"Je n'ai pas vécu la liberté, mais je l'ai écrite sur les murs" (la révolution syrienne)

Christchurch: le conspirationnisme comme légitimation de la lâcheté meurtrière.

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« The unarmed invader is more dangerous that the armed ».

L’envahisseur non armé est plus dangereux que l’envahisseur armé. Dans le long pensum de Brenton Tarrant, c’est cette phrase là qu’on doit retenir. Celle qui entend justifier un récit où le lâche serait un preux chevalier. Cette phrase là qui au fond est la pierre de touche de tous les militantEs racistEs. Cette inversion du réel, transformé en récit héroïque. C’est une des fonctions principales de la théorie du Grand remplacement : faire d’une offensive impitoyable contre des innocents désarmés une guerre où des combattants courageux affronteraient des ennemis surpuissants.

Mais les tueurs d’extrême-droite en Europe, aux Etats Unis ou en Nouvelle Zélande n’affrontent personne. Ils tuent, seulement. Tarrant a cité cinq tueurs censés être les « chevaliers » de son armée fantasmée.

Tuer

Breivik, qui a tué des jeunes gens désarmés dans un camp d’été de militantEs travaillistes, en leur tirant dessus à bout portant. Breivik, chevalier en lutte contre la Terrible Démocratie, mais qui de sa prison en appelle à la convention européenne des droits de l’homme pour améliorer ses conditions de détention.

Luca Traini, ensuite. Luca Traini, ancien candidat de la Ligue du Nord, actuellement au pouvoir en Italie a commis une équipée sanglante dans les rues de Macerata le 3 février 2018. Armé, pendant deux heures de raid raciste, il a tiré sur une dizaine de personnes noires, par surprise, avant de faire le salut fasciste et de se rendre sans combat à la police. Condamné plutôt légèrement à douze ans de prison, il a été très soutenu dans un pays gagné par la fièvre fasciste qui allait élire l’extrême-droite à peine un mois plus tard.

Dylan Roof, le 18 juin 2015, a tué dans une église en Louisiane, dont il savait qu’elle était fréquentée par des personnes noires majoritairement, en plein office. Là aussi, il a choisi ses cibles et son moment, certain de pouvoir tuer sans combat. Neuf victimes. Lors de son procès, des survivantEs et des proches des victimes sont intervenues pour lui éviter la peine de mort.

Anton Lundin Petersson a assassiné à l’épée, en novembre 2015, en Suède, trois personnes, deux mineurs de quinze ans qui avaient fui la violence en Syrie et en Somalie, et un professeur, qui a sacrifié sa vie pour sauver des élèves. Le tueur, en effet, avait choisi un établissement scolaire fréquenté aussi par de jeunes enfants, dont il savait que beaucoup étaient issus de l’immigration.

Darren Osbourne, a commis un attentat à la voiture-bélier à la mosquée de Finsbury Park. Il a foncé sur un groupe de fidèles qui tentaient d’aider un homme victime d’un malaise cardiaque. L’homme est décédé, d’autres ont été blessés.

Un camp d’été, des jeunes gens en vacances. Des lieux de culte, où l’on se rend sans se méfier, pour prier. La rue, où l’on tue des passants par surprise. Voilà le terrain de la « guerre » menée par les soit-disant héros de la lutte contre le « Grand Remplacement ». Une guerre où l’on n’affronte pas de soldats, mais où l’on peut même tuer des enfants, en prétendant qu’ils sont plus dangereux que tout.

Toujours au pluriel

Il y a évidemment un côté tragiquement risible dans tout cela. Risible et méprisable.
Mais dans toute l’Europe, des hommes prêts à tuer ne se voient pas comme ces lâches qu’ils sont. Parce qu’ils sont soutenus par une rhétorique conspirationniste puissante, islamophobe ou antisémite, celle du Grand Remplacement, mais qui n’a pas besoin d’être appelée ainsi, de même qu’il n’y a pas besoin de parler de « Blancs » pour que le récit joue son rôle de légitimation à l’oppression.

L’assassin a donc voulu que sa lâcheté et son goût du sang soient une geste héroïque qui puisse être revendiquée par tous les courants mondiaux de l’extrême-droite et des fascismes. Il s’est rêvé en héros universel, en star des réseaux sociaux. Son manifeste d’ailleurs est symptomatique : Tarrant semble se donner une interview à lui même, se pose les dizaines de questions qu’il rêve que le monde lui pose, allant jusqu’à s’imaginer des interlocuteurs de différents courants politiques ou exprimer son absence de regrets à l’avance.

Les élucubrations qui constituent l’essentiel du manifeste de Tarrant sont d’une banalité extrême : les musulmans sont l’avant-garde la plus consciente de tous les immigrés, de tous leurs descendants qui menacent l’Europe et l’Occident, de par leur seule présence et sont coupables de toute façon, d’être venus, ou d’être nées de femmes qui sont venues d’ailleurs. Mais comme tous les autres, dans son manifeste, Tarrant évoque aussi les responsables de la mondialisation et de la globalisation, et évidemment les « banquiers » dont Macron est le pantin. Un discours somme toute très classique, à vrai dire presque exactement sur ce point, celui que Marine Le Pen a tenu la veille de la tuerie sur une grande chaîne de télévision face à Jacques Attali.

Les tueurs fascistes ne sont jamais isolés, et ce que Tarrant a rédigé est un torchon d’extrême-droite banal, une synthèse plate de toutes les tendances. Couverture ornée d’un symbole néo-nazi, galimatias vite fait à vocation socialisante aussi : Tarton qui se revendique « working class » place ici et là quelques phrases vaguement anti-capitalistes, la rhétorique sur les immigrés qui ont été appelés pour faire baisser les salaires notamment par Angela Merkel, des mots qui pourraient être trouvés dans n’importe quel tract de l’UPR ou du FN.
Tarrant a d’ailleurs pris soin de décomposer son manifeste en tracts pré-imprimable pour qui souhaitera se réapproprier les mots

Appel à constituer de petits groupes ou à agir seul en des termes semblables à ceux des groupes néo-nazis américains, dont il reprend d’ailleurs à plusieurs reprises leurs théories sur la nécessaire destruction de l’Etat fédéral, notamment en montant la population de certains états « blancs » à ses yeux contre toute tentative de législation sur port d’armes. Et en même temps rhétorique anti-impérialiste empruntée aux courants nationaux-révolutionnaires concernant la nécessité de faire sortir définitivement les Etats Unis de l’OTAN afin que l’Europe récupère sa souveraineté.

La synthèse de la lâcheté meurtrière

L’extrême-droite, partout, quel que soit le nom qu’elle se donne est avant tout cela. Une lâcheté meurtrière qui s’appuie sur un récit conspirationniste pour inverser le réel, et faire des victimes, les bourreaux.

C’est en cela que le tueur néo-nazi Tarrant qui met un soleil noir en ouverture de son manifeste est malheureusement universel dans la période : universel, parce qu’il a le visage de Donald Trump construisant un mur à sa frontière, séparant des enfants immigrés de leurs parents en prétendant qu’ils font partie du péril mortel qui menace les Etats Unis. Trump qui prend soin de préciser qu’en revanche, le suprémacisme blanc dont se revendique Tarrant n’est pas du tout une menace

Universel parce qu’il a le visage des hordes miliciennes qui ont élu Bolsonaro au Brésil et pourchassent les homosexuels et toutes les minorités. Universel, parce qu’il a aussi le visage, de toutes celles et ceux qui nous disent qu’il est normal que des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants se noient en Méditerranée , qu’il faut couler ou empêcher d’aborder les bateaux, car à l’intérieur, il y a des monstres qui menacent notre prétendue « identité ». Universel, parce qu’il a le visage de ces islamophobes éructant «  Danger, danger » devant les femmes voilées, persécutant des femmes au nom de la lutte contre Daech. Universel , parce qu’il a le visage de ces antisémites en jaune, qui à cent, menacent un vieil homme dans une manif en prétendant affronter le complot ultime. Universel, parce qu’au mythe ignoble du chevalier Blanc Breivik, l’ordure qui a tué des jeunes gens sans défense dans un camp d’été, répond celui du chevalier du Califat, l’ordure qui tue des gens à un concert, dans un musée où dans un magasin.

Cependant, les discours visant à attribuer la terreur d’extrême-droite à une réaction à la terreur djihadiste, très répandus en France n’ont aucune validité politique, et contribuent aussi, même involontairement à légitimer la lâcheté des tueurs néo-nazis qui reconstruisent une chronologie tronquée. Ces discours permettent aussi aux islamophobes de vite retrouver, après leurs condamnation de l’attentat, le doux confort raciste de la peur de l’Islam en propageant la crainte qu’une réaction de terreur venus des musulmans répondra à cette attaque qui répondait aux attaques djihadistes. C’est un problème récurrent que de considérer le fascisme comme une conséquence et d’oublier ainsi son autonomie politique.

En réalité, l’extrême-droite violente, qu’on la qualifie ou pas de « terroriste » a son propre agenda. Anders Breivik a préparé longuement un attentat qui ne faisait écho à aucun événement particulier, et correspondait simplement à ses conceptions politiques: celles-ci n’avaient rien d’extraordinaire au regard de la propagande fasciste et raciste des partis légaux d’extrême-droite.
Le groupe allemand néo-nazi NSU a assassiné des gens sur une période de douze ans au moins, à intervalles réguliers, avec constance et invariance. Son objectif était simplement d’assassiner des personnes “non aryennes” aux yeux de ses membres, pour semer la terreur chez les issus de l’immigration en Allemagne.

En France, l’émergence d’une extrême-droite extra-parlementaire n’a rien à voir avec l’agenda des groupes dits djihadistes, mais tout à voir avec un autre timing: celui de la montée de l’extrême-droite parlementaire, de son installation au cœur des institutions démocratiques, de sa dédiabolisation médiatique, et de la contamination de l’ensemble du champ politique par les discours nationalistes, racistes et antisémites.

Tarrant dit avoir eu l’idée de son passage à l’acte après un passage en France qu’il décrit de manière très lyrique.Il parle d’un espoir démocratique déçu qui l’aurait convaincu de passer à l’acte, la non-élection de Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. En réalité Tarrant hait la démocratie: il fustige l’éducation et les médias qui en sont des piliers fondamentaux.

En France, c’est dans les années 2000 que se reconstitue un milieu fasciste important numériquement, et souvent ouvertement néo-nazi, dont les caractéristiques sont un dynamisme politique important, et une importante proportion de jeunes gens issus de tous les milieux sociaux. Si cette mouvance, qui inclut aussi bien la sphère dieudonniste et soralienne que la sphère identitaire et/ou ouvertement néo-nazie critique l’extrême-droite parlementaire, elle n’en est absolument pas « en marge », mais inter-agit en permanence avec elle. Lieu de formation des futurs cadres du FN, comme Philippe Vardon ou le maire FN de Fréjus, elle est également animée par des leaders plus âgés qui sont eux-même, soit des anciens du FN, comme Carl Lang, soit des compagnons de route comme Soral ou Dieudonné,  soit des barbouzes qui ont déjà rendu de nombreux services dans les années 80, comme Serge Ayoub ou Claude Hermant.

Dans ce bouillon de culture, il n’y avait guère de difficulté à déceler ce qu’on appelle « radicalisation » pour d’autres sphères politiques. Notamment parce que celle-ci s’est affirmée sur des forums et des sites publics , où des militants confirmés ont effectué un important travail de traduction et de vulgarisation de l’apport international néo-nazi. D’une part, en diffusant et en expliquant les écrits de l’extrême-droite américaine appelant à la lutte armée, comme les célèbres Turners Diaries qui ont inspiré par exemple l’auteur de l’attentat d’Oklahoma City. D’autre part, en popularisant les agissements ultra-violents allant jusqu’au meurtre des néo-nazis russes, qui sévissent en toute impunité et très probablement de concert avec les services de sécurité gouvernementaux de Poutine. Quant au discours apocalyptique et aux pratiques sectaires qui vont avec, notamment l'”entraînement à la fin du monde”, le développement du survivalisme  a amplement permis la mise en condition physique et mentale nécessaire pour passer à l’acte violent.

Nul ne peut nier qu’il existe bien en France, un nombre indéterminé et important de gens armés et fanatisés qui ont démontré, à maintes reprises leur volonté de passer à l’acte. Nul ne peut nier qu’à l’instar des réseaux dits djihadiste, ils ont un corpus culturel et politique commun, un équivalent dans de nombreux autres pays….et qu’ils sont en lien permanent, notamment par le biais d’une socialisation virtuelle, mais également par des réseaux physiquement constitués qui permettent à la fois des « séjours de formation », notamment en Europe de l’Est, mais aussi l’accès aux armes, nécessaire pour passer à l’action dure. Et c’est ce lien permanent qui vient d’être démontré par les références idéologiques françaises mises en avant par le tueur de Nouvelle Zélande, références qui sont en partie, celles de théoriciens qui ont pignon sur rue dans notre pays, pas celles de groupuscules obscurs, mais celles de gens comme Renaud Camus, qui a droit de cité , même dans des médias du service public.

Là encore ce manque de prise de conscience sur l’autonomie et le travail des fascistes orientent aujourd’hui de nombreuses analyses sur la culture internet du tueur. Un troll qui serait devenu terroriste. Le côté culture de troll n’est pas à négliger et Tarrant a tout fait pour le mettre en valeur, multipliant les codes afin de mettre les rieurs racistes de son côté. Cela permet aux siens de dépolitiser son acte pour en faire une blague. Ainsi les fans du youtoubeur raciste et antisémite PewDiePie qui se mobilisent immédiatement en blaguant pour protéger leur idole de après que Tarrant, juste avant son acte ait appelé les gens à se joindre à la campagne raciste de souscription à sa chaine. En réalité ce qu’on nomme « trolling » est le fait de militants fascistes, organisés, déterminés qui s’évertuent à faire « dévier la discussion » pour l’orienter sur leur thèmes et à banaliser le nazisme en expliquant grâce au point Godwin que les nazis n’existent plus et que celui qui en parle a perdu le débat. Ce n’est pas la culture internet mais la culture fasciste qui s’est adaptée. Et celle-ci n’a jamais été dénuée d’humour, l’humour du bourreau dont le ricanement déshumanise un peu plus les victimes: les nazis, déjà, organisaient et mettaient en scène des humiliations publiques de Juifs, destinées à faire rire le public, photographiées et diffusées par eux-même ou par des témoins. En écho, Dieudonné se fondera essentiellement sur le ricanement et la dérision déshumanisante pour propager les thèses racistes, antisémites et négationnistes les plus classiques qui soient.

Mais Internet permet à d’autres personne de développer d’autres pratiques politiques, la jeunesse algérienne par exemple hyper connectée qui se sert d’internet pour faire la révolution manifestait en masse pour la démocratie le jour même où Tarrant faisait son massacre.

Alors que faire ? Se déradicaliser déjà. Remettre en question ce qui permet l’enracinement de la haine, à commencer par le mensonge de la guerre des civilisations. C’est peut-être l’un des enseignements en creux du manifeste de Brenton Tarrant

Celui-ci ne commence pas par un discours islamophobe. Il commence par une lamentation sur les société européennes actuelles où le taux de fertilité des « blancs » serait en train de baisser. L’analyse raciale qui légitime des statistiques absurdes laborieusement mises en lien est le fondement d’une attaque, non pas contre d’autres sociétés mais contre les éléments progressistes qui sont à l’oeuvre en Europe : la fameuse disparition de la « famille traditionnelle » fantasmée, l’ « hédonisme » triomphant. Bref, ce corps des femmes que l’on ne peut plus contrôler, notamment, cette liberté qui rompt avec des sociétés passés où la femme ne s’appartient pas , mais n’est que le réceptacle de l’avenir d’une patrie dessinée par des hommes.Comme dans tous les discours islamophobes, racistes et antisémites, en creux, le portrait de l’Ennemi et de sa barbarie est celui du mâle que le raciste voudrait être: un dominateur absolu sur “ses” femmes, un Maître qui serait légitimé par la société dans laquelle il vit

Et ce que dit le tueur dans son manifeste est aussi ce que tous les racistes, tous les antisémites, néo-nazis ou pas, ministres ou obscurs militantEs portent en eux, profondément: cette haine de ce qu’ils prétendent protéger contre un envahisseur fantasmé. Cette haine qu’ils n’assument pas, une haine universelle contre la liberté et l’égalité. Leur racisme meurtrier est aussi cette lâcheté là, le cache sexe d’une déshumanisation haineuse qui en réalité ne connaît aucune frontière.

PrecairE, antiracistE

Activist, master in History, master in War Studies, spare time freedom researcher, reggae DJ and revolution writer. bloqué par Nadine Morano

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