Pangoline Rouge, notes de pandémie

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Pangoline rouge, jour 1

16 mars 2020

Est sortie en courant pour remercier les éboueurs, leur a dit vous êtes des héros en levant le poing. Est passée pour la meuf en manque de câlins, à mon avis.
A créé une brigade d’autodiscipline de deux unités avec une dame aide à domicile dans la queue de Lidl. Expliquer calmement que quinze personnes séparées de deux mètres ne feront pas plus la queue que quinze personnes collées.
A laissé passer quatre personnes devant soi, pour le plaisir de dire “Je suis communiste c’est normal”

S’est embrouillée avec une dame intégriste musulmane et un vieux con qui citait la Bible, pour conneries homophobes apocalyptiques. A dit que Dieu a dit que les mesquins seront punis et les gentils sauvés et qu’en attendant Dieu, les communistes allaient s’en occuper. Après mon frère est arrivé, et a dit allez on rentre maintenant, alors que j’envisageais de rester la journée à prêcher, vu la concurrence des autres prophètes.
Pas grave y’a internet, occuper tous les terrains

Pangoline Rouge jour 2

17 mars 2020

Contente qu’il y ait aussi Le Chien.
Le frère l’avait récupéré bébé , trouvé dans une cave de cité avec une chatte et ses bébés.
Contente du un milliard de souvenirs comme cela qui vont revenir.

Rien de communiste à dire. À part ce désir de ne pas en vouloir aux gens qui ne pensent qu’à eux et font n’importe quoi. Car c’est ainsi que la vie leur a été apprise, il y a une semaine, beaucoup de ceux qui râlent aujourd’hui contre le manque de collectif trouvaient normal de laisser mourir les réfugiés à Lesbos ou dans la Méditerranée. Je mets à l’imparfait exprès, je veux croire que nous allons changer.

Cela me semble plus utile que de cracher sur le bourgeois, nous serions pareils de l’autre côté de la barrière, sans doute.
Et moi j’ai eu quelque chose, qu’ils n’ont pas. La lutte. Les occupations de services publics pour débloquer un RSA, une radiation Assedic, un contrôle de CAF. Les collectifs de chômeurs et chômeuses des années 2000. Peut-être que je les raconterai une par une, mais alors il faudra six mois de quarantaine. En tout cas c’était une pure merveille, nous avons refusé de croire que le vieux monde égoïste était le seul possible, ces années là. Parfois ensuite j’ai regretté de ne pas avoir pris l’ascenseur social pour vivre ça, à la place, ça m’est arrivé souvent quand je voyais les autres voyager, acheter des Pléiade, avoir autre chose à dire que “heu précaire en lutte”, un beau métier, une réussite, quoi.

Mais dans ma mémoire, la solidarité de classe, maintenant. Étincelant souvenir, plus beau que n’importe quel paysage. Le rire d’un camarade disparu depuis longtemps déjà, SDF intermittent, disait-il tout le temps.
Bises rouges, de ma part et de celle du Chien recueilli par les Chats.

Pangoline Rouge jour 3

18 mars 2020

Tout admirer. Les gens qui parviennent à informer, analyser, s’entraider, lutter, rester gentils et humains, notamment ici.
Joie des convictions communistes, se sentir bête, dépassée, incapable de réflexion politique, mais savoir que ce qui compte, c’est l’intelligence collective. Ce n’est pas grave si je n’ai réussi qu’à brailler à la fenêtre pour les soignants et filer un paquet de sucre par la barrière à un pote voisin.

Ils ont libéré un centre de rétention. Un.

Plein de gens demandent et les SDF ? Je ne demande pas, je sais. Rien, la moyenne de vie des SDF était de dizaines d’années plus courte que la notre avant cela, déjà. Pour changer cela, pour changer tout, il faudra se souvenir de ce moment d’inquiétude collective après la quarantaine. Et lutter, au minimum faire grève quand il y a appel à le faire.

Le mouvement des “sans”. Je pensais à cela hier. Je comparais avec cette frénésie de théories qui nous a pris ces dernières années.
Dans les années 90 et 2000,oui,le mouvement social n’échappait pas aux dominations internes. Nous n’étions pas parfaitEs. Mais des militants plus vieux que moi nous apprenaient que faire ensemble. Occupations, permanences d’entraide entre précaires, actions spectaculaires et symboliques. On passait moins de temps à se définir où à se comparer entre nous. Ne pas dire cis , blancs, hommes, racisés tout le temps ne nous empêchait pas de savoir que les héros c’était les sans papiers. Je sais pas pourquoi je dis ça, ah si, parce que je veux plus jamais débattre sur les Juifs sont-ils blancs ou les femmes trans sont elles femmes ou un Blanc au RSA est il mon vrai camarade ? Oui s’il est pas au Front National. Ceusses qui veulent débattre de cela, je comprends, mais sans moi.

Je sais ce qui me manque absolument. Un truc qu’on a arrêté à un moment, se poser avec une table et du café gratuit, devant une CAF et résoudre nos problèmes en direct live. Ensemble.

On avait arrêté, découragés, à un moment, à cause de trop de précaires qui nous parlaient des super thèses d’Alain Soral ou du problème du voile.

On va retrouver le courage.

Pangoline Rouge, jour 4

19 mars 2020

A tapé sa première crise de panique hier soir. Après mûre réflexion, a décidé que c’était communiste de le mentionner, que les autres flipettes se sentent pas isolées dans la multitude de statuts courageux et engagés.

Est ensuite allée checker les murs d’extrême droite, s’est trouvée réconfortée, parce que c’était exactement comme avant, le bon vieux temps, sont toujours persuadés que nous les arabes sommes les plus forts et qu’on va tout remplacer. Ça doit être vrai, donc je vais pas angoisser. Cet après-midi, vais aller sur les sites antisémites, comme ça, je serai sûre que mes frères juifs survivront et à mon avis Valeurs Actuelles parie sur les féministes, tout ira bien.

Sur la pandémie et le capitalisme, bon. J’ai une théorie. Normalement, ils vont à la fois en profiter pour détruire le droit du travail ET avoir besoin de beaucoup de main d’œuvre pour la reprise. Donc ce sera comme après la guerre, non ? Le moment où les prolos déterminés ont gagné plein de trucs, ma grand-mère m’a toujours dit, tu ne connais pas ce monde où si un patron te fait chier, tu peux en trouver un autre le lendemain, dans ce monde là, les patrons ne sont pas tout à fait pareils.
Ouais je sais, c’est cheap comme analyse matérialiste historique.

Mais au fond, on va pas se la raconter, j’ai jamais fait que ça, du militantisme cheap, moi.
Pour ça que je suis heureuse sur ce réseau social, merci aux camarades qui ont la classe et gardent le cap.

Pangoline Rouge jour 5

20 mars 2020

Hier, j’ai cassé mon téléphone, plus de jolies photos.
Aussi bien les jolis mots de Slimani sur l’odeur du tilleul m’ont séduite. Pas bien compris cette subite indignation, amatrice des minutieuses descriptions de jardins des romans anglais de l’époque victorienne, je n’ai jamais demandé aux écrivains bourgeois plus que l’élégante indécence de leur classe, n’est pas Zola qui veut, et même lui, je l’aime aussi pour les serres empoisonnées de Renée, le prétexte de la dénonciation de la décadence a bon dos, la Curée est aussi jeu avec le luxe et la fascination qu’il déclenche.
Bref, Slimani en Marie Antoinette, pourquoi pas, un exutoire comme un autre. De toute façon, ses mots ne feront pas mourir les ouvrières du virus, c’est le capitalisme qui le fait.

Et somme toute, ceux qui s’indignent sont ceux qui ont le luxe de la lire,nous, même moi qui suis précaire mais au chaud, pas en prison, pas au bidonville.
Inutile culpabilité de confinés, nous verrons si elle nous poussera à changer le monde lorsque nous sortirons ou si ce n’était qu’un moment de rédemption par procuration.

En attendant, l’immédiateté m’a délaissée. Je ne veux plus lire,ni commenter en direct l’ horreur, la catastrophe, comme si on pouvait l’arrêter et réformer le gouvernement en quelques mots de rage et de chagrin. Je ne me suis jamais sentie aussi bête de ma vie, et le besoin de penser , de construire lentement une réponse rationnelle se fait d’autant plus pressant qu’evidemment mon avis n’a aucune importance.

Et je n’ai trouvé pour commencer que le rire de l’homme qui connaissait ses limites d’écrivain en chambre. Notamment face à Treblinka, la catastrophe à laquelle il a échappé. Opération Shylock, Philip Roth face à son double antisioniste et islamophobe. Je est un Autre, limité, lui aussi, mais libre de s’imaginer actif, pour le meilleur et pour le pire.

Pangoline Rouge jour 6

21 mars 2020

Après une semaine d’apocalypse, j’ai réussi seule à réparer mon téléphone, vive l’autarcie. Non en vrai, il s’est réparé tout seul, vive le mystérieux dieu Technologie.
Je n’ai pas de tilleul, mais j’ai un romarin, bisque bisque Leila Slimani, OK OK, suis pas écrivaine, alors je mets une photo de mon luxe avec des filtres pour qu’on soit sœurs d’infamie.

Par contre, j’ai des amis, plein, qui le sont, écrivains en vrai et j’adore les journaux de confinement, notamment ceux de Théodore Abitbol et d’Arno Vauhallan, que je conseille fortement à ceusses qui décidément n’iront pas lire Le Capital ni regarder l’intégrale de Jean Luc Godart, qui au passage est un connard antisioniste, un débat, un débat.

Je suis sortie une seule fois ces derniers jours, soit disant pour aller faire des courses, en réalité pour me faire plaisir et offrir des chocolats aux caissières, comme avait dit le Parti sur Facebook. Et ben ça marche, enfin pour les caissières je sais pas, mais pour se faire plaisir en disant des trucs grandiloquents, c’est parfait, un peu gâché par “oubliez pas votre sac, quand même”, bref, j’aurai fait rire les gens, y’a des Lenine, et des Baudelaire puis y’a des Éric Judor qui le font même pas exprès.

Et à part ça, ben à part ça, je fais un petit peu confiance aux capitalistes pour trouver un médicament avant un an, pas par gentillesse mais parce que tout bêtement, ces gens n’ont pas du tout envie que le monde s’arrête et que les dauphins nagent paisiblement à Venise, pendant que les papillons renaissent dans le jardin d’Eden. Mais que la machine à gagner du fric reparte vite fait, et ça quoi qu’on en dise, ça ne se fait pas qu’à coup de mesures autoritaires.

Et il se trouve que nous sommes en 2020 et que la force de travail accumulée des prolétaires a produit un état de la science absolument extraordinaire. Le désordre actuel sera assassin mais à mon humble avis temporaire, parce que le bourgeois en a peur aussi tout bêtement, son pire cauchemar est que ça nous rende plus intelligents, rebelles et solidaires, il fera tout pour le retour à la normale.
Excès d’optimisme ? Non réalisme, tout bêtement, les vaccins n’ont pas été inventés et diffusés pour faire plaisir au mouvement ouvrier, mais ils l’ont été quand même.

En attendant, toujours merci à celles et ceux qui ont la force, la beauté d’âme et le courage que je n’ai pas, de les partager sur ce réseau qui reste un luxe extraordinaire.

Pangoline Rouge, jour 7.

22 mars 2020

Ce matin, assaillie par la panique et le désespoir purement individuel, j’ai découvert bêtement que beaucoup de mes contacts étaient dans la même phase. Alors courage, déjà.
Ensuite, hier, tout le voisinage applaudissait. Sur les réseaux, certains découvraient que ça ne servait en fait à rien, ne voulaient plus applaudir avec des “macronistes”, ou des gens qui avaient critiqué les grévistes.

Bon moi, mollassone stupide, je veux continuer à applaudir, allez même avec un éventuel voisin raciste, s’il a changé d’avis, ça arrive. Après tout, y’a bien des camarades qui se croyaient gauchistes, et qui depuis des jours pètent les plombs contre les contrevenants au confinement, avec des mots un peu fascistes. Ils se ressaisiront peut-êtreTiens en parlant de fascistes, tout de même message à mes contacts qui pensaient qu’une certaine Zineb El Rhazoui était un meilleur rempart contre la haine que les islamo-gauchistes dans mon genre.
Bah non, elle a été parmi les premières à reprendre un hoax antisémite sur les Juifs qui feraient Shabbat en groupe et disperseraient le virus. Qui est islamophobe est perméable à l’antisémitisme. Ce n’est pas une question de valeur individuelle mais de contamination irrationnelle. Pensons y, c’est le moment.Et puis, en dessous, là, c’est un joli rêve d’enfants post Apocalypse de la camarade Maïc Darfelliezh, et à mon avis, certes fortement impacté par le choc traumatique, c’est un bel avenir possible, les petits êtres qui marchent debout vont vivre et de préférence sans le capitalisme.Car s’il y a bien une chose qui n’existe que par la force sociale des imaginaires négatifs de la bourgeoisie, c’est une future crise économique. Sur cette planète, il y a assez de science, de technologie, de marchandises utiles, et de cerveaux bien remplis et de cœurs bien immenses pour qu’on vive tous paisiblement.Suffit de cesser d’obéir au cauchemar d’imbéciles qui ont pensé que le cauchemar en question était le moins pire des mondes possibles. Bah non, manifestement.

Pangoline Rouge jour 8

23 mars 2020

Colère. Savoir d’avance.
Que faire reconnaître ce qu’est l’intelligence sociale ne naîtra pas du virus. Le savoir à cause de tous ces gens qui trouvaient les cheminots, les infirmières, les éboueurs grévistes pas très intéressants, un peu Old school, voire même radicalisés. Et qui en une semaine, du haut de leurs prétentions intellectuelles pensent avoir découvert tout seul que l’eau mouille et que le capitalisme est abject. Pas seulement en période de virus, non tout le temps, et les crises ne sont que le résultat de l’abjection et de la bêtise ordinaire de ce monde.
On se redécouvre socialiste au sens du 19eme siècle, mais sans un mot d’excuse au mouvement ouvrier qui n’avait jamais cessé de l’être et qu’on a trouvé secondaire.

L’intelligence sociale pourtant est celle qui sauve nos vies de sachants aujourd’hui, et nous permet de continuer à débattre pendant que nos poubelles sont sorties, notre courrier déposé, nos bébés accueillis à l’hôpital. Tout ce savoir faire, savoir se fatiguer, savoir tenir le taf avec la peur de la mort. Car cela, y as tu pensé, toi qui me lis et te dis “oui bon ils le font pour gagner leur vie”. Certes, certes, sauf qu’ils pourraient faire une crise de panique collective et se barrer, ou mal faire et puis non ils tiennent, ceux qui sont dans les secteurs prioritaires sans lesquels la métropole crève.

Ça ne sert à rien de le dire. Ça me fait du bien parce que la collègue enseignante avec qui je bosse m’a écrit ce matin pour me dire qu’elle s’est fait engueuler par une madame maman cadre très supérieure qui lui a expliqué avoir beaucoup de travail et trouver franchement pas très pratique sa pédagogie à distance. Naturellement elle s’en plaindra à l’inspectrice directement, également.

Ça me rappelle ce que je me dis depuis cinq ans, les enfants des bourgeois sont adorables, seulement parfois, ils imitent leurs parents et te parlent brusquement avec un dédain autoritaire absolument hallucinant, rien à voir avec l’insolence des gamins prolos, qui est toujours aussi un manque de confiance. Non ces gosses là parfois, sans faire exprès t’humilient juste par le ton d’une demande, un regard sur toi l’AVS, qu’ils associent et au fond fort justement avec baby sitter et femme de ménage, bien gentilles mais ayant raté leur vie, visiblement.

Bref. Tout le monde devrait avoir le temps de faire l’ intellectuel à la con, et pas avoir seulement le droit de survivre à une mort évitable parmi d’autres. Ça ne suffit pas, ça, ça ne suffit pas de demander des masques et du gel pour que la caissière puisse continuer à s’épuiser comme caissière, et la femme de ménage comme femme de ménage et ainsi de suite.

Je rêve d’une gauche qui soit capable de soutenir et de faire des grèves pour un revenu garanti, pour des bibliothèques publiques mille fois plus grandes et plus belles, pour le droit aux loisirs, pour le partage de la sortie des poubelles.

Une gauche qui nous promettrait plus que la survie à un virus, en tout cas, ouais, c’est pas le moment, c’est pas urgent, ça l’est jamais.

Sauf lorsque le mouvement ouvrier essaie de le faire lui même. Bref, vive la grève.

Pangoline Rouge jour 9

24 mars 2020

Ma tante m’a dit ” Je n’ai absolument aucune confiance dans le genre humain en tout cas”.
Elle avait une étrange manière de marquer sa méfiance, ma tante, croiser des dizaines de personnes en pleine pandémie, au lieu de rester chez elle, tout ça pour distribuer des pastèques et du coca et des navets, de deux sortes d’ailleurs, et des ananas, et de la fourme d’Ambert et des tartes immenses, industrielles mais et après, de toute façon c’était ma banlieue post industrielle, celle de mon enfance, et la manière de voir les choses que j’avais fui il y a bien longtemps, parce qu’excuse moi, mais décréter que l’internationale sera le genre humain et en même temps avoir zéro confiance dans le genre humain , bon comme contradiction ça se pose là.

La gauche de centre ville était plus étincelante, avec ses beaux livres, ses bars à prix libre, ses discussions interminables sur la liberté dans l’œuvre de Guattari, ses actions spectaculaires, ses chansons anciennes. Faire la révolution en étant rebelles et charmants. Ça c’était un projet. Exaltant. Lignes de Crêtes, quoi et c’était aussi moi, enfin je voulais y croire, au moins rebelle, charmante non bon tant pis, tout le monde peut pas être Julien Coupât.

La, bon c’était retour au ras des pâquerettes de banlieue paumée, où de toute façon, à toute chose malheur est bon, le masque aurait pas été super pratique pour fumer une cigarette, se disait on.

Ceci étant, c’était quand même une de mes belles journées fallait reconnaître.
J’étais avec des gens qui préféraient quand même essayer la solidarité au lieu de se calfeutrer comme ils pouvaient.
Les Restos du Cœur avaient fermé mais eux, avec leur petite asso, trouvaient dépassé le chacun pour soi. Mais en râlant, et en croyant pas trop au genre humain.

Par contre la, tante, pensait qu’après le confinement, alors là cette fois, t’aurais LE grand mouvement social, le définitif et l’imparable.

Dans cette famille, de toute façon, y’en avait toujours un ou une pour être persuadé que le top de la lutte finale, c’était après-demain. Que c’était EVIDENT.

On devait être une lignée de croyants, mais attention pas dans le genre humain, hehe, on nous la fait pas, celle là.

Pangoline Rouge jour 10

25 mars 2020

Zemmour is alive. Tant mieux pour lui je lui souhaite pas de mourir du virus, je le souhaite à personne. Et surtout je voudrais tellement qu’il vive pour connaître la Chute quand la mode du fascisme passera, et lui avec. Lui qui dit tranquillement qu’il faudrait faire passer l’économie avant la santé, que les vieux qui meurent, blancs compris sont chose insignifiante et que l’essentiel est de faire tourner la machine à gagner du fric. Écoutez le bien, petits blancs persuadés qu’il est votre rempart, non c’est vous qui êtes ses fantassins à sacrifier de suite.

Pour le reste, et ben ça va. Je veux dire en ce qui concerne le suivi de mes sujets, le conspirationnisme, l’antisémitisme et l’islamophobie. Beaucoup de contacts trouvent que ça augmente de manière démentielle,, il me semble avoir connu bien pire, notamment sur l’antisémitisme, et sans contexte lié, par simple activisme débridé de la sphère fasciste et rouge brune.

Pourquoi ? Parce que beaucoup de gens sont pris par le réel je pense, et contraints de penser vite et bien pour survivre.. Moi la première et mine de rien, la solidarité dans ce domaine montre vite sa supériorité face au fascisme. On attend en vain les grandes initiatives de sauvegarde de la race blanche des identitaires et du FN, pourtant plein de fric.

Par contre plein de gens retrouvent le sens (et ouais Macron) et sont au front, concrètement. Pas seulement les soignants mais un million de collectifs, et beaucoup issus des mouvements sociaux des années passées, de ceux contre l’épidémie de SIDA, à ceux de solidarité avec les migrants. En passant par les travailleurs, ça et là, mine de rien, l’idée de faire pression sur des patrons qui ont un besoin vital de nos énergies se pense, se vit, encore tout doucement mais vu le choc qu’on subit, c’est au fond très rapide.

Ou alors c’est une vue illusoire de mon petit esprit humaniste. Mais les vues de l’esprit après tout ne sont pas inutiles, Zemmour is alive et ce type si populaire n’est au fond qu’un connard qui hallucine mais qui a confiance en lui.

Nos rêves contre son cauchemar sont tout sauf anecdotiques.

Pangoline Rouge, jour 11

27 mars 2020

Évidemment il y a les sujets que j’évite.
La maladie, la mort.
Ça date pas de maintenant.

La d’où je viens, on mourrait déjà dans les années 80.J’ai grandi avec les morts vivants. Les tox comme on disait dans le temps. Je les ai vus, ces jeunes gens, vieux et malades à trente ans. Et c’était de leur faute. Ils n’avaient qu’à aller bosser, ou militer comme les vieux du PC. Ils avaient pas voulu, et bien oui, ils, méritaient de crever, de pas être allés bosser, de pas s’être intégrés, d’avoir préféré faire les décadents, s’injecter du poison dans le sang, pour oublier un instant l’éternel présent.

Alors, bon, en parler ? Pourquoi ? Pour devenir haineuse, nihiliste, cynique ?

Non. Toute ma vie, j’ai choisi le caviar de gauche moi. Oui, tu sais ce luxe de lutter contre nos propres penchants de pauvre, me faire des luttes de riche, des festins de bien-pensance, de politiquement correct. Être la plus belle des belles en esprit, me consacrer à ce soit disant superflu que le militant bourgeois tendance Mao mais qui veut pas travailler aux champs méprise.
Oui excuse moi, mais je serai Leila Slimani sans le manoir.

Précieuse, accessoire jusqu’à la mort. Je te ferai la morale quand tu appelleras à la peine de mort, je traquerai la moindre allusion antisémite, je te ferai chier pour tes mots de travers, pour ton populisme, pour cette facilité d’esprit qui fait que tu me diras toujours “oh excuse moi, je cause comme le pauvre peuple”.
Le peuple c’est moi et je suis ce que je veux.

L’odeur de poubelle sur le palier, je l’ai assez sentie pour préférer le tilleul.
Et pour vouloir le partager avec les miens.

Oh évidemment, on passe pour une folle, forcément avec tous ces demago de bourgeois de gauche qui veulent pas être BHL mais Melenchon ou Doriot, ah oui, ça on veut bien. Flatter ses bas instincts en disant au prolo qu’il a des excuses pour avoir les mêmes. Pour vivre sa vie de con, sans Zola mais avec Dieudonné, sans Slimani mais avec Branco.

Bref, le prétexte de l’épidémie pour dire que la saloperie est acceptable de la part des pauvres qui en crèvent, à d’autres. Et pas pour des raisons Morales, seulement.

Mais parce que la défaite du Juste et du Beau est aussi ce qui nous tue. Parce que le populisme nous a affaiblis depuis vingt ans, parce qu’il a détruit nos luttes sociales, parce qu’il nous laisse nus et nous crève, maintenant. .

Le luxe de la classe moyenne supérieure, celui que lui concède la bourgeoisie c’est de se vautrer dans le sale, de cautionner des dictatures, de flirter avec les fleurs du mal, avec ses fantasmes de fascisme, de se branler avec des rêves de punition totalitaire, de frissons d’interdit par delà le Bien et le Mal.

Nous on en crève de ça, à chaque fois. Les fascistes pauvres s’en sortent pas plus que les autres.
Notre seul espoir, c’est de s’approprier le caviar de la gauche bourgeoise.
Et en attendant, personne m’obligera à bouffer mes pâtes dégueulasses en disant que c’est la classe.

Ne t’en déplaise, je mérite mieux que ça.

Pangoline Rouge, jour 12

28 mars 2020

Il était toujours là, avec la flore des terrains vagues autour. Le dieu le plus incompréhensible de ce Temps et de ce Lieu.

Celui grâce à qui les prolos payent moins cher les pavillons ici, pour ça que je le prends toujours en photo.

Que nous font ses ondes, à part baisser les prix de l’immobilier. On ne sait pas, des légendes urbaines tournent là dessus, comme sur tout le reste de l’étrangeté dangereuse imposée par la post modernité.
Sur laquelle on crache mais sans cracher, la culture de classe c’est aussi être exaspérée ou morte de rire devant les bourgeoises bio, madame je pose avec mes couches en tissu, ma lessive solide, mes recettes de cuisine aux légumes anciens qui prennent 20 heures, et que je m’extasie devant un topinambour que nos grands parents vomissaient pendant la guerre.

On continue à aimer les Kinder et les soupes en sachets vite fait, et oui on prend du bio chez Lidl, et des campanules à deux euros, mais on aime aussi les écrans et les bonbons acides et commander des sottises sur Wish et non on veut pas retourner à la terre, à la place du tertiaire ou de l’usine, parce qu’on serait ouvriers agricoles et pas propriétaires, et les patrons bio sont des patrons quand même.

Mais on sait qu’on en meurt de cette post modernité mal goupillée comme tout le reste.
Bravo les têtes pensantes de l’économie cognitive, au tribunal quand vous y serez et vous y serez, j’espère qu’on aura réquisitionné Cyril Hanouna pour vous poser nos questions en direct et ma question sera: monsieur Bruno Lemaire, pouvez vous m’expliquer comment vous et votre associé du MEDEF avez vous pu être à ce point minables qu’à Lidl le 28 mars 2020, on trouvait à 3 euros des lapins de Pâques en peluche qui chantaient tout en faisant clignoter leur nez mais pas de simples masques qui auraient pu sauver nos vies en pleine épidémie?

En attendant j’ai acheté le lapin quand même et un canard qui chantait une autre chanson et des Kinder pour la caissière, qui avait maintenant une vitre en plexiglas mais plus de masques justement, or elle se déplaçait aussi dans les rayons mais bien sûr elle peut pas tout avoir, ça mettrait l’économie en péril.

Les conneries de la société de consommation cheap et jetable, les canards et les lapins, bah tu comprends ça marchait deux secondes pour que ma nièce oublie le virus. Et sa maman qui était dehors avec lui, elle avait retenu cela à trois ans, des spots qui passaient sur Gulli, sa maman était en danger imminent, quand elle était au travail et bien sûr c’était con de dire merci aux soignants mais elle, elle aimait bien quand Goldman le faisait, elle restait toute droite devant la chanson et hier, au moment de la photo de la caissière après l’infirmière, elle m:à dit “Oh c’est une autre maman”, comme mon frère était pas dans le coin, j’en ai profité pour l’endoctriner et lui dire “oui, on est tous une famille, la famille des prolétaires”..

Après tout ça, à l’école, si elle le répète à la maîtresse, et bah ça fera tourner l’information.
De toute façon, on a encore le droit d’écouter Jean Jacques Goldman, qui n’a pas été catalogué dans “ferment de la division”, Macron a pas du écouter Rouge, de toute façon, ce mec doit écouter de la merde.

Pangoline Rouge, jour 13

29 mars 2020

Ce soir la nièce, comme un million d’autres enfants s’est ouvert la lèvre en jouant, une chute sans gravité. Stress, panique même parce que dehors, aux urgences le danger. Comme on est malgré tout pas si mal lotis, on a appelé un médecin qu’on connaît qui a dit qu’il n’y avait pas besoin de sortir. Que ça irait.

Sous les bombes en Syrie, les petites filles doivent se couper la lèvre en jouant parfois. Pas de médecin, pas d’hôpital.
Partout dans le monde, confinés dans des logements trop petits, terrorisés dans des bidonvilles, les parents des petites filles affamées, malades en danger et qui parfois aussi se coupent la lèvre en jouant, les parents qui n’ont personne à appeler.

Alors après, je suis allée fumer une cigarette, et pensé à toutes les tantes pour qui trouver une cigarette pour se calmer après le stress n’est juste pas possible, ou alors il faut faire la manche avant.

La pandémie, le monstre dehors. Il y était déjà avant, mais pas pour nous, c’était un monstre seulement pour certains enfants. Pas pour les nôtres, pas pour nous.
Il a grandi, puisqu’on le laissait prospérer dans une quasi indifférence, il est devenu brusquement plus gourmand.

Mais nous jusqu’au bout, on aura pu se cacher dans nos terriers, faire des gâteaux avec des étoiles et des bonbons roses pour faire oublier les bobos.

Si on sort de nos terriers sains et saufs, j’espère que nous serons devenus des marmottes courageuses et déterminées à manger le monstre qui dévore sans trêve les enfants de ce monde.

Ce n’est pas un pangolin du tout, ne nous trompons pas de cible, c’est ce terrible monstre invisible, que nous appelons normalité, moins pire des mondes possibles.

Pangoline Rouge, jour 14

30 mars 2020

Aujourd’hui j’ai fermé ma gueule face à une conspirationniste et suite à ça, je suis rentrée me calfeutrer chez moi en panique.

C’était la pharmacienne. Une dame au langage élaboré, qui expliquait à chaque client que le covid 19 était une invention des labos, pour vendre des antiretroviraux, et un vaccin dangereux en septembre, qu’elle ne prendrait pas. Que les gens affaiblissaient leurs défenses en flippant et se calfeutrant, et qu’elle s’était fait menacer de mort en continuant à vendre des produits homéopathiques il y a quelques mois.

Quand ça a été mon tour, je n’ai rien dit, j’avais besoin de médicaments, besoin de protéger ma famille, et je pensais seulement qu’elle pourrait être la pharmacienne de garde, un soir où il arriverait quelque chose. Je n’ai rien dit et j’ai seulement fixé son masque, quand elle me parlait, je me disais, ordure, tu n’y crois donc pas à ce que tu dis, pourquoi tu fais cela, pourquoi ?

En sortant j’ai marché un peu et puis j’ai vu ce lilas et je me suis assise à côté parce que je m’étais mise à trembler. Je n’ai jamais fait de l’antifascisme que pour moi, je suis la personne la plus impressionnable qui soit, dans le quotidien, mon agressivité extrême me permet de combattre l’angoisse que génèrent chez moi les discours irrationnels et mortifères du fascisme sous toutes ses formes.
Toutes ces années, agresser des dieudonnistes, me fâcher avec tout le monde, faire la dingue en manif face à douze mecs de l’UPR, c’était tellement agréable, tellement rassurant.

Là je ne pouvais pas, et je me suis dit que je ne sortirai plus jusqu’à la fin du confinement. Après mon frère m’a rassuré, m’a dit que je n’avais qu’à l’afficher sur internet, mais bêtement j’ai peur qu’elle reçoive des menaces de mort et c’est pas le moment. Alors j’ai décidé que j’y retournerai à la fin de tout ça.

Enfin bon, association d’idées, à cause du lilas, que j’avais offert une fois en bonne petite fayotte intégrée à une maîtresse, j’ai rappelé ma directrice d’école qui est une dame de droite normalement mais qui m’a remercie de maintenir le contact avec mon élève, parce que bon franchement, en tant qu’AVS et bien je n’étais pas obligée, vu combien on nous payait.

Association d’idées, ça m’a fait penser aux hommages de gauche faux cul à Devedjian et que moi je souhaitais plutôt rendre hommage à mes anonymes de droite vivants, ces gens qui m’ont accepté avec ma différence d’extrême gauche, alors qu’ils n’ont jamais connu autre chose que le conservatisme économique dans leur vie mais qui sont bien moins racistes que bien des militants de gauche, et jamais paternalistes.

La différence dans cette société, se situe beaucoup entre ceux qui continuent à vouloir apprendre et progresser, et ceux qui stagnent persuadés que leurs idées suffisent, sans se sentir obligés à des actes.

La dessus, ces dernières années, j’ai eu le plaisir et la chance à l'”école publique de connaître des gens de droite parce qu’on leur avait jamais appris autre chose. Et qui pourtant font des trucs de gauche. Comme elles me manquent, j’ai pas les mots pour le dire.

Pangoline Rouge, jour 15

31 mars 2020

Plus de farine à Lidl. Les nanas font des gâteaux. Moi aussi, ce qui est caustique, pas féministe militante, mais toujours dans le refus individuel de ce qui pouvait plaire juste parce que c’est ton rôle social, une femme correcte fait des gosses, et après des gâteaux, tout en restant jolie, hein, attention. J’aurais bien aimé que le féminisme tellement pointu de ces dernières années s’attaque à cela, en lieu et place, j’ai pas trop aimé toutes ces sucess stories, les femmes qui font des gâteaux, et profs de facs, et se tapent plein de mecs parce qu’en plus elles restent belles, et parfaites plus féministes.

Ça pousse à se cacher celles d’entre nous qui ratent, qui chutent qui abdiquent. Faut le savoir et réfléchir.

Bref, réflexions élevées de la femme qui s’en fout de rater, et trouve une satisfaction très limitée à réussir des quiches. Et n’a surtout pas envie d’écrire un livre, ni même de faire des textes antifascistes. Mais de dormir et de se réveiller et que ce truc horrible soit passé.

Enfin, me reste un peu de compassion pour les connards de fascistes de base que je continue à observer sur leurs fils. Mes pauvres petites cibles, dans votre univers, on peut rien dire, jamais, censure maximum sur l’essentiel.

On a le droit de continuer à vomir sur les arabes et les noirs, prétendre que dans le 93,c’est parce qu’on est indiscipliné qu’on meurt. On a le droit d’acquiescer et de surenchérir sur des thèses antisémites de plus en plus démentes. On a le droit de dire que c’est la faute des Autres et d’applaudir ses leaders.

Mais pas de partager son désarroi, sa peur, ses doutes, ses sentiments d’être un raté, d’avoir froid au cœur et à l’âme, de trouver nulle part et surtout pas chez Soral ou Obertone, l’espace pour dire oh là là je suis minable et trouver du réconfort.

Mon camp est quand même mille fois mieux que le vôtre. Chez nous, on a le droit d’être un vilain petit canard terrorisé et de dire à nos leaders cygnes de pas trop la ramener. Chez nous on a le droit de rater, de râler, et d’appeler ça de la politique et même de décréter que l’internationale des ratées sera le genre humain.

Ce qui dans la période, est somme toute réaliste vu le monde qu’on a après avoir donné le pouvoir aux gens persuadés d’être des winners et d’avoir réussi dans la vie.

Pangoline Rouge, jour 16

1er avril 2020

Aujourd’hui la nièce a choisi la couleur, j’ai dit, rose t’es sûre, parce que le monde entier nous lit et ça va nuire à ma réputation, elle a dit oui comme ça on voit mieux les fourmis qui se promènent avec nous, j’ai dit bon.

Le confinement, cette fumisterie. Il y avait à l’heure de la sortie du taf, beaucoup, beaucoup de voitures dans cette banlieue pavillonnaire de prolos, blancs pour beaucoup, et oui, les immigrés n’étaient pas les seuls à risquer leur vie, ça s’étendait tranquillement depuis ce lundi, pendant que d’autres se sentaient prisonniers, sans voir que la liberté, là, le droit qui restait à certains d’entre nous, c’était rester enfermés. Et de sauver des vies, oui le gouvernement ne disait pas QUE des conneries, beaucoup de gens, je crois, ne calculaient plus le degré de contagion de cette maladie. Sans doute parce que les habitudes vont vite et que déjà, on s’était habitué au décompte quotidien, déjà, c’était seulement un chiffre, sauf si on l’avait eu, sauf si on connaissait des gens qui bossaient et l’avaient.

La seule possibilité que j’arrive à envisager de manière réaliste, c’est qu’en réalité, on devra se battre pour le droit de rester à l’abri. Plein de salariés le font déjà, et dans les pires conditions qui soient. Et quelque chose me dit, que dans quelques semaines, le gouvernement et le patronat vont gentiment accompagner le besoin de liberté et nous dire, mais oui, sortez, sortez. Que la courbe soit stable dans sa gravité, il y a un nombre de morts quotidiens auquel on peut s’habituer, en réalité.

Je ne dis pas cela par catastrophisme. Mais parce que vraiment, c’est le moment d’en revenir à la revendication du revenu garanti, pas comme charité, pas seulement comme humanisme, mais comme reconnaissance de la réalité de la production immatérielle collective. On bosse tous même en confinement, même les militants anticapitalistes enrichissent Facebook en luttant, en écrivant, et le métier d’expert médiatique en n’importe quoi, par exemple n’est jamais que l’expression de ça, pas un expert aujourd’hui qui en réalité n'”utilise pas la richesse du boulot collectif des réseaux sociaux. Le chômage improductif n’existe pas dans l’économie de la communication.

Et à part ça, c’est aussi la seule manière de préserver la progression du savoir en toute indépendance. Je dis ça à cause d’un historien qui a toujours refusé une carrière universitaire, comme il a toujours refusé les strapontins médiatiques et éditoriaux, vivant uniquement de conférences et de boulot acharné et qui là gagnera plus un rond pendant des mois, et bon, un revenu garanti pour tous, ça aiderait aussi ces gens là à bosser et à préserver ce qui n’est pas un luxe mais l’essentiel, la connaissance et le progrès.

Pangoline Rouge, jour 17

2 avril 2020

Aujourd’hui, tout était plongé dans le brouillard de l’éternel présent. À part l’épidémie, à part l’épidémie, la vie était tolérable, anodine comme les haies de lauriers et de thuyas sans parfum, comme la poussière de je ne sais quoi qui ternit toutes les grilles des pavillons, quoi qu’on y fasse, comme les gosses qui s’ennuient depuis la nuit des temps modernes à faire le même tour de vélo devant les portes des garages individuels des résidences, qui se distinguent des cités par le fait qu’il y a encore moins de conneries amusantes à y faire.

J’avais dans la tête deux deux de mes personnages préférés, d’un roman trouvé par hasard au milieu des années 2000, je l’avais ramassé parce que ça se passait à Meudon et que je haïssais Meudon sans y être jamais allée à cause de Louis Ferdinand Céline, ce salopard de fasciste qui détestait les petites gens et me dis pas qu’il détestait aussi les riches, on peut pas détester les riches et lécher leurs bottes avec suffisamment de révérence pour passer sa vie chez Gallimard.

Mais bref, ce roman était le contraire de cela, c’était l’histoire de deux vies grises, ordinaires, anodines, une femme et son beau fils qui n’avaient pas voulu vivre ensemble, et le faisaient quand même, trente ans durant, par la force des choses où plutôt la force du terne qui fait que tu restes dedans une vie entière, une vie de tout petit moyen, sans prise sur l’Histoire pas même sur la tienne.

Il ne se passait rien dans ce livre, à part quelques moments, quelques regards , quelques repas réussis, un morceau de jardin, une balade en voiture, et un peu de cœur, finalement.

Il se passait la vie dans ce livre, et déjà à trente ans, j’avais découvert qu’elle n’était pas forcément plus intelligente et trépidante dans les bourgeoisies rebelles ou pas, pas plus profonde ou aventureuse malgré les apparences, l’enrobage, les voyages convenus d’avance qui étaient tout sauf des aventures, les histoires d’amour qu’évidemment on savait mieux mettre en scène et puis surtout on avait les costumes, les maquillages et les accessoires, dans les hautes sphères mais c’était tout.

Je pensais à ce livre et aussi à un pavillon squatté à Bagnolet, à cause d’un autre, vide, avec une voiture ancienne et délabrée dans la cour, que j’avais croisé pendant la balade avec ma nièce. Ce pavillon à Bagnolet était celui d’un monsieur qui était mort seul et tout était intact dedans,la voiture, les meubles, la vaisselle, des vieux catalogues de dix ans avant. Et puis son courrier. Alors les amis Russes immigrés de le misère qui l’avaient squatté avaient parcouru le cimetière jusqu’à trouver la tombe du monsieur, ils allaient y mettre des fleurs souvent.

Des moments, des regards, des gestes de nos Histoires de petites gens qui valaient bien la grande. Des souvenirs qui permettaient de tenir, de se noyer dans la torpeur d’un éternel présent, immensément fragile, brusquement, et immensément attachant.

Pangoline Rouge, jour 18

3 avril 2020

En tout état de cause, le dromadaire se portait bien.

Naturellement, nous ne respectoions pas exactement les règles gouvernementales du confinement. Les pavillons et la cité se retrouvaient là, à mi chemin de nos existences dévastées, et l’un dans l’autre, la balade devait se trouver à un kilomètre et demi de nos terriers respectifs. Demi inqualifiable, enfin si, à mériter qu’on finisse tous en réanimation, très exactement.

Oh rassure toi, nous respections les distances, petites silhouettes différentes et fragiles, s’évitant soigneusement.
Mais moins qu’avant, au fond. À cause des mêmes cernes autour des yeux, à cause des mêmes rides du souci, à cause de l’attente commune des chiffres terribles du soir, à cause des dromadaires et des chameaux que nous approchons chacun notre tour, avec gentillesse et déférence, les regarder de près, redevenir un instant des enfants. Cela faisait cliché mais c’était cela, nous étions, imitation d’après apocalypse ou d’une version réussie de Vernon Subutex en série, en paix.

Sauf que c’était en banlieue, les terrains vagues étaient devenus magiques, car vastes, si vastes, qu’on pouvait être quelques familles, quelques immigrés de l’Est, quelques jeunes, pas si bruyants que cela et personne ne les regardait mal, il n’y avait plus d’intrus, plus de propriétaires, plus de clandestins et d’officiels, juste des humains à distance, mais proches, profitant d’une toute petite heure d’eternel présent mais en Bien.

Ça ne durerait pas, ça ne dure jamais, si l’on ne fait de mal à personne, ça inquiète les préfets qui n’aiment pas du tout être inutiles, un bâton est fait pour s’en servir.

De toute façon, vague, en suspens, gratuit ne rime pas avec capitalisme. Et une épidémie ne changerait rien à cela.

Simplement, peut-être, il y aurait les souvenirs d’instants, ou les dromadaires étaient plus heureux qu’au cirque, et où nous aussi nous avions cessé de faire parade agressive, pour partager des regards brillants de larmes, de loin.

Pangoline Rouge, jour 19

4 avril 2020

Sans doute, à la fin de ce temps, oublierait on son ordinaire.

Celui des gens de rien qui avaient fait face correctement. Et tenu à bout de bras la société humaine, sans pour autant espérer grand chose en particulier.

Comme à l’accoutumée mais avec beaucoup plus d’acuité, la lutte des classes ne consistait pas à prévoir l’après à longueur d’appels unitaires de bureaucrates de gauche confinés qui s’y voyaient déjà, après.

Les gens qui comptaient étaient dans le pendant comme d’hab. Et n’en retiraient peut-être rien, à part avoir fait le taf.

Ainsi les grosses structures humanitaires faisaient de l’appel aux dons sur les réseaux sociaux, “pour les plus démunis”. Taisant le réel, où c’était les démunis qui assuraient pour les plus démunis, les petits collectifs n’avaient pas fermé, les grandes associations réouvraient timidement, et bien souvent pour demander de la prise en charge aux petites, celles où les bénévoles prenaient des risques, sans process autre que dire aux gens, s’il vous plaît respectez les distances de sécurité, tout le monde aura à manger.

Bénévoles d’ailleurs était un mot bien vague, puisque c’était la guerre, on aurait pu dire combattants. Même si c’était le printemps, même si c’était le soleil, même si les assos qui distribuaient des trucs faisaient office de vie du samedi puisque les vendeurs de choses inutiles étaient fermés.

Il y avait donc cela, ici, dans le Val de Marne mais dans un tas d’autres endroits aussi. Cet après midi midi ensoleillé et dangereux où l’on croisait un pompier à la retraite, un ex champion de boxe victime d’un accident du travail il y a bien longtemps, une femme terrorisée par le virus qui portait deux paires de, gants mais n’avait jamais fini de remplir les cabas des gens, un mec qui s’enthousiasmait à l’idée de se lever pour aller courir les Truffaut qui donnaient leurs stocks mardi, et comme ça les gens feraient des jardins, sur leur balcon ou sur le terrain de l’association.

Ce serait mardi, si mardi arrivait sans que ce soit encore des catastrophes, mais comme d’habitude, on ne parlait pas de ça, on faisait comme si, en bien ou en mal, la vie, pour les classes basses, c’était avec ou sans épidémie, faire des plans sur la comète du mardi sans se laisser arrêter par le milliard de saletés de lundi que nous imposait le capitalisme.

Bon, employer capitalisme à tout bout de champ, c’était un peu problématique littérairement parlant, il aurait fallu sous entendre finement, mais c’était la faute du camarade Alexandre Lazar Smirnov, qui depuis le début de la crise était devenu mon avant-garde, lui, non seulement il se battait en live, mais le soir il voyait loin, tu le lisais et tu te disais oh là là mais c’est exactement ce qui se passe globalement, ce mec voyait la beauté des coccinelles rouges de très très haut, tout en restant pas dans son bureau.

Pangoline Rouge, jour 20

5 avril 2020

Le déconfinement, le confinement, les bons élèves et les mauvais, on va arrêter.
Il n’y aura pas de retour à la normale sans vaccin. Voilà, c’est tout c’est comme ça. On est partis pour au minimum deux ans de pandémie.

Et face à cela, quelle perspective, quelle stratégie étatique ? Et bien rien, juste cette phrase en boucle, respectez le confinement.

Ça ne peut pas suffire. Si, pour quelques semaines, à celles et ceux d’entre nous qui ont élaboré une stratégie de déni parmi d’autres. Se dire qu’en respectant, en ne sortant pas, et si tout le monde le fait, la courbe va raser les pâquerettes et on sortira, on mettra des masques en tissu, et puis elle ne redémarrera pas.

Mais non. C’est juste totalement impossible.

Pas sans bouleverser totalement l’organisation sociale. Les bars, les restaurants, les concerts, les centres commerciaux,, c’est terminé pour un long moment.
Seulement même ça, sans masques réellement protecteurs, sans transports en commun moins bondés, sans classes moins surchargées sans hôpitaux avec de vrais moyens, sans que les patrons mettent le fric pour réorganiser les espaces de production pour la sécurité des salariés, ça ne suffira pas.

Le nombre de cas mettra juste quelques semaines à remonter.

Et que dit ce gouvernement à ce sujet ? Absolument rien, ou des billevesées sur “le pic” attendu, la date de potentielles nouvelles élections municipales, d’un potentiel bac de français, de consultations sur l’avenir de l’hôpital public. N’importe quoi.

Tout bêtement parce que nous ne sommes pas face à un complot de dirigeants très intelligents mais à un ramassis de gens en dessous de tout, qui eux aussi cherchent un impossible retour au “comme avant”. Comme avant, que les patrons gagnent plein d’argent et que l’investissement dans le bien commun soit en perpétuelle diminution.

Ces gens sont bien plus dans le déni que le mec qui va faire son jogging ou pique niquer parce que merde, c’est le printemps. Eux ils sont en mode “Non mais c’est possible, il y a forcément un moyen pour qu’on continue comme avant sans débourser d’argent”.

Non il n’y en a pas.
Et si on veut en sortir vraiment, il faut qu’on le leur fasse comprendre.
Et l’accepter nous aussi.

C’est extrêmement difficile, évidemment. Dix fois dans la journée, je me surprends à penser, dans deux mois, quand “ce” sera fini, ceci ou cela. Et c’est cela qui fait que tu sors pas, ça et la peur quand tu sors, mais pareil, tu penses, quand on ressortira sans peur… Mais non, il va falloir continuer à avoir peur à chaque instant, pas tant du virus que de l’incapacité de nos dirigeants à avoir une stratégie cohérente. Qu’on ait pas respecté le confinement pour rien, il est nécessaire mais pas suffisant.

Pangoline Rouge, jour 21

6 avril 2020

Jour difficile. Si au moins, on avait pu vivre cela sans être contaminés par la propagande fasciste.
Mais non. C’est impossible de traîner sur Facebook sans trouver partout et même sur nos fils d’actu de gauche des sornettes anxiogènes, des raisonnements conspirationnistes, des médias de Poutine.

Faire la veille des sites d’extrême droite, on s’habitue. On ne croit pas à ce qui est écrit et voilà. Mais leurs campagnes, même amoindries, même euphemisées, même retransformées que tu retrouves ailleurs, c’est le plus difficile à vivre. Parce que parfois, toi même tu y crois un instant, même si tu sens à force, quand quelque chose vient de là bas.

Et donc, checker. Quatre, cinq fois dans une journée, aller chercher la source, démêler le détail vrai du faux global, sans vrai détail, ça ne tournerait pas.

Réellement, c’est anxiogène. En temps normal, déjà. Mais là bon, à la fin de la journée, en période épidémique, tu as dans la tête, tout qui s’emmêle, les hoax fascistes en sus des mensonges ou les imbecilités dangereuses des Ministres. Une grosse bouillie.

Avant internet, ce n’était pas mieux, mais plus lent. Tu avais le temps de douter, de vérifier de revenir tranquillement en parler. Le complot du mercure dans les plombages et du fluor dans le dentifrice. Je me souviens que quelques personnes étaient à fond là dedans au début des années 2000 et que tu te disais bon pourquoi pas, mais qu’ensuite tu réfléchissais, et tu disais non.

Aujourd’hui tu as cinquante complots en même temps. Et tu checkes des profils, où tu peux résumer la timeline de ces dernières semaines en ” Le virus qui n’existe pas a été fabriqué dans un labo chinois avec la complicité d’un certain Levy. On nous ment, ce n’est qu’une simple grippe, on veut nous détourner des vrais problèmes avec ce truc anodin qui permet à Macron d’organiser un génocide et de vendre des vaccins tueurs alors que cette maladie imaginaire pourrait être soignée avec le traitement du docteur Raoult.

Résumé comme ça, ça a l’air d’être le fruit d’esprits dévorés par la fièvre. Mais non, juste des gens ordinaires, qui, simplement se font l’écho successif de tout ce qui tourne comme fumisterie, propagande, et rumeurs. Des gens qui ont mal et ont peur, ou alors des vrais salauds, fascistes, parfois c’est dur de savoir, le résultat est le même.

Ce sera un des obstacles, amplifié par la pandémie, cette fausse conscience politique terrible. Après vingt ans de pic conspirationniste, on n’a, jamais réussi à respecter la distanciation sociale vis à vis des réseaux qui propagent cela. Il est grand temps.

Pangoline Rouge, jour 22

7 avril 2020

La Lune Rose se lève et ceci évidemment n’est toujours pas, un journal de confinement.

Ni une chronique de l’épidémie.

Juste des notes sur ce temps étrange où brusquement tout le monde revenait à la politique comme vie de la Cité prétendument figée.

Ce n’était pas vrai, les prolos continuaient à sortir, à travailler, à périr, à lutter.
“À Carrefour, ils vont faire grève” avait annoncé un bénévole, à la fin de la distribution de nourriture en grande partie tirée du surplus de ces mêmes supermarchés, qui voulaient continuer à avoir des réductions d’impôts et donnaient sans donner donc.
Charge aux prolos d’organiser la distribution, débrouillez vous, puisque ça vous touche que d’autres comme vous crèvent de faim.

Bon fais le malin, patron, fais le malin. Mais tout ça n’empêche pas, Nicolas ou Gonzague, que la Commune n’est pas morte, que beaucoup de gens se croisent là, et ailleurs, des gens persuadés avant d’être différents à cause de la religion, de la langue, de l’identité, de toutes ces choses qui comptent certes, mais n’empêchent pas la même souffrance, la même faim, la même envie de sourire quand même et là, tout cela compte, patron malin.

Ici et maintenant, un instant, nous sommes finalement moins confinés qu’ avant. Nous le payons au prix fort, mais patron, tu ne sais pas quelle leçon nos enfants en tireront eux qui ont vu, pendant ces temps tragiques, les mêmes sourires de grands si différents devant l’annonce d’une, grève.

C’est tout pour ce soir, ceci n’est qu’une succession de petites histoires qui, après, feront peut-être la grande.

Pangoline Rouge, jour 23

8 avril 2020

De quel droit mais de quel putain de droit sépare-t-on les personnes décédées en EHPAD des autres ?

Qu’on ne nous parle pas de statistiques imprécises au vu de l’hécatombe. Cela ne justifie rien. Mieux vaudrait une approximation que cette séparation qu”on nous impose, et que nous devons refuser.

Ça ne change rien pour le présent, rien aux vies perdues, rien au cauchemar qui se joue au milieu de nous.
Oui, au milieu, les EHPAD ne sont pas plus loin que l’ hôpital. Pas plus que notre mort n’est loin de nos vies, ni maintenant, ni jamais, juste en “temps normal” nous n’y pensons pas chaque jour et dans ce déni, nous avons désormais aussi inclus la vieillesse, avec ce terme de dépendance. C’était bien la peine d’adopter ce vocable, dans le discours politique, pour se, gargariser des “chantiers à venir dans ce domaine”, pour faire aujourd’hui comme s’il y avait un enfer où les nôtres mourraient en toute indépendance des autres.

Et nous parlons déjà de déconfinement, parce que la courbe, forcément est allégée de ceux dont on nous somme de porter le deuil, secondairement, accessoirement, ou pas du tout.

Mais non. L’épidémie est plus forte que jamais, et l’enfermement n’est pas seulement le confinement, mais l’enfermement de ceux qui étaient déjà confinés aux marges de notre société, et ce sont les personnes âgées et ce sont les migrants et ce sont les SDF, qu’on comptera à part, qu’on comptera plus tard, bien plus tard, ou pas du tout, pourquoi pas morts de la rue comme d’hab ?

Si nous ne pouvons pas grand chose contre la mort, nous pouvons pour la dignité, la notre et pour l’histoire, car c’est aussi cela qui se joue, ceux qu’on ne compte pas aujourd’hui ne compteront pas dans les mémoires plus tard.

Et l’histoire donne le sens aux sociétés, et nous avons la responsabilité de la raconter et que cette épidémie reste dans les esprits, et à quel point, tous les discours d’unité nationale étaient une fumisterie juste avant, car ils excluaient tant de gens, au nom des racines, au nom des générations d’avant, mais finalement, quand le moment de vérité est venu, nos beaux parleurs de dirigeants ont exclu les anciens, dont ils avaient fait tant de cas quand ça ne leur coûtait rien.

Il reste, nous, et exiger d’être comptés tous ensemble dans nos vies, nos morts, nos souffrances.

Pangoline Rouge, jour 25, en retard

10 avril 2020

Hier soir, madame Ouin Ouin était de service et est allée se plaindre de la fin du monde dans son lit.

Ce matin, le Ciel n’était pas encore tombé sur ma tête, et cela arrive, littéralement, j’ai grandi avec le récit du premier jour de la Guerre de ma grand-mère, jeune fille de 14 ans, allant mettre une lettre à la poste lorsque les premières bombes allemandes sont tombées sur la seule usine de la petite ville polonaise où elle habitait.

Ces questions fiévreuses que je lui pose toujours, mais vous saviez que ça allait être la guerre, mais tu savais qui était Hitler ? Elle savait vaguement et puis un jour c’est arrivé.

Et il a fallu faire face. Sans poésie aucune, ni blabla, de la guerre, la grand mère raconte seulement le quotidien, celui de son grand-père mort dans d’atroces souffrances d’un ulcère parce que les médecins étaient réquisitionnés par les nazis, elle était loin à Berlin, réquisitionnée pour une usine d’avions, mais elle ne raconte jamais le quotidien sans graduer, sans préciser que pour les Juifs, c’était la mort immédiate. Et il a fallu bien des années pour que je rencontre des historiens de la Shoah, mais je n’ai pas eu besoin de cela pour faire la différence entre un génocide et le reste, la grand mère, sans altruisme particulier, ni emphase décrivait juste les faits. Les nazis voulaient des esclaves polonais mais les Juifs ils voulaient tous les tuer.

Donc elle était esclave des nazis, mais pas la pire non plus, car ses deux amies sont mortes dans un bordel pour soldats sur le front de l’est et puis elle savait se débrouiller, et c’est cela qu’elle raconte le plus souvent, sans pathos, le quotidien, les punaises qui empêchaient de dormir la nuit, et c’était pire que les bombardements, parfois, les bombardements, souvent, les filles ne voulaient plus se lever, c’était les allemands qui les contraignaient à descendre dans les abris, car ils voulaient garder leurs esclaves, les esclaves, elles, étaient épuisées.

Elle raconte ça en disant les Allemands, mais ensuite elle corrige, elle parle toujours d’un monsieur qui leur apportait un peu de nourriture en cachette et puis d’un petit chef de l’usine qui l’a sauvé d’un SS en visite à qui elle avait répondu une insolence en allemand, car “moi j’étais pas comme ton grand père, j’en profitais pour apprendre l’allemand et le SS a très bien compris ce que je disais haha”, et tellement bien compris, qu’il voulait l’envoyer “à l’Est”, et le petit chef a supplié le SS et la grand mère a compris longtemps après ce qu’il avait fait pour elle. Qui n’avait pas dit un truc politique, juste qu’il allait pas avoir moins chaud avec son grand manteau parce qu’elle avait moins froid en s’appuyant deux secondes sur un radiateur.

Bref, à côté de ça l’épidémie…

Bon tout de même, c’est évidemment sur elle que je me calque, elle qui m’a dit hier, compte pas qu’on passe l’été ensemble, elle qui à 94 ans fait ce qu’elle faisait pendant la guerre et qu’elle m’a toujours transmis, pour survivre, tu fais ce que tu as à faire et surtout tu ne penses pas que ça va finir, c’est comme ça, c’est la vie et c’est tout et ça pourrait être pire.

Et ce n’est pas de la résignation, tous les jours, au téléphone, nous parlons de la politique du gouvernement, des abus du confinement, en mode factuel, elle veut les informations, la télé la fatigue, et moi je lis vite. Mais ensuite, elle veut savoir si j’ai fait à manger, et le décompte occupé de mes journées, exactement comme d’habitude.

Alors parfois je m’effondre, madame Ouin Ouin, et puis je me rappelle la petite jeune fille polonaise, qui s’est tapée la guerre et les nazis, et ça reste inconcevable, même si tu n’étais pas Juive, et à propos de ça, parce que la vie continue, vraiment les directions perverses de toute la gauche radicale qui, comme d’hab ont profité de la situation pour faire des sous entendus comparatifs dégueulasses, en faisant exprès d’appeler un texte unitaire “Plus jamais ça”, non seulement vous jouez avec le relativisme et le conspirationnisme, mais dans ces circonstances, le faire avec son petit air d’avoir l’air de rien, c’est particulièrement infâme, vous ne nous représentez pas tous, et ça se paiera.

Pangoline Rouge, jour 26

10 avril 2020

Je me demande si dans d’autres pays, démocratiques les dirigeants prennent au moins la peine de cesser de parler aux gens comme à des enfants de trois ans.
Et encore, à part Jean Michel Blanquer, tout le monde a progressé question pédagogie avec les enfants de trois ans.

Plusieurs jours que je lis les posts du Ministère de la Santé. Fais le ménage, ouvre tes fenêtres, jette tes mouchoirs, fais pas de jogging, pas la peine de passer ton pain au four, reste à la maison, deviens bénévole dehors. Heu bon.

Nous sommes des adultes. Nous avons besoin de vulgarisation en direct live sur les études relatives au virus, à sa propagation, aux pistes de recherche en cours.
C’est cela, le travail d’information d’un Ministère, en ce moment. Pas un pictogramme pour dire “Pas jogging”, non une transcription des études qui montrent que la distance entre deux individus doit être plus grande quand on marche ou qu’on court.
Pas juste “pas sortir pour les vacances”, des modélisations simples sur la propagation accélérée des épidémies.

Parler aux adultes comme à des petites choses stupides juste bonnes à obéir a des effets catastrophiques en période de crise. Notamment celui de favoriser le côté attirant du rebelle conspirationniste ou juste prodigieusement con qui est en mode fuck le confinement, à bas l’Etat et son virus. À côté de l’affichette “Jette ton mouchoir jetable”, même un anti-vaxx semble donner des conseils plus élaborés.

Et à un moment comme au Canada ou ailleurs, il faudrait aussi dire la simple vérité. Pas de retour à la normale avant minimum, grand minimum un an, voire bien plus. Arrêter de laisser imaginer un déconfinement progressif et au pire à la rentrée de septembre, ce sera comme avant. Non. On ne sait pas, tout bêtement, l’épidémie peut plafonner et repartir en pire, aussi bien. Et face à cela, la vie va devoir s’inventer, tristement, prudemment, pendant longtemps.

Bon ce gouvernement ne sait rien faire, même pas de la prévention, même en mettant de côté gentiment son capitalisme atroce, et bien reste qu’il est con.

Et la seule chose que j’imagine, c’est ce qui germe déjà, que je vois dans la démarche des concernés par l’épidémie de SIDA , l’auto support, la prise en charge de la vulgarisation des avancées scientifiques et de leur impact en termes de prévention et de contrôle, et de pressions sur les politiques de santé publique.

Pangoline Rouge , jour 27

11 avril 2020

Je vais manger des biscuits sans gluten pour la première fois de ma vie, en me demandant ce que ça fait dans une distrib alimentaire, les gens sont-ils moins allergiques maintenant ?

Je me pose plein de questions sottes comme ça, en distribuant des yaourts, parfois j’imite fort bien le cri de la chèvre parce que je ne parle pas la langue de la personne en face, pour décrire un fromage, apparemment les chèvres crient pareil dans pas mal de coins de la planète.

Je pense aussi au grignotage accéléré de la démocratie en cours, aux violences policières qui continuent. Et puis la nuit, à la mort, qui ne se voit pas mais qui s’entend, les sirènes qui s’intensifient.

Mais globalement, je pense et je n’en dis rien.

Je rumine et j’attends. S’il n’y a pas d’après j’aurai été anticapitaliste avant, oh modérée, j’aime bien Léon Blum, je le préfère à Lenine, j’avoue. Trouillarde de base, et gagne petit avec ça, j’y peux rien, j’ai toujours adoré les petites victoires progressistes.

Mais bref, j’attends. S’il y a une issue, il sera bien temps de faire le bilan et d’ attaquer. J’écoute le président du MEDEF et je reprends des biscuits sans gluten, mec, sérieusement, tu crois que si on sort de cette merde, ce sera pour dire oui quand tu nous sucreras nos vacances ?
Tu crois que t’auras autant de gens indifférents aux grèves des soignants, des éboueurs ou des caissières ? Tu crois que ton truc sur aucun risque à bosser jusqu’à 70 ans, et sur l’allongement de l’espérance de vie, ça va passer pépère ?

Je ne crois pas moi. Tous les pessimistes du monde pourront me dire le contraire, je ne crois pas. Bon évidemment j’ai toujours cru que demain c’était le grand mouvement, alors je ne suis guère fiable.
Mais tout de même, déjà avant cela, c’est un immense mouvement social que nous avons eu et soutenu.
Alors après, pourquoi pas mieux ?

En attendant, oui, on essaie simplement de survivre. Mais ensemble. Et si on réussit, on s’applaudira très fort, à 20h00, mais au siège du MEDEF, apparemment les occupations leur manquent, ils nous lancent des perches limite émouvantes.

Pangoline Rouge , jour 28

12 avril 2020

Aujourd’hui c’était le quatrième dimanche, alors pour marquer le coup dans la figure, je me suis autorisée une sortie non essentielle, je suis partie acheter quatre oignons et une sucette à l’orange pour ma nièce, pas vraiment nécessaire. Par superstition, je ne prends mon heure de balade qu’une fois de temps en temps, certains ont leur Raoult moi j’ai mon confinement mais moi je vends rien.

Bon c’était dimanche dans le no man’s land, on croisait peu de monde de toute façon, sur la nationale faite pour les voitures ou la moitié des pavillons laids sont condamnés, ACAB et RIC disait l’un et toutes ces initiales peintes me laissaient saoulée, il y a des flics plus utiles et moins nocifs qu’Etienne Chouard, crois mois.

Peu de gens étaient là pour me croire, une nana portant le voile et un masque qui soufflait sur un pissenlit avec sa gamine, l’année prochaine il y en aurait donc plus, pas forcément des voiles, imbécile de raciste qui me lit, des pissenlits et la magie d’un souffle de vie sur le duvet volant du pissenlit, même dans les terrains vagues ça marche.

Peu de gens étaient là mais c’était dimanche, même d’ordinaire ordinaire, qui s’arrête pour regarder l’antenne relais, assis, sur un bloc de béton abandonné percé de tuyaux de métal rouillé, à part un vieux couple qui semblait en paix, c’était dix sept heures, les dimanches d’avant, l’heure du glissement vers le lundi animé et harassant, maintenant aussi, sans doute, ici ça continuait à travailler pour beaucoup de gens mais dans le silence du dimanche, la métropole déserte se taisait tout le temps .

Un autre habitué avait pris un bloc de béton solitaire, son bronzage qui ne l’était qu’en partie et ses cheveux fous signaient la rue, je me suis approchée, j’ai laissé un billet, dit bonne chance, il a dit “Vous aussi”, bon ça avait du sens, la réciprocité, la chance avait de l’importance pour tous maintenant, je l’ai retrouvé à l’ épicerie, je n’ai pas regardé ce qu’il achetait, moi j’ai ajouté un Coca, j’étais redevenue accro au Coca du dimanche, en revenant ici, comme gamine, pétillant enviable dans un océan de plat.

Y’avait pas de flics, en matière de romantisme militant, la banlieue, c’est les flics, les émeutes, la révolte, ça arrive, on en meurt, encore ces derniers jours, mais globalement, c’est l’ennui, la désespérance des dimanches qui se ressemblent, sans fric, le problème est là quand même, même si Booba préfère chanter autre chose, on le comprend.

J’ai trouvé ma sucette à l’orange en tout cas, la nièce a applaudi, on a pris chacune notre dose de sucre, elle en écoutant Jean Jacques Goldman qui dit qu’on peut être fiers, tata, oui, oui, c’est le message répond la tante, qui boit son Coca, en regardant la courbe, en la scrutant jusqu’à ce que les points deviennent les gens qui s’asseyaient sur les blocs de béton le dimanche, et qui manquent, et qui manquent.

Pangoline Rouge, jour 29

13 Avril 2020

Comme je suis bon public, et vraiment très conne, deux heures après le discours de Monsieur, je me suis surprise à taffer dans ma tête, et alors si on reprend le 11 mai, d’accord mais tout sera à refaire, deux mois sans lire, et il lui faut des nouvelles lunettes et bon, forcément un autre aura trois jours d’euphorie mais forcément il va craquer au cours de sport mais au fait y’aura sport, ou pas ?

Facile, hein monsieur le président de la France et subordonné du Medef ? Tu sais bien la petite euphorie illusoire du 11 mai pour les amoureux précaires contrariés de l’école publique , annoncer cela et savoir qu’on va forcement se projeter un soir, espérer bêtement, qu’on ne meure pas, que nos proches ne meurent pas, et puis imaginer une rentrée, retrouver les collègues, entendre le rire des enfants dans la cour, avoir apporté chacune un gâteau et des petits cadeaux pour la pause, et oui, on aimerait tant. Faire semblant.

Mais non. Non et non. Demain le décompte des vies perdues à cause de la destruction des services publics continue Demain des soignantes vont continuer à vivre le pire. Et des ambulanciers, et des caissières, et des éboueurs, et des routiers, et des livreurs, et tous ceux que tu as cités, en promettant des jours heureux qui reviendront et tu parlais pas de ceux de la grève, juste tu te foutais de nous, en fait.

Monsieur le président de la guerre, on a bien compris ton truc de la première ligne, de la deuxième, de la troisième. Qu’il était temps que l’arrière risque sa vie aussi, pas pour lutter contre le virus, pas pour l’éducation, pas pour la vie, pour les patrons.

Mais t’es qui pour nous parler du front ? Bah le mec qui avait promis de tenir le front antifasciste et qui a déserté comme un lâche aux premières attaques, et qui en était à citer Maurras avant tout ça. T’es une retraite et une capitulation à toi tout seul, Emmanuel Macron. Une désertion en rase campagne alors que t’avais juste à affronter avec les moyens de l’état le discours de petits fascistes de rien du tout sur l’immigration ou l’islam.

Alors bon, ton trip de général allez y avec des masques en tissu, ça me rappelle l’histoire du dangereux con qui avait décidé que les soldats iraient se battre avec des pantalons rouge vif en 1914,alors que la guerre avait déjà été perdue avec les mêmes en 1870.

Mais bon, perdre l’Alsace et la Lorraine, on pouvait s’y faire. La vie, non, monsieur le président, on repartira pas comme en 14, la fleur au fusil en oubliant le déni de l’avant confinement.

Pangoline Rouge, jour 30

14 avril 2020

Pourquoi les écoles et pas les manèges ? Aussi bien réouvrons tout, et puis un manège, c’est moins dangereux que la cantine, en plus.

Non, parce qu’à la fin, tant qu’à faire n’importe quoi, autant le faire gaiement. Passons nous au moins de la posture si peu crédible, ah non juste les choses utiles et safe, voyons, il y a une épidémie tout de même, on fait attention.

C’est bon, on nous a déjà fait le coup avec les élections municipales, va voter à des millions mais pas de pique nique à trente avant.
On ne contaminera pas moins de gens que parce qu’on ne fait que des choses pas amusantes, il n’y a aucune preuve que le virus soit un fanatique protestant, manifestement c’est plutôt le genre à se moquer totalement des apparences.
Donc quitte à choisir sciemment de propager l’épidémie, en rouvrant les écoles et en comptant sur l’immunité collective au moment où l’OMS vient de rappeler qu’à priori, on peut de toute façon être malade plusieurs fois de suite, autant la propager en faisant vraiment revivre l’économie, pas de demi mesures puisque c’est l’objectif. Rouvrons tout, amusons nous et oublions joyeusement la première vague, en attendant le tsunami.

Qui n’est pas certain, note bien. On n’est jamais sûr de rien, regarde y’a deux mois, pas mal de scientifiques étaient quasiment sûrs de la pandémie mais pas les mêmes politiques qui sont sûrs du 11 mai, absolument sûrs.

Pardi, c’est un lundi. Un retour à la normale validé et raisonnable, c’est pas en milieu de semaine, le moment optimal pour avoir vaincu une épidémie, c’est évidemment un lundi.

Heu non, pardon, pour reprendre le travail, bande de feignasses, mais c:est pareil. Si, si puisqu’on vous le dit.

Pangoline Rouge, jour 31 et fin

15 avril 2020

Et pour conclure ces inutiles chroniques, il fallait que ce soit le jour de la Dame, Inutile parmi les inutiles, celle qui ne nourrit pas son homme, mais élève les regards et berce le cœur de tant de filles, depuis tant d’épidémies.

Le jour d’il y a un an où l’incendie a ravagé la Dame, et où il paraît que si l’on était pour la révolution sociale, l’on n’avait pas le droit aux larmes devant la beauté perdue, pas le droit de regretter la douceur de la pierre froide sous les doigts, et l’immensité qui coupe le souffle, et l’ombre fraîche, et les éclats de couleur qui se reflètent sur le sol, et l’odeur du Temps qui emmène loin si loin, et les fantômes bâtisseurs et leurs histoires de petites gens gravées sur les murs.

Je n’ai pas écouté mon camp, ce soir là, ma Dame, car aucun Dieu n’a le droit de vous revendiquer pour la droite, vous qui êtes à tout le monde, depuis tant de siècles déjà.

Et ici, si loin de vous, de retour dans cette banlieue où j’ai été enfant sans savoir qu’existait autre chose que les antennes relais, et les nationales laides, et les cubes de béton vite fait, athée que je suis, personne d’autre que Notre Dame n’aurait pu me convaincre d’écrire.

Ça ne sert à rien, se disait la communiste, et moi, à quoi je sers, répondait la cathédrale. À part être l’écho des rêves et des angoisses des humains comme toi, d’il y a si longtemps, le temps des pestes noires,. Et finalement voilà, par l’incurie du capitalisme, de nouveau, nous voilà cachés mais la Dame est là, abîmée mais debout, et tant de fois, les moments de claustrophobie, je me dis que de toute façon, je ne pourrais pas aller à Notre Dame pour le moment, alors le reste peut attendre aussi.

Pour le moment seulement, et je suis heureuse, que tant de bourgeois crachent leur argent pour elle, de toute façon, on ne l’aurait pas eu cet argent, alors autant qu’il serve à faire battre le cœur des révolutionnaires amoureuses des cathédrales et de l’odeur du temps.

Puisque le Temps reprend, sur ordre, et qu’à défaut de vaincre l’épidémie, depuis deux jours déjà, tellement de gens ne pensent qu’à vaincre le confinement, et à reprendre les habits et le masque de la vie sous le capitalisme, même sans masques contre l’épidémie.

Et dans cet éternel présent là, je ne suis pas poète, ni écrivaine, ni rien de tout ça, je suis précaire en lutte, antifasciste. Un instant suspendu, la terreur de l’épidémie nous a laissés tous égaux, un peu, et c’était le moment de baisser la garde, et d’écrire ce qui passait par la tête, pour rien, pour l’inutile babillage qui berce et fait oublier les chiffres terribles de l’épidémie.

Mais les dirigeants ont parlé, de nouveau la sirène de l’usine résonne, et celle des luttes collectives, pour ne pas être condamnées à n’être qu’utiles à la machine à produire.

Vive l’internationale des pangolines, et l’on murmurera ses chroniques inutiles, plus tard, à la Dame, quand elle ouvrira ses portes de nouveau, pour un moment d’odeur du Temps à ceux qui veulent.

PrecairE, antiracistE