Face au déferlement des hommages issus de la gauche sur les réseaux sociaux à l’occasion de la disparition de Pierre Rabhi, il semble utile de rappeler les inspirations du personnage et de décrypter son « modèle » philosophique, politique et agricole. Un personnage et un « modèle » comme une seule imposture, aux antipodes des valeurs des Lumières, de progressisme, d’humanisme, et d’émancipation du système capitaliste, patriarcal et colonial.
1-Pierre Rabhi était contre le mariage pour tous, considérant les homosexuels et les familles homoparentales comme anormales.
“La validation de la famille homosexuelle est “dangereuse pour l’avenir de l’humanité”, car “par définition inféconde” (« Pierre Rabhi, semeur d’espoirs », 2013).
Dans un entretien à Reporterre (2013), il comparera la PMA à l’agriculture chimique…
Il déclare sur RCF (2014) que « pour qu’il y ait procréation, il faut mâle et femelle (…). Une chèvre a besoin d’un bouc, la vache a besoin d’un taureau. Donc ça c’est une loi invariable à laquelle même les homosexuels doivent leur propre existence. » Et à propos des enfants de couples homosexuels, à propos des enfants élevés par des couples homosexuels : « C’est à dire qu’il risque d’être mis devant un fait accompli d’avoir deux papas et deux mamans et de n’être pas dans ce qu’on appelle la norme. Et quand on dit la norme c’est la norme, on ne peut pas tourner autour du pot, il ne peut pas y avoir de procréation sans un homme et une femme. ». On ne sera donc pas surpris de le retrouver aux côtés de La Manif pour tous.
2-Misogyne, il considérait que la fonction principale des femmes était une fonction reproductive.
Et il prônera en lieu et place de l’égalité femmes-hommes… la complémentarité.
Il déclare dans Kaizen (Hors-série Spécial Anniversaire Pierre Rabhi – Edition 2018) «Il ne faudrait pas exalter l’égalité. Que la femme soit la femme, que l’homme soit l’homme et que l’amour les réunisse”.
3-Pierre Rabhi a toujours baigné dans un environnement idéologique d’extrême-droite.
Il semble assez fier d’avoir été étant jeune pour l’Algérie française.
Il est le disciple de Gustave Thibon, monarchiste, catholique intégriste, source intellectuelle de l’idéologie ruraliste de Vichy, fan déclaré de Charles Maurras dans les années 60s au moment de sa rencontre avec Rabhi, et proche de Bernard Antony dans les années 90s, ex-député européen FN chef de file des catholiques traditionalistes du parti.
Il n’est gêné en rien qu’un colloque sous son égide aie pour partenaire l’IPSN (Institut pour la Protection de la Santé Naturelle), lobby d’extrême-droite mêlant considérations mystico-religieuses et écologie.
Etienne Chouard, ami des négationnistes, a été invité régulièrement par l’association des Colibris.
Certes il n’est pas responsable du négationnisme de son fils, mais fait surprenant, en tant que personnage public, il ne s’est jamais désolidarisé de ses idées, se contentant d’un « chacun trace sa route » lorsqu’il était interrogé.
Il est également proche des catholiques conservateur Pierre Richard et Henri Soulerin, tous deux passés par les Chantiers de la jeunesse — l’organisation paramilitaire mise en place par le régime collaborationniste de Vichy pour promouvoir la « révolution nationale ».
4-La philosophie de Rabhi est fondamentalement anti-sociale et complètement soluble dans le capitalisme
D’un point de vue philosophique, il exprime un rejet méprisant pour la critique des mécanismes sociaux et ne pense rien des inégalités sociales, préférant la question mystique « pourquoi sommes-nous sur terre ».
Rabhi fait dès 1995 l’éloge de la pauvreté, qu’il présente comme une « valeur de bien-être ». Plus tard ce concept sera présenté comme la « sobriété heureuse », qui assume son caractère ultra-libéral en rejetant la protection sociale (qu’il nomme « secourisme social »), luxe répréhensible, parce que reposant sur la production de richesses.
Avec son association Colibris, il fait de la publicité pour Ecover, devenu le premier fabricant mondial de produits d’entretien 100% écologiques. On y trouve aussi de la pub pour Weleda, Jardin Bio et d’autres qui ont financé sa campagne 2012 « tous candidats »
5-Pour Rabhi, la sobriété, c’est pour les autres
Pierre Rabhi prêche des valeurs de désintéressement à l’égard de la chose matérielle et, on l’a vu, prône même la pauvreté comme une valeur positive.
En revanche, lui ne reverse pas les revenus de ses conférences (1 000 € la conférence) aux associations qui promeuvent ses idées, et il ne rémunère pas sur ses fonds son assistante personnelle.
6-Obscurantiste rejetant les Lumières, Rabhi était attiré par l’ésotérisme, et il cautionnait les pseudo-sciences.
Il considère que la spiritualité et la prise en compte du divin sont indissociables d’un modèle agricole viable. Il écrit « Avec l’affirmation de la raison, nous sommes parvenus au règne de la rationalité des prétendues Lumières, qui ont instauré un obscurantisme moderne » (Manuel des jardins écologiques, 2012)
Particulièrement proche de l’anthroposophie de Rudolf Steiner, il dit notamment s’inspirer de Krishnamurti, gourou New age présenté comme la réincarnation de Jésus Christ.
Il est intervenu à plusieurs reprises aux côtés du Professeur Joyeux, star des antivax qui prétend vouloir soigner Alzheimer avec du jus de papaye fermentée.
Il est également intervenu aux côtés de Nadine Schuster, « médecin quantique » qui a été radiée de l’Ordre des médecins pour avoir prétendu soigner ses patients du sida et du cancer par l’homéopathie et l’imposition des mains.
On le retrouve également au côté d’Hervé Janeck, vétérinaire qui affirme que la « télépathie est justifiée par la physique quantique », ou d’Olivier Soulier, médecin qui prétend soigner l’autisme et la sclérose en plaques par l’homéopathie et l’acupuncture.
Dès les années 1970, René Dumont, père de l’écologie politique dénonçait les pratiques de Rabhi, ne reposant sur aucune trajectoire scientifique, comme une pseudo-science agricole, reposant sur des concepts tels que les ondes vibratoires cosmiques. Encore aujourd’hui, à la ferme de Beaulieu (cf. plus bas), vitrine des pratiques de Rabhi, on utilise couramment un estomac de cerf rempli de fumier soumis à la captation des énergies cosmiques aqueuses de Venus.
7-L’agro-biologie pour nourrir l’humanité ? Une imposture…
Pour être agriculteur, et non pas jardinier, il faut produire de la nourriture en quantité suffisante pour se nourrir soi-même et pour nourrir un minimum autrui.
La ferme de Beaulieu, gérée par Terre et Humanisme (ex association Les amis de Pierre Rabhi) censée être la vitrine des pratiques agricoles prônées par Pierre Rabhi, est de ce point de vue la vitrine d’un échec. Le compte-rendu de visite en 2012 par l’Association Française d’Information Scientifique est édifiant.
L’équilibre économique ne fonctionne que grâce aux 9 000 heures de travail gratuit des bénévoles et aux 70 000€ payés par les stagiaires.
Au bout de 14 ans de pratique dans un hectare expérimental, aucune collecte de données n’a été effectuée sur les expériences. Aucune plantation-témoin à côté de leur plantation-test pour comparer la technique testée et juger de son bénéfice éventuel. Bref, aucune notion en terme de procédure expérimentale.
Le résultat de la production est désastreux. Pierre Rabhi prétend pouvoir nourrir la planète, mais l’exploitation ne parvient même pas à nourrir les bénévoles qu’il fait travailler. Il faut faire financer la ferme par des dons et faire appel à des intrants extérieurs. Le modèle ne fonctionne pas.
8-Le modèle Rabhi, un modèle écolo-ethnocentriste, sinon colonial
Pierre Rabhi explique que les méthodes agroécologiques qu’il promeut sont capables de nourrir 9 milliards d’habitants au XXIe siècle.
Pour cela, il prétend avec son association Terre et Humanisme aller dans d’autres endroits du monde expliquer aux paysans comment il faut s’y prendre chez eux pour assurer leur subsistance (alors que les « formateurs » ne sont déjà pas capables de le faire pour eux).
Or les paysans du Mali ou du Cameroun, eux, n’ont pas des donateurs croyants pour les soutenir financièrement ou pour leur fournir des centaines d’heures de travail gratuit. Et pour l’instant, ce sont l’accès à des intrants, à des pesticides ou des engrais chimiques et le développement de la mécanisation qui leur apportent la perspective de sortir du schéma de l’agriculture d’autosubsistance qui fait que la majorité des gens qui souffrent de faim sur cette planète sont paradoxalement des paysans, à qui le système économique refuse les moyens de sortir de la pauvreté.
La meilleure critique du système Rabhi vient ici de René Dumont (« Seule une écologie socialiste … », 1977), qui considérait qu’il n’y pas de question écologiste sans question sociale, et qu’il n’y a pas de transition écologique permettant la nécessaire réduction de la place de l’industrie chimique dans l’agriculture sans critique structurelle du capitalisme. « L’écologie socialiste est bien davantage que l’idyllique souci des arbres, des rivières et des petits oiseaux : il s’agit de « réinventer toute notre civilisation » et l’économie des ressources universelles ». Avant d’ajouter à propos du système Rabhi que « Toutes les expériences faites en milieu tempéré ne valent à peu près rien sous climat tropical. L’écologie est une discipline scientifique : n’allons pas la discréditer, lui enlever sa valeur, sa rigueur, en conseillant des techniques qui n’auraient pas été mises au point dans les conditions locales. » Et certainement pas au prix de l’exploitation des travailleurs, ni à celui de la faim.
Sources :
Le Monde Diplomatique: Le Système Pierre Rabhi
Paris Luttes Info: La Caution morale et médiatique des sectes
France Bleu: L’école privée de Sophie Rabhi épinglée pour travail dissimulé
AFIS ardèche: Terre et humanisme, notre visite chez des agrosécologues ardechois
Conspiracy Watch: Gabriel Rabhi, jusqu’aux confins du négationnisme
Yann Kindo: Pierre Rabhi : naturellement réac, gentiment homophobe
Le Monde Diplomatique: Retour sur « Le système Pierre Rabhi »