"Je n'ai pas vécu la liberté, mais je l'ai écrite sur les murs" (la révolution syrienne)

Amer, un frère que je n’ai pas connu

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Un texte de Yahia Hakoum

Lorsque la révolution en Syrie a commencé, le changement a tout touché. Non seulement les idées et la volonté de faire tomber le régime mais aussi les liens familiaux ou d’amitié.

Beaucoup de ceux qui ont été un jour des amis ne le sont plus depuis le 15 mars 2011. Par contre, j’ai rencontré des personnes merveilleuses, des Syriens mais aussi de non Syriens, ceux qui soutiennent notre cause.

Parmi ces personnes, il se trouve qu’il y a un jeune homme qui a marqué ma vie à jamais. Un jeune homme pour lequel, à chaque fois que je veux écrire à son sujet, je ne trouve pas les mots pour lui faire honneur.

Ce jeune, il s’appelait Amer al-Qalmouni. Bien sûr, ce n’est pas son vrai nom, et personnellement je ne connais ni son vrai prénom, ni son nom, ni son visage. Amer était un activiste dans ma région. Il était une vraie référence pour les médias arabes et une source d’informations de 2011 à 2014. Il n’a jamais accepté d’apparaître en appel vidéo. Il ne voulait pas être connu car son objectif était de servir la révolution sans aucun profit personnel.

Début 2014, mon petit frère Ali a été blessé par un missile lancé par les forces du Hezbollah sur la voiture dans laquelle il était avec son ami. L’ami d’Ali est mort sur place et Ali a été blessé et brûlé partout. Il a perdu sa main gauche et son œil.
A l’hôpital, au Liban, les infirmières étaient racistes à tel point qu’un soir, il avait tellement soif qu’il a sonné pendant des heures et personne n’est venu pour lui donner à boire. Il a appelé vers 23h, heure de Belgique, pour me dire qu’il avait soif et que personne ne l’aidait. Pendant deux heures, j’ai essayé de trouver des solutions mais sans résultat. A ce moment-là, Amer m’a écrit. Il m’a demandé pourquoi j’étais toujours réveillé. Je lui ai raconté l’histoire de mon petit frère. Il m’a répondu « pas de soucis, nous ne dormirons pas aujourd’hui avant qu’Ali ne boive ». Puis il s’est déconnecté.

De mon côté, j’étais dans ma chambre à Louvain la Neuve avec un sentiment de rage et d’impuissance énorme, je pleurais, je tournais en rond et je ne savais pas quoi faire. Tout à coup, vers 4h du matin, j’ai reçu une photo de mon frère qui dormait dans son lit. Cette photo a été envoyée par Amer. Ce soir-là, Amer a traversé la frontière syro-libanaise et est allé jusqu’à Beyrouth pour donner de l’eau à mon frère.

Amer a risqué sa vie pour donner un verre d’eau à mon frère. Puis, lorsque ma mère est arrivée comme réfugiée au Liban, elle était très malade et, à nouveau, Amer a fait le trajet depuis la Syrie vers le Liban pour chercher les médicaments de ma mère.

J’aurais bien aimé rencontrer Amer. J’aurais bien voulu lui dire qu’il est mon frère mais Amer, du jour au lendemain, a disparu. J’ai passé des mois à chercher sa trace jusqu’à ce qu’un jour j’aie une information disant qu’Amer avait été blessé dans la tête et était mort dans les montagnes. Amer qui était prêt à donner sa vie pour aider les gens, personne n’a pu l’aider.

Amer a quitté cette vie sans que personne ne connaisse son vrai nom.

J’ai été honoré d’avoir un frère comme Amer et j’espère qu’un jour je pourrai aller mettre une fleur sur sa tombe et une fleur sur la tombe de mon frère Ali.

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