc bien le récit existentiel du suprémacisme qui a été choisi dans l’action et pas celui des Républicains trumpistes. Même si le rôle de Trump ne peut être négligé, il s’inscrit dans un rapport dialectique entre une masse qui n’est pas celle de «  petits blancs  » précarisés animés par une colère irrationnelle ou manipulés par des discours conspirationnistes, mais celle de militants conscients d’eux même et faisant ce qu’ils disent.

Cette analyse va rester inaudible en France. Tout comme l’était avant l’attaque du Capitole, celle selon laquelle les terroristes néo-nazis et suprémacistes n’étaient pas une «infime minorité isolée » mais l’avant garde de militants nombreux et déterminés. Désormais, c’est la masse de ces militants qui va être considérée comme non-représentative des dizaines de millions d’américains qui votent Trump.

Ce réflexe ne correspond pas à une défense des américains. Bien au contraire, l’immense condescendance des commentaires sur les imbéciles mal dégrossis déguisés en bisons, ou arborant des tatouages « incohérents » reflète assez le mépris franchouillard en vigueur , le «  Ça n’arriverait pas en France » (7) .

Mais justement si. En réalité, en France, la haine de l’Amérique, ces dernières années s’est surtout manifestée par une haine de l’antiracisme, du féminisme, et plus globalement de tous les combats progressistes systématiquement désignés comme l’expression d’un «  séparatisme agressif » en partie venu des États-Unis. Le discours sur la menace incarnée par les minorités actives constitue actuellement non seulement un champ politique extrêmement vaste, à gauche comme à droite,mais aussi une bonne partie de la parole du pouvoir.

Dans ce contexte l’analyse pseudo-sociologique comme la réduction du danger suprémaciste au conspirationnisme Qanon a une fonction politique évidente: la condamnation de l’attaque du Capitole a certes été unanime en France, parce que le respect des apparences de la démocratie est très ancré dans l’imaginaire politique. Mais toute une partie de ceux qui ont condamné cette attaque sont en réalité dans la même configuration politique, dans le même état d’esprit que les Républicains qui ont soutenu Trump des années, collaboré avec l’extrême-droite suprémaciste sans souci, repris tous ses discours racistes, islamophobes, anti-féministes, mais qui se sentent débordés par la base fasciste et ses leaders.Lesquels à l’instar de Nick Fuentes, de nouveau n’hésitent plus à théoriser ouvertement leur rapport de forces, et à appeler à la destruction du GOP, qui désigne les Républicains encore inscrits dans les formes traditionnelles du politique, et refusant l’appel à la guerre civile totale. Cet appel a été lancé tout le mois de décembre lors de rassemblements où se mêlaient des pro Trump opposés aux Républicains “pro-système” et des suprémacistes blancs et ce qui s’est passé au Capitole montre qu’il a été entendu très largement par une base qui s’est emparé de la dimension insurrectionnelle du personnage Trump tout en se fichant éperdument de ses vagues appels au calme.

Dans ces conditions , le discours populiste compréhensif sur les “pauvres petits blancs légitimement exaspérés mais manipulés” comme le développement d’un anti-conspirationnisme à visée purement conservatrice ont une utilité évidente: dépolitiser totalement l’affrontement en cours, nier la réalité antifasciste et antiraciste. Aux Etats-Unis ceux qui se battent concrètement et depuis des années contre Trump et les suprémacistes blancs, ce sont les activistes antiracistes, et notamment Black Lives Matter, les féministes et les antifascistes de terrain. Ceux qui en France sont désignés comme l’ennemi intérieur , le “communautarisme”, l”islamo-gauchisme” par une partie grandissante du champ politique, à commencer par certainEs Ministres comme Marlène Schiappa qui a déclaré immédiatement lancer une mission d’enquête contre le conspirationnisme Qanon, qu’elle réduit à une sorte de secte.

Ce qui évite d’affronter le réel: aux Etats Unis une bonne partie des attaquants avaient les mêmes cibles politiques que le gouvernement français.

———————————————————-

(1) En réalité les seuls véritables adversaires des suprémacistes blancs, totalement invisibilisés après avoir été criminalisés en ce qui concerne le mouvement antifasciste, avaient eux parfaitement prévu ce qui allait se dérouler. L’ADL avait même publié de nombreux avertissements, décrivant assez fidèlement le déroulé des évènements du 6, notamment en rappelant que les manifestations avaient déjà atteint un niveau de violence extrême contre les minorités et les antifascistes en novembre et décembre. Deux jours avant l’assaut, un dernier communiqué était posté, reproduisant notamment les appels à tuer de leaders suprémacistes .

Par ailleurs, de tous les Etats Unis, les groupes antifascistes ont alerté sur la préparation armée de l’attaque du Capitole. Notamment à Portland en Oregon, où les militantEs de Black Live matters comme les antifascistes sont à la fois la cible de la violence déchaînée des suprémacistes et en butte aux attaques politiques du maire démocrate. Sur ce point, lire notamment cet édito

 (2) Facilité déconcertante est sans doute un terme en dessous de la réalité. A 1mn34 sur cette vidéo, on voit l’entrée des attaquants, qui hurlent des appels au meurtre des parlementaires. Il n’y a aucune résistants, puisque seuls quelques policiers , espacés les uns des autres sont présents, et donc zéro affrontement physique à ce moment clé.

https://hbr.org/2020/11/how-biden-won-back-enough-of-the-white-working-class

(3) Le discours populiste bute cependant sur un écueil évident depuis les dernières élections. Les très riches ont voté Trump, en majorité, les classes populaires racisées ou pas ont majoritairement voté démocrate après quatre années de nationalisme ultra-capitaliste. Evidemment, si l’on s’en tient à une analyse unidimensionnelle, le vote des blancs est toujours plus favorable à Trump que celui des minorités racisées….Sauf que l’oppression de classe et le racisme ne sont pas des phénomènes séparés mais interconnectés. Et que la résistance ou les aspirations sociales qui conduisent à faire barrage à Donald Trump en votant démocrate peuvent très bien s’allier à la dimension antiraciste du vote.

(4) Les Turner Diaries originaux comme leur remake à coloration Qanon ont été retirés du catalogue Amazon suite à l’attaque du Capitole. Ils sont néanmoins accessibles gratuitement sur beaucoup de sites d’hébergements de contenus , en quelques clicks sur Google. C’est une des caractéristiques modernes du néo-nazisme et du suprémacisme blanc que de fournir la propagande essentielle à qui veut en profiter, ce qui la distingue évidemment des opérations de recrutement sectaire à vocation mercantile.

(5) De manière assez emblématique, le refus de considérer les Turner Diaries comme un mythe extrêmement important dans le développement du fascisme contemporain, refus qui est lié aussi à la disparition progressive du terme “néo-nazis” dans le vocabulaire des experts médiatiques français de l’extrême-droite est très présent notamment dans la frange islamophobe de l’anti-conspirationnisme où à l’inverse, on n’hésite pas à considérer que des versets du Coran sont la source quasi unique du terrorisme djihadiste. Pourtant de nombreux spécialistes de l’anti-terrorisme concret prennent depuis longtemps ce récit pour ce qu’il est devenu, une Légende qui impulse des meurtres depuis des années , au moins 200 selon certains rapports plutôt précis et sérieux . Et après l’attaque du Capitole, l’influence des Diaries a été soulignée non pas seulement par des antifascistes obsessionnels mais aussi dans le New York Times

(6) Parmi les paroles des concernées , celle de Jenna fanatiquement pro-Trump est plutôt intéressante, parce qu’extrêmement franche: venue en avion, la jeune femme explique tranquillement qu’elle était bien là pour s’en prendre aux élus et ensuite aux journalistes éventuellement, et son narratif est très exactement celui des suprémacistes blancs.

(7) A ce sujet pourtant les faits sont têtus. D’une part, des choses de ce genre arrivent bien en France. Il y a quelques semaines, c’est bien un fanatique intégriste catholique néo-apocalyptique qui a tué des gendarmes avant de se suicider, et ce n’était pas le premier épisode de ce genre. Par ailleurs, non seulement, cela arrive en France mais cela arrive aussi DE France. Le FBI a notamment détecté des virements de sommes importantes faits à des suprémacistes blancs qui étaient au Capitole par un Français qui avait aussi financé nos fascistes locaux, dont le négationniste Vincent Reynouard

PrecairE, antiracistE