"Je n'ai pas vécu la liberté, mais je l'ai écrite sur les murs" (la révolution syrienne)

Folklore de la zone mondiale, spectacle, tendresses, grimaces et solidarités

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Comme d’habitude, on fera d’abord la grimace. On n’aime pas les têtes, celles qui prennent toute la place sur l’affiche, parce qu’elles ont la gueule de l’emploi de l’actu du jour. D’accord, on n’aimait pas le “carré de tête”, ses dirigeants compassés, bras dessus, bras dessous, soigneusement sélectionnés et par qui d’abord, pas par ceux qui manifestent derrière, bien plus larges que les seuls syndiqués. Mais que le cortège de tête lui soit passé devant, on n’aime pas non plus. C’est plus facile d’en être, diront-ils sous les cagoules, oui mais qui a décidé que la tête de cortège devait porter cagoule, casser des trucs, et avoir des banderoles spirituelles et décalées ? Même si ça fait tellement rire de voir les obtus de BFM TV les commenter, la question reste, qui a décidé ?

C’est toujours la même chose, on voudrait qu’il n’y ait pas de tête. Mais toutes les têtes, celles qui luttent timidement, celles qui sont venues juste pour marcher, c’était le 1er mai, le 1er mai, c’est le jour de tout le monde et donc, oui, du plus petit dénominateur commun, désolés, on est certains à avoir des désirs modestes, certains jours, juste marcher. Et être vus à marcher.

Enfin, bref, tout cela on se le dit le soir, on est plein de contrariété, le sentiment toujours d’être invisibilisés, coincés entre les carrés de tête et les cortèges de tête, et la solution un peu pareille que le mal, on compte pour que dalle, devant ces visibilités.

Et puis après, ça commence à causer. Scandale, scandale un Mac Do a été cassé, et des voitures brûlées.

Sinon,dimanche à Versailles un vendeur à la sauvette s’est fait poursuivre parce qu’il vendait des Tours Eiffel, et puis il s’est fait écraser, et puis il est décédé. Pas de scandale, pas de questions angoissées, mais qui était cet homme qui est mort brutalement, la veille d’un jour férié, où il aurait travaillé, de toute façon, pour ne presque rien gagner. Voilà, il est mort d’avoir travaillé, d’avoir voulu manger.

Qui sont les cagoulés ? C’est cela la question prioritaire, primordiale, la seule question sociale ? On ne sait pas, on sait juste, qu’ils sont vivants et que symboliquement, ils font tout péter. Symboliquement, c’est juste un moment, ils font suer, à se la raconter, immobiles et photogéniques en direct sur BFM TV, sérieusement ça prend toute la place et demain, non, les choses n’auront pas tellement changé. Mais quand même, c’est un beau conte de fées qui console de la triste réalité. Ces images qui n’arrêtent pas de tourner, les rues désordonnées, l’éclat du feu et la fumée, ces silhouettes qui n’arrêtent pas de bouger, et ont même pensé à ce truc décalé, une sono qui passe un vieux tube d’Alizé. Fallait y penser, et ça fait tellement rire, tout ce chaos sur BFM TV. Ca console, de ce monde où l’on rit peu.

Qui sont les cagoulés ? Peu importe, quelques étoiles dans nos yeux de précaires désabusés, persuadés de mourir avant de voir ce sale monde changer. Pas qu’on ait un complexe d’infériorité. De nos luttes minuscules, patientes et invisibilisées, on connaît la nécessité et la beauté.

Les maudire gentiment, souhaiter qu’ils nous laissent un peu la tête, qu’ils aillent un peu derrière faire vivre leurs rêves de révolutionnaires, les trouver orgueilleux, agaçants, à prendre toute la lumière du printemps, pendant qu’on rame dans le y’a pas de saisons de nos vies précarisées, où l’on n’ose pas toujours oser.

Et puis quand même leur dire merci pour ce moment. Offert à toutes celles et ceux que personne ne voudra jamais syndiquer et qui de toute façon n’en auraient pas trop l’idée. Vendeur à la sauvette, toxico ou zonard fatigué, abonné aux petits boulots qu’on n’aime pas, au quartier qu’on n’a pas chois. Ni friqué , ni émeutier, juste fatigué, souvent même de manifester. Bon, sous la cagoule au moins, on peut s’imaginer, nous qui n’avons pas tellement d’identité valorisée, ni par les patrons, ni par les représentants des syndiqués. Nous qui pouvons nous battre pour des droits minimum, parce qu’il faut bien , parce que c’est toujours moins pire que rien, parce que la révolution, ce ne sera peut-être pas demain.

En tout cas, on ne peut pas y compter, nous dont les vies se passent à compter, même pas les petits plaisirs, non, le coût des simples nécessités. Nous qui ne sommes pas tous vendeurs à la sauvette, pas tous réfugiés, pas tout aussi horriblement écrasés, mais dont les vies, quand même se passent banalement, un peu en dessous, un peu au dessus du seuil de pauvreté, c’est comme ça, c’est le capitalisme. Même bien réformé, il garderait son pourcentage de vies à moitié brisées, jamais rêvées, jamais valorisées.

Le cortège de tête, cette masse énervante à qui on a envie d”hurler de s’arrêter, que ça sert à rien, de foutre la zone pour des grands rêves qui ne vont pas se réaliser juste par la magie des rues embrumées et du bruit féérique des vitrines brisées. Le cortège de tête qu’on a envie de caricaturer, orgueilleux, arrogant, le luxe de passer à la télé avec des banderoles contre le spectaculaire intégré, ça va bien, les gens faut arrêter. Le cortège de tête, à qui on dira finalement, sans rancune, tendresse et solidarité quand on verra tout ce scandale pour un fast food cassé et ce silence en mode normal, un précaire est décédé, parce qu’il travaillait pour gagner à peine de quoi manger.

Folklore de la zone mondiale, c’est déjà ça, c’est déjà ça, ça fait rager les sales bavards qui laissent ce sale monde tourner, et des gens se faire poursuivre et écraser, juste parce que c’est interdit de vendre des Tour Eiffel en plastique pour manger.

PrecairE, antiracistE

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