"Je n'ai pas vécu la liberté, mais je l'ai écrite sur les murs" (la révolution syrienne)

Un salaud est mort, reste à tuer sa mémoire

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Dans ma mémoire politique, Robert Faurisson n’aurait pas du exister.

Il n’avait rien d’extraordinaire, au regard d’autres figures importantes de l’extrême-droite et du néo-nazisme.
Le négationnisme n’était qu’une branche de la haine antisémite, une forme du retournement victimaire particulièrement abjecte puisqu’elle visait cette fois à légitimer un génocide et des crimes contre l’humanité, mais tout à fait cohérente avec le récit général antisémite: ce ne sont pas les Juifs qui sont persécutés, puisqu’ils sont les maîtres du monde et les vrais bourreaux.

Dans ma mémoire politique de militante d’extrême-gauche, Robert Faurisson, pourtant, est une marque au fer rouge sur ma peau militante, la marque de l’infamie, gravée pour la vie.
Ces prochains jours, dans les nécrologies, on lira sans doute beaucoup de choses sur les liens entre Faurisson et les pays “arabes”, sur les complicités dont il a bénéficié en Iran.

Et naturellement, beaucoup parleront du “nouvel antisémitisme” à cette occasion et de la manière dont de jeunes musulmans issus de l’immigration et de vieux nazis ont pu trouver un terrain d’entente.

Issue de l’immigration musulmane, pourtant, si j’en étais restée au Coran, peut-être n’aurais-je jamais eu la honte d’avoir côtoyé, à deux périodes différentes de ma vie, des gens qui avaient trouvé un intérêt à propager le négationnisme. C’est bien l’ ancien antisémitisme européen qui a sali mon histoire militante.

Au début, c’était impensable

La première fois au milieu des années 90. C’est un jour de table de presse dans une fac, avec un mouvement anarchiste, que j’ai entendu pour la première fois le nom de Robert Faurisson.

Lancé par un militant du Bêtar qui voulait nous péter la gueule, à nous et à toute l’extrême-gauche “antisémite”. Je lui ai ri au nez, à ce militant énervé, sûre de mon bon droit, parfaitement et évidemment certaine qu’aucun lien, mais aucun ne pouvait exister entre nous, fiers antifascistes détenteurs de l’héritage de toutes les révolutions, et l’extrême-droite que nous étions bien sûrs les seuls à combattre efficacement.

C’est là qu’il m’a lancé le nom de Robert Faurisson et celui de la Vieille Taupe en me disant d’aller me renseigner avant de parler. Sage conseil, que je n’ai jamais oublié.

C’est ainsi que j’ai appris qu’il y avait un lien entre nous et le négationnisme, dernier avatar de l’antisémitisme exterminateur. Entre autres, une librairie, la Vieille Taupe, parmi les plus prestigieuses des milieux révolutionnaires de la fin des années 70, son animateur et des militantEs , des théoriciens qui avaient lu Marx et Lénine et encore un milliard d’autres théories révolutionnaires. Des gens expérimentés et instruits et cultivés, de ceux qui écrivent les revues, pas de ceux qui distribuent les tracts.

Ces gens là avaient trouvé un intérêt à la négation du génocide des Juifs par les nazis, ces gens là avaient trouvé un intérêt à fréquenter et à défendre un néo-nazi comme Faurisson.

J’ai su comment, je ne sais pas si j’ai compris pourquoi. Peut-il y avoir une raison logique à ce genre de monstruosités, à ce compagnonnage invraisemblable?

Oui, l’antisémitisme. La haine totale, la même que celle des antisémites de tous bords.

Mais cette raison là, l’extrême-gauche l’admet difficilement. Au milieu des années 90, elle reconnaissait la collaboration de groupes et d’individus issus de ses propres rangs avec Robert Faurisson et sa sphère négationniste, et chacun était bien obligé de reconnaître aussi que l’artisan de cette collaboration, Pierre Guillaume avait bien été initialement un militant d’extrême-gauche et pas d’extrême-droite.

Didier Daeninckx et des hivers bien froids

Mais dans ces années là, déjà, la préoccupation principale d’une partie de l’extrême-gauche confrontée au rappel de son passé récent n’était pas de l’analyser et de faire en sorte qu’il ne recommence pas.

Il fallait au contraire imposer l’idée qu’il s’agissait d’un accident, d’une erreur, d’une provocation outrancière, d’errements passagers et circonscrits. Même, les individus qui avaient conduit cette entreprise pro-négationniste avaient pour certains de très bonnes intentions, expliquait-on aux jeunes militantEs et c’était d’ailleurs la raison pour laquelle certains d’entre eux qui s’étaient “expliqués” devaient toujours être considérés comme des camarades.

Des camarades a défendre contre l’Inquisition qui avait pour chef Didier Daeninckx.

C’est son nom qui me revient ce matin où Faurisson est mort, ce nom qui dissipe un peu le sentiment d’horrible gâchis et de honte absolue qui est le mien.

Didier Daeninckx, écrivain de ma mémoire, notamment celle de la guerre d’Algérie. Militant antifasciste total, aussi, honni pour avoir dénoncé la Bête qui venait de notre propre camp, pour avoir analysé et dénoncé le pro-négationnisme avec un immense courage.

Didier Daeninckx qui n’a jamais cru aux excuses de complaisance de l’ultra-gauche antisémite qui n’avait pas hésité à défendre Robert Faurisson.

Didier Daeninckx est celui qui m’a permis de faire face à la seconde fois où Robert Faurisson a eu un rapport direct avec ma vie politique. Un soir de décembre 2008, lorsque Dieudonné a fait monter sur scène le négationniste et l’a fait applaudir par des milliers de personnes sur la scène du Zénith, aux cris de “Palestine vivra, Palestine vaincra”.

A ce moment là, déjà, tous les issus de l’immigration musulmane qui n’avaient rien à voir avec l’antisémitisme étaient accusés d’en être partie prenante par les racistes. Nous étions déjà tous coupables, par essence, même si on disait un peu moins clairement qu’aujourd’hui que nous tétions la haine au sein de nos mères, le sous-entendu était palpable.

Nous, nous n’avions pas le droit à l’universalisme, nous nous n’avions pas le droit à l’individualisation des responsabilités. Nous, et particulièrement les arabes, nous n’étions pas antisémites comme les blancs qui n’étant pas une communauté, ne sont jamais responsables collectivement. Nous, dans le débat public, nous n’avions que des racines qui nous liaient indépendamment de nos actes aux antisémites censés avoir les mêmes que nous.

Ces soirs de l’hiver 2009 je me sentais bien responsable et coupable, collectivement, et à raison, mais cela n’avait rien à voir avec mon origine et tout à voir avec ma parfaite intégration dans l’extrême-gauche française. Dieudonné était des nôtres au départ, et il l’était resté bien après ses premières déclarations furieusement antisémites, formulées sans aucune ambiguïté, dès le début des années 2000 et bien avant la fameuse émission chez Fogiel.

Ce n’était pas dans ma famille naturelle que j’avais été éduquée à l’antisémitisme mais dans celle que je m’étais choisie, l’extrême-gauche. Dans cette famille là, une nouvelle fois, au nom de la liberté d’expression, au nom de la défense des dominés, un antisémite forcené avait été défendu et choyé, jusqu’à ce qu’il choisisse, de lui même de rejoindre l’extrême-droite.

Dans les années 90, Didier Daeninckx avait trouvé le courage de faire face à l’antisémitisme qui n’était pas parti à l’extrême-droite. Le courage de regarder en face la haine qui restait dans notre camp. De la documenter et de l’analyser. Il n’était pas historien, il était militant.

Mais le négationnisme n’avait rien à voir avec l’histoire, c’était un mensonge purement politique. Nous, les militants avions donc le pouvoir et le devoir d’y faire face, comme Daeninckx l’avait fait, et c’est en pensant à lui, qu’avec quelques camarades, nous avons décidé, ignares et conscients de l’être sur la question de l’antisémitisme, de le combattre quand même.

De faire face à nous mêmes. A ces bêtes immondes dont la bouche vomissait des mots qui nous parlaient parce qu’ils étaient aussi les nôtres et pas seulement ceux des fascistes.

C’était au nom de la lutte contre “l’histoire écrite par les vainqueurs”, au nom d’un anticapitalisme dévoyé que Serge Quadrupanni et Gilles Dauvé avaient défendu Robert Faurisson, au nom de la “liberté d’expression” que Noam Chomsky avait à son tour pris la plume pour lui. C’était au nom de l’antisionisme et de l’anticapitalisme et de la liberté d’expression que Dieudonné avait été promu et défendu des années durant. Au nom d’idées et de concepts dont la banalité dans nos rangs faisaient des évidences que nous n’avions même pas l’idée de critiquer.

Une nouvelle fois, la catastrophe antisémite à l’extrême-gauche n’avait rien d’un accident.
Rien d’une fatalité non plus. Il suffisait de ne pas la nier et de l’affronter. De ne pas faire semblant que le mal était parti avec Dieudonné.

Faurisson est mort, sa mémoire est bien vivante

Ce matin Faurisson est bien mort. Et il n’y a aucune raison de se réjouir parce que c’est sur un héritage bien vivant qu’il a posé son dernier regard de salopard. Le négationnisme n’a jamais été aussi populaire, diffusé aussi bien par des états et des gouvernements que par des anonymes qui ont le pouvoir du nombre.

Faurisson est bien mort, mais ce matin, à l’extrême-gauche, au lieu de crier victoire, nous devrions tous, surtout, faire devoir de notre mémoire. Nos fantômes sont bien vivants. Ceux qui ont été anticapitalistes avec Faurisson, pour la liberté d’expression avec Dieudonné, antisionistes avec Jean Bricmont sont dans nos rangs.

Et s’ils sont coupables, nous, nous sommes responsables. La complaisance de notre camp avec l’antisémitisme est une affaire de fond, pas de personnes. Nous avons un problème d’analyse du capitalisme, si notre anticapitalisme accouche sans arrêt des analyses anti-système. Nous avons un problème avec notre obsession antisioniste, car aucun anti-nationalisme honnête ne peut accoucher de l’antisémitisme. Nous avons un problème avec notre défense de la liberté d’expression, car aucun antifascisme ne peut aboutir à défendre le droit des nazis à dire “Mort aux Juifs”.

Faurisson est mort mais l’histoire de nos complaisances avec le négationnisme est déjà écrite. C’est de nos rangs qu’est sorti Dieudonné qui lui a donné la possibilité de vivre son ignominie en pleine lumière sur la scène du Zénith.

En attendant le Grand Soir, ce n’est donc pas encore ce Lundi Matin que nous avons une quelconque raison de crier victoire. Nous avons beaucoup trop de combats pour la mémoire en retard.


PS: la lutte contre le négationnisme et l’antisémitisme de gauche, même militante ne se fait pas sans sources, ni travail approfondi. A celles et ceux qui veulent en savoir plus sur les évènements évoqués dans ce qui n’est qu’un billet d’humeur et de colère, les ouvrages de Valérie Igounet, notamment la biographie de Robert Faurisson donneront toutes les clés scientifiques sur la rencontre entre celui-ci et une partie de l’extrême-gauche, et le travail immense de PHDN sur ces questions est également incontournable. Nous sommes également quelques militantEs à avoir lancé un groupe d’archives et de discussions sur cette question, si vous souhaitez y participer, contactez-nous.

PrecairE, antiracistE

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