"Je n'ai pas vécu la liberté, mais je l'ai écrite sur les murs" (la révolution syrienne)

Un 23 décembre

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Un camarade a envoyé sur le groupe qu’il allait au rassemblement de soutien à 18h, rue du faubourg Saint Denis. Ça a motivé deux trois personnes, donc on a décidé de s’y retrouver à la tombée de la nuit. Le boulevard Sébastopol était bloqué par des cars de police, de nouveaux cars grisés à la carrosserie flambant neuve, parce que joyeux noël, n’est-ce pas.

La rue elle-même était encadrée par des rangées de mecs en armure, qui avait d’ailleurs sortie le lance-grenade à répétition. Au cas où, n’est-ce pas.

Pour une fois les bars étaient tous fermés, ainsi que les kebabs et les pizzerias. Une foule encore plus dense que d’habitude et des éclats de verre par terre ; sur les téléphones les vidéos de l’après-midi, où la police avait gazé, chargé et matraqué.

“C’est parce que Darmanin s’est fait sifflé” commente un gars, et on rigole. Les gars qui étaient là ne rigolaient pas par contre, et j’ai pas vu la police reculer aussi vite depuis les Gilets Jaunes. Faut croire qu’un Kurde en vaut deux.

“Mais pourquoi y’a pas de musique ? Les gens vont bouger après ?” demande quelqu’un qui visiblement s’est perdu.

“C’est une veillée de soutien pour les trois personnes assassinées, donc non y’aura pas de musique. Et après on va nulle part.”

“Y’a beaucoup d’étrangers quand même.”

“C’est parce que les trois victimes étaient kurdes.”

“Et vous êtes des étrangers, vous ?”

Des regards s’échangent avant de lui répondre. Y’a vraiment des gens chelous dans ce pays.

D’autant qu’autour, la foule est silencieuse. Elle piétine devant les troupes qui bloquent l’accès à la rue d’Enghien, où l’attentat a eu lieu. Personne ne comprend pourquoi la police empêche les gens d’avancer, et d’un coup part un mot d’ordre.

JIN
JIYAN
AZADI

Femme, Vie, Liberté.

Il doit y avoir deux cents personnes, trois cents à peine. Mais la rue s’emplit d’un seul cri, et la police recule. Un homme lance un autre slogan que je comprends pas, puis un autre, puis un autre encore, et ça tourne ainsi pendant de longues minutes, entrecoupé de silences profonds. Beaucoup de gens filment, certains s’échangent des cigarettes, mais ça ne parle pas beaucoup. Une maman retient son garçon qui veut courir vers l’avant en faisant des doigts d’honneur, mais qui revient bien vite dans le giron.

Les cars de police – des blancs ceux-là, les anciens modèles – reculent encore et disparaissent au coin de la rue ; alors la foule s’avance encore et s’y engage à son tour. Les gens avancent sans poser de questions dans cette rue sombre, où tout le monde sait ce qu’il s’est passé.

Les lampadaires n’y fonctionnent pas, et seules quelques fenêtres éclairent la rue depuis les étages supérieures. Une vieille femme ouvre un volet pour observer la foule obscure qui progresse entre les voitures. Le mouvement finalement s’arrête, on est arrivé.

Il ne fait pas froid pour un 23 décembre, et puis crier réchauffe. C’est une veillée triste et pleine de colère, ça se sent au timbre des voix et à la vigueur des chants. On est là comme invités, alors on tape des mains et on essaie de suivre.

C’est un vieux raciste qui a fait son attentat, au coeur de l’hiver. L’extrême-droite tue, et bien sûr que nous sommes tous des étrangers.

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