"Je n'ai pas vécu la liberté, mais je l'ai écrite sur les murs" (la révolution syrienne)

Rioufol, l’antisémitisme, l’islamophobie ou l’histoire d’un manque d’hygiénisme antiraciste.

in Antisémitisme by

Pour bien mesurer le niveau de la victoire d’Ivan Rioufol, on peut faire un peu de politique-fiction et penser à la crise de jalousie qu’a du faire Alain Soral ces derniers jours.

Pendant que lui est dans la difficulté, ostracisé même dans les sphères fascistes parce que dévoré par la génération suivante de néo-nazis, condamné à de multiples reprises, c’est donc un plumitif du Figaro, un conservateur ‘extrême-droite qui n’a jamais quitté les sphères de la respectabilité bourgeoise, qui sur C News, en pleine lumière, énonce, conscient de son propos et avec gourmandise, la transgression négationniste qui, très logiquement suit toutes celles de Zemmour sur Vichy. On sort du territoire français, du débat éternel sur Pétain, pour aller vers le chapitre final, celui où non plus seulement la collaboration de Vichy à l’extermination, mais le processus du génocide commis par les nazis lui même peut être nié.

Cette fois, c’est à un de ses symboles internationaux que l’on s’attaque, sur C News, soit une chaîne d’infos comme une autre. Comme une autre car il reste bien peu de gens dans ce pays pour la qualifier de média d’extrême-droite, son propriétaire étant aussi celui d’innombrables organes de presse.

Désormais en France, en 2022, c’est la réalité du ghetto de Varsovie, celle de l’antichambre des camps d’extermination que l’on nie .

La situation est si dramatique pour la lutte contre l’antisémitisme, pour la bataille de la mémoire que la réponse des historiens et des militants antifascistes est en elle-même une défaite. Désormais l’on répond aux imposteurs et aux fascistes, avec des efforts désespérés, on répond aux sollicitations médiatiques , à ces journalistes qui mettent  à égalité les négationnistes et les historiens, cinq minutes chacun

“Alors pour ou contre l’existence de tel ou tel fait établi sur un génocide , à ma droite, un homme d’extrême-droite, à ma gauche un historien sans qualités particulières dans le débat politique français”.

Voilà où nous en sommes.

Mais comment le bon docteur Rioufol, qui se pique désormais de questions de santé sur la pandémie en sus de se piquer d’histoire, en est-il arrivé à ce succès ?

La réponse est simple mais manque dans la plupart des réactions indignées à ses propos. Rioufol  est  avant toute chose, un des pionniers de l’islamophobie française d’extrême-droite et l’un de ceux qui a réussi à exploser toutes les frontières de son camp pour le faire grandir à l’infini. En n’ayant absolument jamais cessé de propager, en même temps, la petite musique antisémite.

Pour s’en convaincre, l’on peut remonter quinze ans en arrière. Et relire une de ses tribunes de 2006, sur la liberté d’expression, publiée, déjà, dans le Figaro Vox. Avec le recul, elle était un plan de bataille, parfaitement accompli depuis. A ce moment, Ivan Rioufol se félicite de la prise de parti unanime pour Robert Redeker, qui avait été menacé de mort après avoir déclaré que l’islam était, originellement et complètement une religion de haine et de violence, contrairement aux autres monothéismes. Après des jours de débat, de nombreux intellectuels et politiques avaient franchi un pas, dans une tribune qui déclarait que le seul soutien possible face aux menaces de mort était le soutien sans réserves à ses propos. Il ne s’agissait donc déjà plus de défendre les libertés démocratiques face à un danger physique mais aussi de soutenir complètement des propos racistes, ou a minima de garder le silence sur leur caractère raciste. Dans cette tribune, qui acte cette victoire, Ivan Rioufol note cependant qu’elle est bien insuffisante. Pour lui, en effet, la tyrannie des minorités est loin de résumer à l’islam et aux musulmans. Il s’agit aussi de lutter contre la loi pénalisant le négationnisme du génocide commis par les nazis contre les Juifs et également de s’attaquer à la prétendue toute puissance de la “communauté gay “.

La lutte contre les musulmans y est présentée comme une sorte de cheval de Troie, qui permettra de faire triompher les autres objectifs d’oppression de l’extrême-droite, si l’on sait s’y prendre.

Le bon docteur Rioufol savait s’y prendre. Dans les années qui suivirent, moins en lumière qu’Eric Zemmour, il poursuivit un patient travail de polémiste et de militant déjà intégré dans la sphère politique de droite. Sans jamais cacher ses liens avec l’extrême-droite organisée, il s’attacha cependant à développer ses liens avec d’autres sphères politiques, d’autres intellectuels de droite ou autrefois de gauche qui avaient un seul objectif en tête,  l’islamophobie.

Faisons un saut dans le temps, pour s’arrêter à un jalon important dans le travail du polémiste. En 2018, à un mois d’intervalle paraissent deux tribunes intitulées respectivement “ Cent intellectuels contre le séparatisme islamiste” et “Manifeste contre le nouvel antisémitisme“. Le terme “séparatisme”  à l’époque ne fait pas encore pleinement partie du discours du pouvoir, et personne n’imagine encore qu’il sera le nom d’une loi. C’est cet appel qui va l’imposer dans le débat public, à la place du terme “communautarisme”.

La raison en est assez simple. L’extrême-droite raciste et antisémite ne peut jamais s’imposer culturellement sans le concours d’une partie de ses victimes potentielles. Le soralisme et son hégémonie culturelle, même dans certaines parties de la gauche au cours des années 2010, n’aurait sans doute pas été aussi puissant s’il n’avait eu le concours de Dieudonné, figure antiraciste historique de la période précédente.

De la même manière, cette tribune des 100 intellectuels qui va marquer finalement le tournant idéologique du mandat d’Emmanuel Macron a une particularité: elle réunit Ivan Rioufol, polémiste d’extrême-droite qui a combattu de toutes ses forces la protection de la mémoire de la Shoah par les lois antiracistes…mais aussi le président de la LICRA, et un historien qui fut longtemps au  Mémorial de la Shoah, Georges Bensoussan. Lequel s’est fait connaître du grand public en déclarant que les arabes tétaient l’antisémitisme au sein de leur mère. Et a dans un premier temps été maintenu dans ses responsabilités au Mémorial (1).

En treize ans, Ivan Rioufol avait donc fait du chemin. Avec son cheval de Troie, l’islamophobie, il avait réussi à amadouer une partie du champ de la lutte contre l’antisémitisme, et notamment la direction de la plus vieille association antifasciste française, la LICRA. Laquelle incarnait depuis quelques années un triste antiracisme qui ne l’était plus, exact miroir du dieudonnisme. Là où la galaxie soralienne entendait exclure les Juifs et les stigmatiser au nom de la lutte contre la négrophobie, le racisme anti-arabes et contre l’oppression des Palestiniens, la LICRA avait pris un parti jumeau : exclure les musulmans et les stigmatiser au nom de la lutte contre l’antisémitisme et contre le terrorisme djihadisme.

Dans les deux cas, le geste d’exclusion s’accompagnait de la réintégration non seulement théorique mais structurelle de l’extrême-droite dans le champ politique classique (2).

La seconde tribune contre le soit disant “nouvel antisémitisme” sera encore plus catastrophique. D’abord par le nombre de signataires et leur qualité. Ivan Rioufol y siège aux côtés de l’ancien maire de Paris, d’un président de gauche mais aussi d’historiens et d’historiennes de la Shoah. Sur le fond, et sous prétexte de dénoncer des crimes antisémites et terroristes bien réels qui marquent le retour de la violence meurtrière contre les Juifs en France, elle dédouane totalement toutes les autres formes d’antisémitisme présentes, et finit par avertir que “La France ne sera plus la France” en vertu de ce seul antisémitisme attribué aux musulmans. Elle exige de purger le Coran de certains versets , c’est à dire que l’ensemble des imams déclare, sur ordre de non-musulmans qu’un livre saint est nul et non avenu. Demande grotesque et inatteignable sciemment, qui n’a jamais été formulée à l’égard d’une autre religion en France. Demande anti-laïque par une tribune dont l’initiateur Philippe Val se réclame de la laïcité. La tribune se termine par ” Sinon la France ne sera plus la France”.

Or la France, c’est aussi Vichy. La France c’est aussi un pays coupé en deux par l’affaire Dreyfus. Et la France, c’est aussi Ivan Rioufol qui exige de purger le Coran mais a toujours défendu sans faille la liberté d’expression de Dieudonné et des négationnistes. Et la France, quatre ans plus tard, sera celle où un candidat qui réhabilite un régime antisémite et son dirigeant en prétendant en même temps lutter contre l’antisémitisme, aura toutes les chances d’accéder au deuxième tour de la présidentielle.

L’extrême-droite, par définition reste toujours droite dans ses bottes et ne renonce jamais à aucun de ses fondamentaux, même lorsque par stratégie, elle fait mine de céder sur un point ou sur un autre pour pénétrer des sphères élargies du débat public. Historiquement et charnellement, elle est en France et en Europe une matrice construite sur l’antisémitisme depuis le milieu du 19ème siècle. Et de même qu’elle ne renoncera jamais à Maurras, elle ne peut pas renoncer à son héritage, celui qui lui a apporté la victoire pratique , le nazisme et l’antisémitisme d’état. Ce n’est pas qu’une fidélité symbolique. Mais une nécessité pratique.

Qu’il s’agisse de reconstruire l’offensive contre les immigrés ou de faire de l’islamophobie une religion d’état, la vision du monde antisémite, celle du complot des minorités orchestré par la soit-disant plus puissante d’entre elles lui est nécessaire. Sans quoi il n’est pas de réhabilitation possible du nationalisme intégral après la Shoah.

C’est une des raisons pour lesquelles Eric Zemmour ne lâche rien sur Vichy et Pétain. Pas plus qu’Ivan Rioufol ne lâchera quoi que ce soit sur ce qu’il estime essentiel, à savoir la liberté de dire tout et n’importe quoi sur le génocide commis par les nazis et sur Vichy . Liberté qu’il défend aussi évidemment pour ne pas se déconnecter de ce qu’il estime être une lutte du «peuple » contre les « élites mondialistes. Si Rioufol a fait cette déclaration sur le ghetto de Varsovie à propos des antivaxx, c’est aussi qu’à l’instar de Zemmour, il est depuis le début de la pandémie sur une position darwiniste sociale. Celle de la lutte contre toutes les restrictions sanitaires, le confinement, le port du masque, l’arrêt de certaines activités économiques pour empêcher la propagation du virus.

La liberté qu’il défend pour les personnes non vaccinées n’est à aucun moment celle que peuvent défendre des progressistes au nom d’une politique sanitaire préventive et solidaire qui ne stigmatise ni n’exclut  personne, mais celle consistant à assumer de sacrifier les faibles pour le bien de la Nation.

Mais la situation politique actuelle, liée en grande partie au fait que le camp dit universaliste et de gauche a choisi sciemment de renoncer à tout universalisme et au mieux, d’afficher une indifférence vaguement gênée face à l’islamophobie, signe finalement la victoire du bon docteur Rioufol.

Un propos aussi complaisant avec le négationnisme, aussi ordurier contre les victimes du nazisme aurait déclenché son exclusion du champ médiatique il y a quelques années. Nous tous, ce « nous » qui combattait l’antisémitisme ET tous les racismes autrefois, nous aurions gagné. Nous avons gagné en partie contre Dieudonné qui a été viré du champ médiatique « normal » pour beaucoup moins que ça.

Mais aujourd’hui, le champ médiatique normal, c’est C News et bien au delà, tous les charlatans d’extrême-droite invités régnant en maitres du jeu sur presque toutes les chaînes, dans presque tous les journaux. Un champ médiatique où  la soit disant « révision » de l’histoire de Vichy et du nazisme, c’est à dire le retour de la version d’extrême-droite sur le sujet est parfaitement admise…dès lors qu’on la marie avec la dénonciation obsessionnelle du complot, non pas sioniste, mais islamiste.

Dans ce contexte, les cris d’orfraie de ceux qui qui ont introduit Rioufol dans les espaces républicains et antiracistes font peine à voir, à peu près comme ceux des mêmes devant les propos d’un Darmanin réhabilitant l’antisémitisme napoléonien. Que peut désormais un Raphaël Enthoven contre Rioufol, lui dont les amis du Printemps Républicain ont signé des appels avec le polémiste d’extrême-droite ? Que peuvent les acteurs de la lutte contre l’antisémitisme et pour la mémoire de la Shoah quand ils se retrouvent confrontés à la puissance de feu des Goldnadel et de tous les prétendus mobilisés contre un « nouvel antisémitisme » , mobilisation qui n’a jamais consisté qu’à instrumentaliser un antiracisme pour le dresser contre un autre et le détruire, finalement. Exactement comme l’a fait Dieudonné, en miroir inversé.

Que peuvent les militants sincères contre l’antisémitisme et même les historiens qui rament depuis des mois, humiliés par une situation où ils sont sommés de prouver des vérités mille fois établies sur Vichy , et à qui bientôt, après avoir demandé s’il était bien faux que le ghetto de Varsovie ait été créé pour faire œuvre de salubrité publique, l’on demandera sans doute si comme tel ou tel polémiste finira par l’affirmer  sur C News, à Auschwitz l’on gazait vraiment autre chose que des poux.

En réalité, nous pouvons une chose extrêmement simple. Redevenir universalistes. C’est à dire arrêter de dénoncer ce que dit Rioufol sur le ghetto de Varsovie, sans évoquer ce qui est son cheval de Troie, désormais intégré par tout le champ politique ou presque, son discours fasciste contre le soit disant séparatisme musulman. Arrêter de nous comporter en antifascistes de la périphérie, en gardiens dérisoires et inefficaces du dernier rempart, arrêter ce “No pasaran au moins juste sur la Shoah quand même” qui tient lieu de combat rabougri contre l’antisémitisme depuis plusieurs années.

Nous pouvons revenir à une conception toute simple , toute bête de l’antiracisme. Nous rappeler que le débat principal quand le fascisme est aux portes du pouvoir, et considéré avec complaisance par celui-ci, quand l’acharnement contre une minorité est à son summum, que la question n’est pas celle de ce qu’est réellement cette minorité, mais de combattre ceux qui veulent l’oppresser ou la détruire.

Nous rappeler que face aux antisémites il n’y a pas de question juive. A l’heure actuelle, cela revient très exactement à se rappeler, et principalement; que face aux islamophobes, il n’y a pas de question musulmane.

Si la lutte contre l’antisémitisme consiste à ne jamais relativiser la Shoah, elle ne consiste pas cependant à en faire un objet à part et an-historique, isolé tellement qu’à la fin, on finisse par ne plus oser rien dire contre les nouveaux nazis dès lors qu’ils tapent sur les musulmans. Voir même à s’allier avec eux pour pleurer vainement quand brusquement les voilà qui nous rappellent ce qu’ils n’ont jamais cessé d’être.

Sans quoi, la victoire d’Ivan Rioufol sera suivie de bien d’autres et pas seulement contre les musulmans. La preuve, lorsque Jean- Marie Le Pen avait parlé du “détail de l’histoire”, le scandale avait duré des mois. Lorsque Dieudonné, en 2004 avait assumé ouvertement son antisémitisme, le scandale avait également été important, et suscité son exclusion de nombreux espaces médiatiques.

Le maigre tollé déclenché par les propos infâmes de Rioufol aura duré vingt quatre heures , étouffé sous les cris de haine islamophobes, et aboutira ….à une saisine du CSA. Le CSA dira sûrement que c’est très, très mal .

A nous de voir si nous voulons nous contenter de ça.

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(1) Au moment où le manifeste est publié, Georges Bensoussan est en réalité en train d’être mis à la retraite d’office , ses propos et ses alliés devenant de plus en plus gênants. La chose se saura quelques semaines plus tard, lorsque ses soutiens publieront des textes en défense dénonçant les ” Juifs de cour ” , l”élite ashkénaze” du Memorial de la Shoah et autres termes dignes des sites antisémites .

(2) La LICRA alla même jusqu’à inviter Rioufol, qui défendait ouvertement la théorie raciste et antisémite du Grand Remplacement à ce moment là, ayant abandonné la fausse pudeur du soutien à la liberté d’expression de Renaud Camus depuis longtemps, à son salon du livre antiraciste. Fdesouche, ayant communiqué sur l’invitation, l’association finit par annuler son invitation, accusant sa section parisienne de l’avoir fait à l’insu des autres….mais en trois lignes et sans donner aucun argument sur les raisons du retrait de l’invitation et donc sans condamner les positions de Rioufol

PrecairE, antiracistE

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