Contre l’islamophobie: le 11 mai et après, aimez nous vivants

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L’assassinat d’Aboubakar Cissé a déclenché une immense émotion au delà de la communauté musulmane mais aussi des débats indignes en réponse : pendant des jours, l’extrême droite, la droite, les macronistes ont essayé de démontrer  que le meurtre d’un jeune homme noir et musulman dans une mosquée par un homme qui a blasphémé et tenu des propos négrophobes en le poignardant à des dizaines de reprises n’avait rien à voir avec l’islamophobie.

L’ignominie de ces forces politiques, leur indécence dans un tel contexte n’étonnera personne, sauf  des extra-terrestres venus d’une lointaine planète et qui n’auraient pas suivi la montée paroxystique du racisme éradicateur dans l’Hexagone. Mais l’on peut se demander pourquoi il était à ce point important que l’islamophobie ne soit pas le motif de l’assassinat. Sans doute parce que la mort violente apparaît en France comme la seule raison légitime pour défendre les musulmans. A force de reculs politiques, à force de renoncements pour ne pas braquer l’électorat chauffé à blanc par la propagande raciste , à force de concessions pour ne pas paraitre “islamo-gauchiste”, il faut qu’une personne soit sauvagement assassinée dans son lieu de culte pour que l’antiracisme apparaisse comme une cause défendable, lorsqu’il s’agit  de l’appliquer aux musulmans .

Pour nous la mobilisation pour notre frère, l’émotion politique que suscitent à sa suite les agressions de sœurs couvertes qui en temps ordinaire passent désormais inaperçues sont des émotions à double tranchant.

Oui, nous avons peur de mourir au quotidien. Oui, nous avons surtout peur pour les hommes de notre entourage, identifiés au danger absolu et cibles des violences fascistes et policières. Oui , nous renonçons souvent à des déplacements tant les transports en commun sont devenus le lieu de la banalité de l’insulte, de la bousculade volontaire, des mauvais regards perpétuels pour les musulmanes visibles. Oui nous sommes sensibles à la compassion que des politiques et des militants expriment en masse .

Mais un autre sentiment parfaitement raisonnable nous étreint.

Faut il que nous mourrions dans des conditions atroces pour être des humains à part entière dans ce pays ? Sommes nous condamnées à faire pitié pour ne plus être les monstres ou les fréquentations honteuses de nos concitoyens et du monde politique ?

La question mérite d’être posée surtout en période électorale.  Nous sommes la deuxième religion de France: la droite, l’extrême droite peuvent bien monter au plafond et redescendre douze fois en nous persécutant au passage, les faits sont têtus et les incantations inefficaces. Bruno Retailleau peut hurler ” A bas le Voile”, ou ” Abracadabra,  à 3 l’islam disparaîtra’  , cela aura aussi peu d’effet sur nous que les milliers de discours islamophobe  que opus entendons chaque jour sur les réseaux de la part d’anonymes qui appellent à nous tuer et à nous tondre en toute impunité .  Des millions de femmes continueront à exister, comme elles sont et les mosquées seront aussi pleines le vendredi suivant. Il n’ y pas de hiérarchie dans nos vies quotidiennes entre la France, la démocratie  et l’islam. Nous sommes les musulmans et les musulmanes de France et voilà.

Dans ce contexte nous connaissons nos ennemis, ceux qui ont décidé de la Croisade et la mènent férocement. Nous savons que le temps du débat est terminé de leur côté, nous connaissons leur projet: nous éradiquer .

Inutile d’employer des euphémismes pour nous rassurer nous mêmes: la gouvernement français soutient le génocide commis par Israel depuis la première minute de son commencement, depuis le 7 octobre à 22h49 quand une dépêche AFP a repris les propos sans ambiguïté aucune de monsieur Netanyahu ” Nous allons détruire la Cité du Mal, il ne restera que des ruines : habitants de Gaza, quittez ce lieu car nous allons frapper de toutes nos forces“. Ici, chacun peut nier la réalité islamophobe de ce génocide, nous, nous savons qu’il n’y a pas de raison profane de détruire aussi les mosquées et de retourner même la terre des cimetières au bulldozer après les avoirs bombardés pour profaner même les morts.  Ici nous savons que ce génocide est le rêve reproductible de tous les islamophobes du monde, et notamment en France.

Ici, notre communauté s’est levée contre ce génocide islamophobe malgré la répression et elle a entraîné toutes les forces humanistes derrière elle, à commencer par la gauche.

Notre jeunesse est descendue en masse dans la rue pour défendre des idéaux qui ne sont pas seulement les siens, mais ceux de tous les êtres épris de justice et de paix,  de tous ceux qui rêvent d’un autre monde possible. La centralité palestinienne a rallié mondialement et aussi en France, apportant une force nouvelle à la gauche, dont la base était déprimée et exsangue après la défaite lors du mouvement contre la réforme des rétraites.

Mais nous payons le prix fort: avant le génocide et depuis des décennies nous étions déjà la cible. La loi de 2004 a exclu les musulmanes de l’école et bien au delà , elle a été le geste fondateur des politiques islamophobes dans un  pays où l’école est l’institution centrale de la société , celle qui est censée introduire les petits humains dans le corps social. Exclure les musulmans et les musulmanes de l’école, c’était faire de nous les ennemis intérieurs dès l’enfance, visiblement.

Ensuite toutes les lois successives n’ont fait que développer concrètement ce narratif d’exclusion et de persécution. En 2010 , une loi est allée jusqu’à interdire des femmes d’espace public. Dans quelques temps une autre va les interdire d’université. Ce n’est pas une atteinte aux valeurs féministes comme on l’entend trop souvent à gauche, c’est un des éléments centraux visant à briser notre communauté en exigeant des femmes qu’elles se séparent de leur foi visiblement. L’exigence de retirer le hijab n’est pas une exigence vestimentaire, c’est une injonction à rejoindre le butin de guerre des colonialistes islamophobes où à dépérir voir périr avec nos pères, nos frères, nos époux et nos fils dans un récit où l’homme musulman est le Mal absolu , celui à qui la République n’offre aucune chance de rédemption.

Mais il est vrai que ces deux lois sont les plus faciles à combattre pour la gauche: leur abrogation peut être portée aussi au nom des valeurs qu’elle défend et qui se recoupent avec les nôtres sans souci. Pourtant, en 2025 , alors qu’un magnifique mouvement autonome de jeunes filles a eu lieu l’an dernier contre l’interdiction du port de la abaya, que ce mouvement a été rejoint par la jeunesse non musulmane, aucun parti politique représenté à l’Assemblée Nationale  n’a osé inscrire l’abrogation de la loi de 2004 dans son programme, comme geste fondateur d’un nouveau contrat social avec les musulmans de France.

Sans ce préalable, comment ne pas nous sentir des humains de seconde zone , même aux côtés de de nos aliié.e.s ? Au lendemain de la mort d’Aboubakar Cissé, au rassemblement à République  j’étais aux côtés d’un jeune frère palestinien à qui les élus de tous les partis de gauche sont venus demander le micro pour prendre la parole. Militante depuis mes 18 ans , de tous les combats sociaux et sociétaux aux côtés des camarades de gauche, je regardais toutes les personnalités défiler, et je pensais à d’autres scènes possibles. Des lundi matin , où ces mêmes camarades laisseraient mes sœurs et moi sur le trottoir devant la porte close d’un établissement scolaire, d’une université, d’une assemblée élective et pourquoi pas demain des magasins, des parcs et des jardins puisque c’est déjà le cas pour les sœurs qui portent le niqab. Aurons nous le droit, ce jour là à autre chose qu’un sourire triste et gêné ?

La ségrégation ne peut pas être combattue seulement dans les manifestations qui ont lieu parce que la communauté musulmane a la force de les organiser.

C’est tout l’enseignement des débats ignobles qui ont lieu depuis l’assassinat d’Aboubakar Cissé et de la difficulté de la gauche à les mener : que disent les macronistes et l’extrême-droite ? Que la gauche tente d’instrumentaliser cet assassinat pour mettre la lutte contre l’islamophobie au cœur du débat politique et faire avancer les revendications musulmanes.

Que doit répondre la gauche ? Qu’elle est coupable. Coupable de défendre la liberté, l’égalité et la fraternité pour toutes et tous , sans attendre que l’islamophobie nous tue après avoir ravagé nos vies.

La gauche doit se déclarer coupable de vouloir rétablir la liberté de culte inconditionnelle pour les musulmans.

Le discours de l’extrême droite la plus violente,  aussi atroce soit-il contient une part de vérité: lorsqu’ils disent qu’Aboubakar n’aurait pas été tué s’il n’avait pas été en France, lorsqu’ils affirment qu’il nous suffirait de retirer le hijab et de raser les barbes et les murs pour ne pas être insultés, ils ont raison. Lorsque tous les imans qui prêchent selon les préceptes de notre foi auront été expulsés, lorsque les seules mosquées ouvertes seront celles où ne sont énoncés que des discours corrigés au préalable par le Ministère de l’intérieur, lorsque toutes nos librairies auront été fermées, lorsque toutes celles et ceux qui dénoncent le génocide en Palestine seront en prison pour apologie du terrorisme, lorsque les musulmans visibles auront été chassés des universités, des crèches, des écoles, des assemblées, des associations, des émissions de divertissement, lorsqu’un Guantanamo à la française aura été ouvert comme le réclame le bateleur de foire fasciste le plus populaire de France, Cyril Hanouna, alors nous serons en sécurité derrière ses murs . Nous ne risquerons plus 57 coups de couteau pour une prière dans un lieu de culte

Un autre scénario est possible , si nous le mettons en oeuvre tout de suite, sans plus attendre, car Netanyahu, Trump et Retailleau vont vite pour tuer dans l’œuf l’espoir  qui se lève.

Il n’a pas fallu 48h pour que les musulmans et la gauche se lèvent ensemble pour honorer la mémoire d’Aboubakar face à la meute islamophobe qui a commencé à la salir dès l’annonce de sa mort, et au plus haut niveau de l’état.

Une des raisons de cette indignation en actes,  qui va s’amplifier le 11 mai est que nous sommes déjà ensemble et en partie les mêmes: ces dernières années, en même temps que la mobilisation communautaire ralliait absolument toutes les sensibilités des issus de l’immigration musulmane, toutes les générations, toutes les mémoires anticoloniales, toutes celles des luttes passées, les partis de gauche ont été irrigués par l’apport musulman qui s’incarne dans la masse des militants et des personnalités qui les ont investis avec succès.

Ce n’est pas un concours mais dans un pays où les discriminations structurelles et le plafond de verre sont une réalité pour nous tous et toutes, il faut se réjouir du fait que des noms comme celui de Sihame Assbague, de Rima Hassan , de Taha Bouhafs, d’Elias d’Imzalene pour ne citer qu’eux sont plus connus chez la jeunesse de gauche que ceux de bien des députés LFI ou EELV non musulmans. Ce n’est pas un concours mais nous avons été tellement invisibilisés en tant que nous même dans toutes les mobilisations qu’une de nos rares consolations dans le contexte terrible du génocide est de pouvoir faire défiler sur nos écrans des photos de manifestation partagées par les étudiants des plus grandes écoles de France où la tête de cortège nous ressemble .

Mais l’amour a besoin de preuves d’amour au quotidien. Le 11 mai, la gauche sera avec les musulmans dans la rue, et devant les caméras. Mais le 12 au matin, toutes les forces politiques islamophobes, tous les médias Bolloré lui demanderont quelle est la suite de l’histoire.

C’est à partir du lundi matin que tout va se jouer . Face au “A bas le voile ” de Retailleau, il n’y a qu’une seule réponse digne des directions de gauche: A bas l’islamophobie d’Etat et toutes ses lois.

La demi-mesure serait une défaite absolue à très court terme et en 2027.

Si pour abroger les lois islamophobes  il faut changer de régime et proclamer une nouvelle république pluriculturelle,  quel est le problème ? Des Gilets Jaunes aux travailleurs précarisés, des féministes aux écologistes conséquents, des agents du service public aux ouvriers jamais régularisés de tous les grands chantiers de ce pays, tout le monde déteste la Vème République qui a renoué avec ses origines, celle de l’état réduit à son rôle répressif d’abord contre les peuples colonisés puis contre la jeunesse des printemps de 68 et ceux qui ont suivi.

Exactement comme au début des années 60, le peuple de gauche tout entier, celui qui compte pour prendre le pouvoir, c’est à dire celui qui bat le pavé, est prêt à aimer les musulmans de France puissants et libres, à ses côtés pour mener les combats pour la justice et la liberté.

Pour que cela se traduise dans les urnes, il faut que cela se traduise dans les programmes: l’abrogation de toutes les lois islamophobes à commencer par la loi de 2004, c’est assumer dès le 11 mai et après, que les musulmans ne sont pas pour la gauche seulement des victimes que l’on préfère faibles tout en s’en méfiant , mais des alliés dont on a besoin vivants et sans entraves pour gagner ensemble. Un électorat  que l’on soigne, pour le dire simplement.

 

PrecairE, antiracistE