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Retrait de la biennale d’Athènes, antisémitisme et fascisme: une lettre ouverte de Luke Turner

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Cette lettre ouverte de Luke Turner, artiste, menacé par l’internationale terroriste brune pour avoir créé une oeuvre s’opposant à Donald Trump a été publiée initialement sur son site, le 4 septembre 2018. . L’art est un champ de bataille comme un autre face à l’extrême-droite, et certains payent chers leurs combats, dans leur travail et dans leur chair. Luke Turner n’est pas seulement la cible des suprémacistes blancs à travers le monde, il est aussi la victime de la lâcheté, de l’indifférence voire de la complaisance vis à vis de l’extrême-droite.
Nous ne laisserons pas faire, nous ne les laisserons pas faire taire.

“J’écris, avec regret, pour rendre public mon retrait de la participation à la Biennale d’Athènes de 2018, et pour en exposer les raisons. Mon retrait est dû à l’incapacité collective des organisateurs à prendre des mesures décisives contre le comportement abusif d’un autre artiste invité et à sa campagne de dénigrement et de harcèlement des individus qui luttent contre le fascisme et l’antisémitisme, en particulier dans le monde de l’art.

Au cours des deux dernières années, en tant que créateur de HEWILLNOTDIVIDE.US avec LaBeouf, Rönkkö & Turner – une œuvre qui résiste à la normalisation de la division – j’ai été victime de nombreux ciblages, harcèlements et attaques d’extrême droite. Mon travail a été la cible de deux incendies criminels de néo-nazis et de suprémacistes blancs; l’un au Lieu Unique à Nantes et l’autre dans une résidence privée du Tennessee qui aurait pu facilement entraîner de multiples décès.

Des nationalistes blancs armés ont projeté de m’assassiner, et dans ce cadre j’ai dû être évacué en pleine nuit par les services de sécurité alors que je travaillais sur un projet dans un musée en Europe. De nombreux suprémacistes blancs se sont présentés à ma porte – parfois équipés d’armes à feu – aux États-Unis et en Europe, portant des drapeaux «Smash Cultural Marxism», «Kekistan» et le drapeau confédéré, menaçant ma sécurité et celle de mon entourage.

Les antisémites porteurs de flambeaux qui ont défilé à Charlottesville en scandant «les Juifs ne nous remplaceront pas» étaient les mêmes qui nous ont ciblés à New York, où leur slogan a été créé en réponse à Nathan Damigo, l’un des organisateurs du rallye. Nos œuvres ont du être retirées à Albuquerque en février 2017 en raison de menaces graves et crédibles d’attaques terroristes, notamment des fusillades et des attaques de véhicules d’extrême droite, ce qui annonçait les événements meurtriers de Charlottesville. L’œuvre a ensuite été notoirement volée et dégradée par deux membres du Parti des travailleurs traditionalistes, un groupe violent néo-nazi.

“Vous êtes sur la liste maintenant…”

Au cours des dernières semaines, j’ai été ciblé et attaqué sur les réseaux sociaux par des individus associés à LD50, la galerie londonienne à tendance fasciste, largement dénoncée au printemps 2017. Parmi elles, Daniel ‘DC’ Miller, auteur et ancien collaborateur de Frieze and Art Monthly. Miller a dirigé des dizaines de tweets abusifs et fanatiques contre moi et ceux qui me soutenaient, et a commencé à faire des menaces de violence particulièrement sinistres, y compris une séquence de messages où l’on pouvait lire: «Vous êtes sur la liste maintenant…» « Ils pensent peut-être que je plaisante »,« SANG » et « Surveille tes arrières… », accompagnés de symboles sataniques et de photos de mon visage.

Par la suite l’artiste berlinoise Deanna Havas, qui a tenu une exposition au LD50 en 2016, a rejoint Miller, a répondu à ses messages et a proféré elle-même des propos antisémites, a publié des croix gammées et a ri à l’une des images représentant une des attaques néo-nazies contre moi et mon travail. Havas a également publié une série d’articles sur l’acquisition d’une arme à feu et réclamé une «fatwa» contre les étudiants en art «socialistes». En regardant de plus près les profils de Havas sur les réseaux sociaux, j’ai trouvé d’autres messages antisémites et un soutien de longue date à la campagne de haine de l’extrême droite contre moi et mon travail. Comme il s’agit d’une personne travaillant dans mon secteur, avec laquelle plusieurs personnes que je connais ont partagé une plate-forme, j’ai senti qu’il était impératif de sensibiliser les autres à ce sujet. J’ai aussi réalisé une page avec de nombreuses captures d’écran des menaces et des insultes.

Au même moment, les autorités ont été alertées des menaces de violence et des propos antisémites de Miller et de Havas, qui font actuellement l’objet d’une enquête policière. Compte tenu de l’association de LD50 avec des personnalités d’extrême droite comme Brett Stevens, qui a inspiré le meurtrier de masse Anders Breivik et en a fait l’éloge par la suite, ces menaces de violence ne sauraient être prises à la légère.

En réponse à mon insistance sur l’antisémitisme de Havas, l’artiste Daniel Keller (que je n’ai jamais rencontré et avec qui je n’ai jamais eu le moindre échange auparavant) a commencé à me critiquer de manière agressive sur Twitter. Il a essayé à plusieurs reprises de me faire comprendre que je devais me taire sur les atteintes antisémites d’Havas, que c’était «totalement inoffensif» et que ce n’était «pas le genre d’antisémitisme qui a un effet sur [sa] vie». En dépit des faits révélateurs de la gravité des attaques auxquelles j’ai été confronté et de l’ampleur de l’antisémitisme de Havas, le gazouillis et le mépris de Keller ont duré deux semaines, au cours desquels il m’a accusé de me rabaisser (soyons clairs, dénoncer l’antisémitisme ne rabaisse jamais), et m’a qualifié de « tête de bite » et de « salope » pour avoir osé en parler. Au même moment, Keller dialoguait avec Havas sur Twitter, se moquant de moi et se livrant à d’autres insultes personnelles.

Keller a l’habitude d’attaquer ceux qui appellent le fascisme par leur nom, tout en minimisant et en trouvant des excuses au fascisme. En mars 2017, il s’est rendu au magazine Frieze pour décrire les manifestants anti-LD50 comme « dégueulasse » et les a également accusés de « faire le coup de poing ». Il a blâmé les manifestants d’avoir pris position, et déclaré : “La vidéo de dizaines de manifestants criant « les nazis hors de nos rues » au visage du seul contre-manifestant (qui, pour autant que je sache… n’est pas nazi) me hérisse la peau”

Ce seul contre-manifestant en faveur de la LD50 était en fait le DC Miller susmentionné, une figure qui épouse publiquement les points de vue fascistes et prône les idées du philosophe « superfasciste » italien Julius Evola. Le fait que ces détails soient très facilement disponibles, rend les mots de Keller d’autant plus alarmants.

La conférence de Keller, The Basilisk, doit être présentée à la Biennale d’Athènes. Dans cette conférence, Keller s’attaque à nouveau aux manifestants contre la galerie LD50 et présente une fausse dichotomie entre cette galerie, qui, selon lui, ne devrait pas être contestée, et une personne qu’il considère comme un « véritable fasciste », le Premier ministre britannique. Keller parle aussi beaucoup de Pepe the Frog, sans reconnaître une fois de plus que l’association dominante autour de Pepe the Frog aujourd’hui est celle d’un symbole antisémite. En fait, Keller ne mentionne pas l’antisémitisme une seule fois dans sa présentation d’une demi-heure. En passant, cependant, il se moque de l’ADL pour avoir catégorisé Pepe comme un symbole de haine, jugeant cela «absurde».
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Suite aux messages de Keller et en apprenant son implication dans la Biennale, j’ai contacté les organisateurs pour les informer que je ne pouvais pas partager une plateforme avec une personne impliquée dans ce type de comportement abusif envers moi. La réponse des organisateurs a malheureusement été totalement insatisfaisante. Ils ont à plusieurs reprises tenté de se dégager de toute responsabilité en insistant sur le fait que la Biennale n’est pas une plate-forme, pourtant elle l’est, manifestement. Ils ont tenté de minimiser et de mettre de côté le comportement de Keller en le décrivant comme opérant au sein d’une « bulle d’art » intellectuelle, et comme quelque chose d’uniquement lié à « l’étiquette » réseaux sociaux, comme si cela n’avait aucune conséquence concrète. Pourtant, c’est absolument le cas. Ces plateformes sont une partie essentielle et puissante du monde réel.

Les organisateurs sont restés indifférents à la nocivité des actions de Keller, soutenant simplement que la Biennale était un espace où des «projets hétérogènes» pouvaient exister – comme si le fait que Keller étouffait et minimisait les abus antisémites était seulement une affaire de prise de parti entre des opinions opposées. Ils ont insisté sur le fait qu’ils ne sont «pas un jury», comme si cela les dédouanait de leur complaisance et de leur inaction. Cependant ce n’est pas le cas. Les institutions artistiques ne sont pas neutres. La motivation personnelle et l’idéologie de Keller, quelles qu’elles soient, ne sont pas la principale préoccupation ici; ce qui compte, ce sont ses paroles et ses actions, le préjudice très réel qu’elles causent et leur impact sur l’antisémitisme et le fascisme. En minimisant, en excusant et en mettant en pratique ce processus, les organisateurs de la Biennale d’Athènes contribuent à la normalisation de l’antisémitisme, du fascisme et d’autres formes de fanatisme à combattre à tous les niveaux.

Contre cela, nous devons tous prendre position.
Londres, le 4 septembre 2018

Luke Turner

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