Palestine : la gauche doit-elle persister à “excommunier” le Hamas ?

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Le souhait exprimé trop unanimement par “la communauté internationale” d’exclure unilatéralement le Hamas de la sphère politique palestinienne (comme elle l’a fait une première fois en 2006 avec les résultats que l’on sait) est un leurre qui conduit une nouvelle fois à une impasse politique dangereuse. Quel grain de sable vient-il donc régulièrement gripper le logiciel des élites de la France, gauche incluse, dès lors qu’il s’agit de décrypter une mobilisation impliquant des acteurs attachés, tels les membres du Hamas,(et bien d’autres qu’eux dans la région) à leur appartenance religieuse musulmane?

Des “bébés décapités” jusqu’à l’inusable “droit d’Israël à se défendre”, en passant par les accusations de crimes sexuels systématiques, les “quartier général du Hamas caché sous l’hôpital”, jour après jour, les ressources rhétoriques de la grossière propagande israélienne ont fondu comme neige au soleil. Mais un dernier bastion résiste auquel même des voix dites “pro-palestiniennes” (à gauche et également, si rares soient elles, jusqu’à la droite de Dominique de Villepin) se croient obligées de perpétuer leurs concessions. C’est le dispositif d’excommunication de la principale organisation de la résistance palestinienne :“Tout sauf le Hamas!”.

La perception commune qui prévaut de ce leadership le résume à la dimension “terroriste” des actes de son aile militaire mais également à une gestion politique dictatoriale et “théocratique”. Pourtant, si le Hamas colonisé a bien commis des crimes le 7 octobre, et qu’il revendique depuis lors le droit de s’en expliquer devant la CIJ, la cible colonisatrice de ses coups en avait, depuis 1948 et donc bien avant le 7 octobre, commis de tout aussi horribles, contre des civils tout aussi innocents et dans une proportion minimale de un à huit !

Alors qu’il est parfaitement attesté de sources israéliennes qu’aucun bébé n’a été “décapité” le 7 octobre, des centaines d’enfants palestiniens ont été assassinés d’une balle dans la tête selon les aveux publics des snipers israéliens.

On accuse ensuite le Hamas d’avoir fait prévaloir ses intérêts partisans sur le destin collectif des Palestiniens. Au lendemain de sa victoire législative de 2006 ce Hamas “totalitaire” s’est pourtant empressé de tendre la main à Marwan Barghouti, son rival du Fatah… pour constituer un gouvernement d’union nationale, proposition qu’il a ensuite reformulée sans succès à deux reprises. Confronté à la division palestinienne, il a participé à une dizaine de médiations pour se rapprocher de son rival Fatah, exigeant régulièrement dans ses négociations avec Israël la libération des prisonniers de ce dernier, comme des partis de la gauche palestinienne.

Le Hamas non élu ? Il faut redire bien sûr que ce sont les manœuvres répétées de l’autorité palestinienne (craignant une nouvelle défaite), et non le refus du Hamas, qui ont différé le renouvellement des élections de 2006. Il faut rappeler enfin que – “utile ” ou “contre productive”, pour les prisonniers palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, l’histoire le dira – leur révolte indiscutablement très violente le 7 octobre 2023 contre leurs très très violents geôliers a été cautionnée non point seulement par le Hamas mais par l’entier spectre des forces politiques présentes à Gaza, “gauche” du FPLP incluse. Pourtant (exemple parmi tant d’autres) au moment où le monde était témoin d’une famine et d’une destruction systématique de la bande de Gaza, conduite impunément, sous prétexte d’auto-défense, par l’extrême droite israélienne et ses complices de toutes couleurs politiques, un respecté enseignant d’une Grande école parisienne a pu prétendre, dans le journal Le Monde, avoir déterminé non seulement que rien de ce qui se passe à Gaza ne ressemble à un génocide mais bien pire, que cette guerre “inhumanitaire”, comme il a préfèré la qualifier, était le fait de la “responsabilité écrasante” de ces militants du Hamas… écrasés sous les bombes et non celle des fanatiques dits “messianiques” (pour ne pas avoir à dire “fous de Dieu”) qui disent publiquement leur intention génocidaire dans une guerre menée contre un peuple entier ?

Comment ensuite, autre indicateur de l’ampleur du malaise, un immense ténor humaniste de la presse numérique de gauche a-t-il pu aveuglément cautionner une telle contre-performance analytique? La réponse, au cœur de mon propos, tient dans l’incapacité persistante de la classe politique française, gauche à peu près intégralement incluse, à adopter une perception rationnelle des courants qui continuent à représenter aujourd’hui une potentielle majorité chez la quasi-totalité de nos voisins arabes.

Jour après jour, la question revient ainsi avec acuité : la gauche française peut elle défendre une résistance palestinienne – si légitime soit elle – dès lors que son leadership (né, soit dit en passant, de la trahison des accords d’Oslo bien plus sûrement que de la volonté d’Israël de concurrencer Yasser Arafat) est dit “islamiste” ? D’une façon plus générale et tout aussi fondamentale, la gauche laïque et républicaine peut-elle communiquer rationnellement avec les courants – dits “islamistes”- qui ne partagent pas cette distance qu’elle entend, depuis 1789, maintenir chez elle entre “religion” et “politique” ? Peut elle réfuter le lien de causalité mis si clairement en évidence par le général de Gaulle en son temps entre occupation, répression, résistance et accusations de terrorisme ? En d’autres termes, le soutien à la cause palestinienne doit-il avoir comme corollaire obligé la diabolisation radicale et quasi sectaire d’un leadership qui a été porté au pouvoir le plus légalement du monde, sous le contrôle de l’UE, par les urnes législatives de 2006 ? Doit on nécessairement exclure pour déficit démocratique le parti qui n’est pas plus mal élu que son alter ego “politiquement correct” de l’Autorité (mais peut être faudrait il dire la “Soumission” ou la “Démission”) palestinienne de Mahmoud Abbas, parti que Netanyahou entend il est vrai exclure lui aussi de la scène politique palestinienne acceptable ? La gauche doit elle ainsi faire de “la démilitarisation” du Hamas c’est-à-dire de l’acteur central de la résistance armée, ou même de sa déportation hors de l’arène politique palestinienne, une condition de l’arrêt de la violence israélienne contre Gaza ?

Dans la France de De Gaulle, d’abord résistant français puis “colonisateur” de l’Algérie, la problématique de l’accusation unilatérale de “terrorisme” (contre De Gaulle puis par lui) a fini par être, fut-ce dans la douleur et les tensions, très officiellement dépassée.

Dans l’Amérique de la théologie de la libération, une très comparable mobilisation anti impérialiste de l’identité religieuse a bien été validée un temps par les gauches européennes.

Dans le monde arabe, malgré la persistance d’un courant aussi surmédiatisé qu’ aveuglément éradicateur, cet exercice exigeant de l’établissement de passerelles entre islamistes et gauches a de longue date été mené avec un certain succès. De l’Algérie du Pacte de San Egidio en 1995 (qui a vu les forces d’opposition de gauche s’associer au Front Islamique du Salut ) jusqu’ à la Troïka tunisienne de 2012 (entre les islamistes d’Ennahda et deux partis “laïques”, Ettakatol et le Congrès pour la République de Moncef Marzouki que la Constituante élira à la présidence de la République) ou encore au Yémen du “Forum commun” de 2006, une large partie des gauches arabes a réussi à dépasser la posture quasi sectaire qui demeure celle de la majorité de la gauche française. Les arguments pourtant ne manquent pas.

Le rejet obsessionnel de l’option religieuse d’une large partie des forces du monde arabe est d’autant plus questionnable qu’en France, les fondements théocratiques de l’expansionisme de l’Etat d’Israel ne posant aucun problème à nos très sourcillleux “défenseurs de la laïcité”. Et que lorsqu’il s’agit, en Syrie, de contrer la Russie ou l’Iran, ni la France ni ses alliés ne refusent de cautionner la transformation, en l’occurence bien réelle, d’un “ancien jihadiste” en promoteur du parlementarisme.

Que faire aujourd’hui ? Etablir un dialogue non point entre les dogmes religieux, dont aucun n’a moindrement envie de céder un verset aux autres, mais entre les tenants de problématiques – produites d’historicité fondamentalement différentes au “Nord” ou dans le “global South” – qui font que religion et politique peuvent ici et là, s’opposer et, ailleurs, coexister plus fonctionnellement que ce ne fut le cas dans la trajectoire révolutionnaire française. Et, ce faisant, construire d’urgence une perception rationelle de l’”Islam” dit “politique”, c’est à -dire…. de la voix des peuples d’une large région du monde à ce moment de leur histoire. C’est un défi majeur, c’est un défi urgent.