Riposte antifasciste : refuser la confusion, nommer l’ennemi

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Ce texte n’est pas un pamphlet : c’est un constat.
Un constat lucide, ancré dans l’expérience des luttes sociales, associatives et intellectuelles de ces dernières années. Il part d’un principe simple : on ne peut pas combattre ce qu’on refuse de nommer. Nommer la fascisation de l’État français, ce n’est pas céder à la rhétorique, c’est décrire une réalité politique et juridique déjà visible — celle d’un pouvoir qui s’arroge le droit d’interdire, de dissoudre, de censurer et de criminaliser tout ce qui lui échappe.

Face à cela, ce texte choisit la perspective des personnes concernées : manifestants, militants écologistes, syndicalistes, musulmans, réfugiés, chercheurs, associations, fonctionnaires, … tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, subissent la contraction de l’espace démocratique. Il ne s’agit pas ici d’un propos intellectuel, mais d’une parole située, assumée, militante, qui prend au sérieux ce que l’expérience collective révèle avant les statistiques : le glissement autoritaire, la peur, la perte de droits, la normalisation de la violence d’État.

L’objectif n’est pas de rejouer les querelles de vocabulaire, mais de redonner sens et puissance au mot antifascisme dans le contexte actuel. Ce mot, qu’on voudrait cantonner à l’histoire, redevient une nécessité politique immédiate. Il ne s’agit pas de prédire le fascisme, mais de le prévenir. De le nommer tant qu’il est encore temps, avant qu’il ne se consolide.

Cet article s’adresse donc autant aux convaincus qu’aux hésitants : à celles et ceux qui doutent encore qu’un tournant autoritaire puisse s’enraciner au cœur de la République, mais qui voient déjà se fissurer les libertés, se déliter la solidarité, se renverser les priorités. Il propose une ligne claire : refuser la confusion, refuser les symétries fausses, refuser le silence. Et rappeler que la démocratie n’est pas un héritage : c’est une lutte quotidienne, un engagement collectif, un refus obstiné de la résignation.

N’en déplaise à celles et ceux qui nous enjoignent de regarder ailleurs.

1-La gauche de compromission, alliée du tournant autoritaire macroniste…

Ces derniers jours, on entend la gauche de compromission (Place Publique, PS, unionistes) s’en prendre aux antifascistes et à la gauche radicale, et délégitimer notre parole lorsque l’on demande la destitution du régime macroniste pour ce qu’il est : un régime autoritaire qui applique des idées d’extrême-droite.

Elle avait déjà amorcé la manoeuvre lors de la campagne de dénigrement du mouvement du 10 septembre, qu’elle avait largement orchestrée et relayée. Il s’agissait alors pour elle de faire taire un mouvement populaire qu’elle ne comprenait pas, et qui échappait à son propre agenda, selon le vieil adage « Maîtriser ou mater ». Cette campagne s’appuyait naturellement sur les contenus et la stratégie de Conspiracy Watch, originellement plateforme anti-complotiste devenue rapidement plateforme anti-subversive : dans un monde de désinformation, passer sous silence les fakenews du gouvernement français, de la propagande de Tsahal ici-même, du MEDEF et des systèmes oppressifs en général, et mettre sous la lumière le tweet ou le post problématique de toute personne proche d’un mouvement protestataire pour décrédibiliser l’ensemble de ce mouvement.

Si l’attaque de cette gauche contre l’antifascisme connaît aujourd’hui un rebond, ce n’est pas un hasard. Au moment où on lui reproche de s’allier au Macronisme, celle-ci cherche par tout moyen à justifier la moralité de son soutien en niant la gravité de ce qu’il se passe en France, c’est-à-dire un effondrement de l’Etat de droit en bien des points : droit de manifester, liberté syndicale, liberté d’association, liberté de culte, respect du scrutin électoral, respect des droits fondamentaux, respect de nos engagements envers le droit international, …

Il est donc désormais de bon ton dans les beaux salons de la gauche hautaine de rejeter les termes « fachos », « fascistes », « néofascistes », « fascisant » qui seraient employés pour décrire comment l’Etat français maltraite la démocratie et les libertés, et de rejeter dans un même élan les militants qui utilisent ces mots face à la fascisation qu’ils subissent et combattent.

Cette argumentation fallacieuse s’appuie opportunément sur une stratégie déjà largement rôdée par la Macronie : parler des fascistes d’ailleurs pour détourner le regard du fascisme d’ici. Crier « Make the planet great again » tout en accélérant les mesures climaticides. Se présenter comme le rempart contre le racisme de Meloni et d’Orban et rejeter les réfugiés à la mer…

C’est au tour de cette gauche pseudo-universaliste, aujourd’hui, d’aller chercher Trump pour invisibiliser la fascisation macroniste. Et de nous expliquer, en résumé, que « quand on regarde ce qu’il se passe aux Etats-Unis, « on » est sacrément bienheureux en France, arrêtons de nous plaindre ! ». Evidemment, le « on » n’est pas précaire, il n’est pas manifestant, il n’est pas militant associatif, il n’est pas musulman, il n’est pas palestinien, il n’est pas chercheur (ou alors macro-compatible). Bref, il n’est pas une personne concernée.

Bien sûr, on n’est pas obligé d’être une personne concernée pour se sentir concerné, c’est ce qui s’appelle être un allié. Il faut croire que c’est trop demander à une gauche paternaliste, qui sait pourtant très bien instrumentaliser les victimes des oppressions comme marchepied vers le pouvoir ou la moralité. Mais voilà, un marchepied, on l’écrase, et puis on passe à autre chose. Pas besoin de l’écouter, et encore moins de lui donner la parole.

Pour cette gauche, il en est de l’antifascisme comme de l’antiracisme ou de l’anticapitalisme. Avant les élections, leur ennemi c’est la finance et l’extrême-droite. Et puis, ensuite, c’est la curée, la répression et l’islamophobie d’Etat.

2-Nommer et documenter la fascisation de l’Etat français

Pourquoi cette petite musique anti-antifasciste portée par cette gauche, qui a contribué à faire basculer la France dans autre chose qu’une démocratie, est particulièrement dangereuse politiquement ?

Parce qu’elle a pour objectif de nous faire oublier la dynamique liberticide et antidémocratique à l’œuvre en France tout en se faisant la défenseure des valeurs humanistes contre Trump, ou plutôt grâce à lui. Et de nous dire : « ici ça n’est rien, regardez là-bas, les pauvres manifestants, les pauvres chercheurs, les pauvres migrants, les pauvres ONG, les pauvres minorités victimes de l’extrême-droite, les pauvres palestiniens, les pauvres fonctionnaires ».

On a déjà entendu « ces gens qui ne sont rien » dans la bouche de Macron, on ne sera pas très surpris d’entendre « ici ça n’est rien » dans les propos de ses alliés de gauche.

En tant qu’antifascistes, notre rôle est d’abord de dire que non, ça n’est pas rien. De lutter contre cette tentative d’invisibilisation. Et de rappeler ce que l’on fait ici-même aux populations qu’ils feignent de défendre partout ailleurs.

Ce que l’on fait ici aux manifestants.

Le mouvement des Gilets jaunes a été un révélateur de la violence macroniste : plus de 2 200 blessés, et des dizaines d’éborgnements. Je sais bien que la petite bourgeoisie centriste nous dira « on s’en fout ce sont des Gilets jaunes, des sans-dents, des complotistes ».

Sauf que l’antifascisme ça n’est pas que pour défendre la vie « des gens comme toi », qui ne sera jamais menacée par aucun pouvoir. L’antifascisme, c’est dénoncer quand les évolutions du droit remettent en question pour tout le monde les libertés fondamentales et l’espace civique, même si c’est fait au nom de la lutte contre quelques-uns.

Et c’est exactement ce qu’a fait la loi « casseurs », qui permet aujourd’hui à l’Etat et aux Préfets de choisir quelles manifestations peuvent être autorisées, en fonction des sujets qui leur plaisent, et de réprimer les autres dans le sang.

Le résultat est là. Le Conseil de l’Europe a publiquement alerté sur un « usage excessif de la force » en France lors des manifestations[i]. Macron a instauré un véritable climat de peur, dissuadant les citoyens de descendre dans la rue.

Faites l’expérience : combien de jeunes autour de vous choisissent de ne pas aller en manifestation par crainte des violences policières ? Avant Macron, on manifestait en famille, il y avait des poussettes, des enfants et des vieux pour le 1er mai. Aujourd’hui, manifester relève d’un acte de désobéissance civile, où l’on met en jeu son intégrité physique pour défendre des idées, face à un pouvoir qui criminalise la contestation.

Ce que l’on fait ici aux militants écologistes.
En France, défendre la planète est devenu un délit. Les militants écologistes sont désormais traités comme des ennemis de l’intérieur : surveillés, perquisitionnés, placés en garde à vue, fichés « S » pour avoir bloqué une route ou empêché une méga-bassine[ii]. L’État a inventé un nouveau concept pour criminaliser l’écologie : l’« écoterrorisme »[iii], pour désigner les manifestants de Sainte-Soline, alors que deux d’entre eux étaient entre la vie et la mort sous les grenades de la gendarmerie[iv].

Les dissolutions d’associations environnementales, les interdictions de manifester[v], les procès contre les Soulèvements de la Terre[vi] ou Alternatiba, ne relèvent pas d’une dérive ponctuelle : ils traduisent une stratégie d’État visant à neutraliser les mouvements qui défient le modèle productiviste. En 2023, le rapporteur spécial de l’ONU sur les défenseurs de l’environnement a rappelé que la France était « le pays européen qui réprime le plus violemment ses militants écologistes » [vii]. La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour « violation du droit à la vie » après la mort de Rémi Fraisse[viii].

Ce qui se joue ici dépasse la simple répression policière : c’est le droit même de lutter contre la destruction du vivant qui est remis en cause. Empêcher les citoyens de défendre l’eau, la terre et le climat, c’est organiser leur impuissance politique. C’est une autre facette de la fascisation : celle d’un État qui protège les profits plutôt que la vie, et qui considère comme dangereux quiconque agit pour préserver l’avenir.

Ce que l’on fait ici aux militants antifascistes.
En France, ceux qui combattent le fascisme sont désormais traités comme des fauteurs de troubles. Alors que l’extrême droite défile librement, bien souvent protégée par la police, les antifascistes sont traqués, interdits de manifester, assignés à résidence, perquisitionnés à l’aube, ou placés en détention préventive pour « association de malfaiteurs »[ix]. Leur simple existence politique devient suspecte : dans la rhétorique gouvernementale, « antifa » ne désigne plus la résistance au fascisme, mais une menace pour l’ordre public.

À Lyon, à Paris, à Marseille, des collectifs antifascistes ont été dissous ou harcelés administrativement, pendant que les groupuscules néonazis bénéficiaient d’une tolérance coupable. Le ministre de l’Intérieur a justifié sa volonté de dissoudre le GALE[x] ou la Jeune Garde[xi] au nom de la lutte contre « les violences d’extrême gauche », sans employer le même vocabulaire pour les attaques d’extrême droite. Cette inversion du réel — où l’antifascisme devient le danger et le fascisme un folklore — est le symptôme d’un État qui bascule.

La criminalisation de l’antifascisme n’est pas qu’un fait policier : c’est un projet politique. En amalgamant antifascistes, anticapitalistes et militants des droits humains sous le label « radicalisation », le pouvoir cherche à neutraliser toute opposition structurée. Ce faisant, il prépare les conditions mêmes du fascisme qu’il prétend conjurer. Réprimer celles et ceux qui résistent à la fascisation, c’est déjà l’acte le plus fascisant qui soit.

 

Ce que l’on fait ici aux fonctionnaires.

Le macronisme déteste les fonctionnaires et les services publics, qu’il conçoit exclusivement comme une source de coûts à sabrer.

On se souvient de la promesse de Macron en 2017 : supprimer 120 000 postes d’agents publics. On se souvient aussi de Kasbarian, Ministre macroniste de la Fonction publique, félicitant Musk lors de sa prise de poste chez Trump et lui déclarer sa passion partagée pour le licenciement en masse des agents publics[xii].

Mais comme aux US, l’attaque de la fonction publique en France ne repose pas que sur une politique libertarienne (destruction de l’Etat, libération des entreprises). Elle s’appuie aussi sur une profonde méfiance vis-à-vis de l’indépendance des fonctionnaires, garants de l’impartialité, de la continuité du service public, et de l’égalité de traitement des usagers.

En généralisant le statut de contractuel[xiii], et en remettant en cause la doctrine républicaine « corps titulaire, carrière protégée », la Macronie met au pas des fonctionnaires sommés d’appliquer une politique autoritaire, liberticide et islamophobe en oubliant toute clause de conscience.

Ce que l’on fait ici aux réfugiés.

Il faut déjà rappeler que la politique européenne a noyé 25 500 réfugiés en méditerranéen depuis 2014[xiv], et que la France n’y est pas pour rien : Macron a été un ardent défenseur du renforcement de la répression européenne aux frontières et de l’agence Frontex[xv].

A l’échelon national, la France est un laboratoire international anti-migrants. Macron a mis en place une politique systématique de refoulement aux frontières des demandeurs d’asile[xvi]. Darmanin puis Retailleau ont été les artisans zélés d’un arsenal juridique pré-Guantanamo en France. Doublement de la durée de rétention administrative en 2018[xvii], création de nouvelles sanctions contre les migrants[xviii], réduction des délais de recours[xix], facilitation des expulsions[xx], intégration de la double peine[xxi], fin du droit du sol à Mayotte[xxii]. Le 16 octobre 2025, la Comité des droits de l’enfant des Nations Unies condamnait la France pour violences « graves et systématiques » des droits des enfants migrants non accompagnés sur son territoire[xxiii].

Le tout sur fond d’adhésion de la Macronie à la théorie complotiste du grand remplacement migratoire musulman[xxiv], entre « submersion migratoire » de Bayrou[xxv] et « réarmement démographique » de Macron[xxvi].

Ce que l’on fait ici aux musulmans.

La théorie du grand remplacement migratoire musulman[xxvii] est née en France, conceptualisée par une figure de l’extrême-droite française, Renaud Camus.

Elle a, d’abord, inspiré les grands attentats suprémacistes du 21è siècle. Brenton Tarrant (Christchurch)[xxviii], Peyton Gendron (Buffalo)[xxix], Anders Behring Breivik (Oslo)[xxx], Luca Traini (Italie)[xxxi]. Et elle a évidemment nourri une islamophobie d’Etat, généralisée à l’ensemble de la société, avec l’appui notable de la gauche laïcarde.

En France, 66 % des musulmans français déclarent avoir été victimes de discriminations au cours des cinq dernières années[xxxii], majoritairement (76%) des femmes, stigmatisées parce qu’elles portent le voile[xxxiii]. 1000 faits islamophobes ont été recensés en 2024[xxxiv]. Et cette haine contre les musulmans a abouti au pire, tuant deux personnes cette année : Aboubakar Cissé[xxxv] et Hichem Miraoui[xxxvi].

Que fait l’Etat français, dont le rôle est de protéger l’ensemble de ses citoyens ? Il interdit les associations qui dénoncent l’islamophobie[xxxvii]. Il va jusqu’à lutter politiquement contre la reconnaissance du terme « islamophobie »[xxxviii]. Il crie « à bas le voile »[xxxix]. Il instaure une politique de terreur contre les musulmans[xl] et crée une citoyenneté à deux vitesses : interdiction de manifester[xli], de créer une association, de s’exprimer politiquement dans l’espace public lorsque l’on est musulman e opposant à la Macronie et/ou au génocide palestinien… sous peine de garde à vue, de gel des avoirs, d’assignation à résidence[xlii], et d’OQTF (ordre de quitter le territoire français) si l’on la nationalité étrangère.

Ce que l’on fait, depuis ici, aux palestiniens.

L’islamophobie française (de l’extrême droite jusqu’à la gauche de compromission) aura largement inspiré l’Etat et la société française dans sa complicité avec le génocide des palestiniens.

Nous avons justifié du droit d’Israël à se défendre[xliii] sans questionner son régime colonialiste et d’apartheid[xliv] et alors même que les massacres de masse étaient annoncés. Nous avons martelé la supériorité morale de Tsahal sur le Hamas, et cautionné l’idée que l’armée israélienne était la plus morale du Moyen Orient[xlv]. Nous avons sur-médiatisé la Hasbara (propagande de l’Etat israélien), faisant de Netanyahou[xlvi] et des communiqués de Tsahal des invités permanents de nos chaînes de TV à heure de grande écoute[xlvii]. Nous exportons encore aujourd’hui des armes qui tuent des civils palestiniens[xlviii].

Et chaque fois que nous avons pu le faire, nous avons nié le génocide des palestiniens[xlix] et contribué à leur déshumanisation[l]. Nous avons failli à nos obligations internationales de le prévenir[li]. Nous avons, inlassablement, apporté une protection internationale au régime israélien contre la Cour Pénale Internationale[lii].

Ce que l’on fait ici aux associations.

La loi séparatisme et son « Contrat d’engagement républicain »[liii], couplée à des coupes budgétaires drastiques dans les subventions a détruit largement les libertés associatives.

Le gouvernement Lecornu annonce pour 2026 une baisse inédite de 26% du budget de la vie associative[liv], après une année 2025 catastrophique pour les associations, dont 30% sont menacées de disparition dans les 3 prochains mois[lv].

Une étude récente a montré que 21% des associations françaises (il y en a 1,5 M : faites le calcul) s’autocensure par peur de perdre ses financements. Alors oui la fin d’US aid est catastrophique mais la France est un laboratoire des mêmes idées fascisantes à son échelle contre sa société civile organisée[lvi].

Ce que l’on fait ici aux chercheurs.

L’Etat désinvestit drastiquement la recherche publique[lvii], prévoyant 630M€ en moins en 2025. La privatisation du financement de la recherche l’oriente naturellement les travaux vers l’intérêt des sociétés privées lucratives[lviii].

Mais l’arme financière n’est pas la seule pour détruire la recherche et la liberté académique. Une tribune signée par 600 chercheurs dénonçait en 2021 la chasse aux sorcières de l’Etat contre un supposé « islamo-gauchisme » qui visait en fait à interdire les études postcoloniales et décoloniales, les travaux portant sur les discriminations raciales, les études de genre et l’intersectionnalité[lix].

Fait inédit, la Conférence des Présidents d’Université s’est elle-même associée à la fronde pour demander que les analyses scientifiques et le débat académique soient protégés[lx].

Cette attaque contre les libertés académiques n’est pas le seul fait de l’administration publique. Elle s’organise désormais en réseau entre l’Etat, les milices cyber fascistes (Fdesouche, Égalité et réconciliation, …), la Macronie, le Printemps républicain et une partie de la gauche islamophobe. Ensemble, cette communauté agissante conduit des campagnes de haine contre des chercheurs dont certains, comme François Burgat, finissent en prison ou en procès pour apologie du terrorisme pour avoir dit « free Palestine »[lxi].

Anticiper le débat sur les mots

À chaque fois que nous employons les mots fascisme ou fascisation, certains historiens ou intellectuels nous reprochent un abus de langage, rappelant que la France d’aujourd’hui ne correspondrait pas aux critères du fascisme historique. Mais notre usage n’est pas d’ordre muséal, il est d’ordre politique et performatif. Nous nommons une dynamique pour mieux la combattre avant qu’elle ne se réalise pleinement. Attendre que le fascisme soit accompli pour le désigner, c’est déjà lui avoir laissé le champ libre.

Ce débat sur le mot n’est pas sans rappeler celui autour du génocide palestinien. Là aussi, on nous explique qu’il faudrait laisser “l’Histoire” juger, qu’il serait trop tôt pour employer le terme. Mais l’enjeu n’est pas de qualifier après coup : il est d’empêcher qu’il advienne. La démission morale et politique de certains grands musées ou historiens de la Shoah[lxii], silencieux face à l’accomplissement génocidaire, ne relève pas seulement de la prudence ou de la peur de se tromper : elle participe d’une volonté d’invisibiliser, de neutraliser la parole de celles et ceux qui nomment le crime avant qu’il ne soit complet.

Cette posture n’est pas une simple complicité par omission, c’est une stratégie de déni actif. Face au danger, il faut des mots qui dévoilent et permettent d’agir — pas des mots qui dissimulent, ni des concepts qui temporisent pendant que l’irréparable s’accomplit.

  1. Dénoncer la confusion de la gauche d’apparat et repolitiser l’antifascisme

Si la fascisation avance, c’est parce qu’elle se drape dans la confusion : confusion des mots, des valeurs, des camps. Ce brouillard n’est pas un accident, il est entretenu.

La Macronie et ses relais médiatiques ont perfectionné l’art de l’inversion : faire passer l’antifascisme pour un extrémisme, la résistance pour une menace, et l’autoritarisme pour du courage républicain. L’extrême-centre[lxiii] se nourrit du flou qu’il fabrique : il avance masqué, empruntant au fascisme ses réflexes sécuritaires, à la social-démocratie ses postures morales, et au libéralisme son langage gestionnaire.

Cette stratégie du flou a contaminé une partie de la gauche institutionnelle, devenue l’alliée objective du désarmement intellectuel et moral. Or, on ne combat pas ce que l’on ne veut pas voir.

Désarmer la confusion, c’est retrouver la clarté politique : dire qui fait quoi, au nom de qui, et contre qui. Refuser les symétries trompeuses, les neutralités de confort. Rappeler enfin que la démocratie n’est pas un centre, mais un conflit ; qu’elle ne vit pas de modération, mais de résistance.

Comprendre l’agenda social-démocrate

Lutter contre l’extrême-droite implique de lutter contre toutes les formes de pouvoir qu’elle a prises, y compris celles qui se sont dissoutes dans le centrisme autoritaire. Le Rassemblement National n’a plus le monopole de la fascisation : ses idées irriguent désormais de nombreux appareils d’État, les politiques publiques et les imaginaires médiatiques. La « gauche de gouvernement », dans sa version sociale-démocrate, joue ici un rôle clé : elle a troqué la conflictualité sociale pour la stabilité gestionnaire, et la critique du pouvoir pour sa justification morale.

En se ralliant au macronisme, cette gauche-là s’est donné pour mission de sauver l’ordre libéral au nom du « réalisme » et de la « responsabilité ». Son objectif n’est plus de transformer la société, mais de contenir la colère populaire dans les cadres du régime existant. Pour cela, elle ne combat plus réellement ses adversaires : elle instrumentalise la menace du RN pour se poser en dernier rempart moral, tout en désignant de nouveaux ennemis intérieurs — antifascistes, anticapitalistes, écologistes et militants des droits humains — accusés d’« excès », de « radicalité », « d’antisémitisme », ou de « complicité » l’extrême.

Ce double discours lui permet de se poser en centre moral de la vie politique, tout en masquant sa contribution directe à la fascisation en cours : acceptation des lois liberticides, vote des budgets d’austérité, soutien à la politique étrangère israélienne, silence et complicité sur les violences policières. Autrement dit, elle sert de caution démocratique à un pouvoir autoritaire.

Déjouer la confusion et l’extrême-centrisme

L’un des ressorts les plus puissants de ce dispositif, c’est la confusion.
La gauche social-démocrate s’indigne des outrances d’extrême-droite, mais refuse de voir que ces outrances structurent déjà les politiques qu’elle cautionne. Elle brandit le « danger fasciste » en dehors de nos frontières pour mieux invisibiliser la fascisation réelle, celle qui s’exerce dans l’État, dans la rue, dans les commissariats, dans les préfectures, et dans les universités en France.

C’est cette rhétorique qui permet d’entendre aujourd’hui : « le danger, c’est Antifa ».
Trump l’a dit hier aux États-Unis, la Macronie et ses alliés le répètent ici sous d’autres formes : « le danger, c’est ceux qui dénoncent la fascisation ». Le discours est le même : criminaliser la résistance, délégitimer la colère, neutraliser la pensée critique.

Face à ce brouillage, l’urgence est de remettre de la clarté politique :

  • rappeler que le fascisme n’arrive pas d’un coup, mais par l’endormissement progressif des consciences ;
  • nommer les continuités entre la droite autoritaire, le macronisme et la social-démocratie ;
  • dénoncer l’imposture d’un antifascisme de façade qui consiste à se battre contre Trump ou Meloni tout en tolérant Darmanin, Retailleau et Lallement.

Reconstruire un antifascisme populaire et concret

La réponse antifasciste ne peut pas se limiter à des déclarations de principe ou à des posts sur les réseaux sociaux. Elle doit être politique, sociale et culturelle.

Plusieurs perspectives permettront d’incarner notre riposte dans le réel :

  • Interpeller publiquement les partis social-démocrates sur leur complicité avec les politiques liberticides et leurs votes à l’Assemblée. Les confronter, à chaque élection, à leurs actes.
  • Réinvestir les espaces de parole : ne pas laisser les réseaux sociaux ou les plateaux télé devenir les seuls lieux d’expression de la « bonne conscience » progressiste. Y rappeler sans relâche ce que vivent ici celles et ceux qui subissent la fascisation : militants criminalisés, musulmans stigmatisés, réfugiés déshumanisés, associations étranglées.
  • Occuper l’espace public et redonner visibilité à la parole antifasciste, anticapitaliste et anticoloniale, là où on tente de la faire taire. Dans la rue, dans le monde associatif, dans les organisations de travailleurs, dans les territoires. Et dans de nouvelles formes d’engagement à inventer.
  • Agir en alliés : soutenir concrètement les personnes concernées — dans les quartiers, dans les associations, dans les universités — car la démocratie ne se défend pas dans les tribunes internationales, mais dans la vie quotidienne, là où les droits sont bafoués.

Conclusion : sortir de l’imposture d’un antifascisme sans frontière de façade

Ce que nous combattons aujourd’hui, c’est l’imposture d’un « antifascisme sans frontière » des non-concernés, celui qui s’indigne pour l’Amérique mais se tait pour la France. C’est l’appropriation culturelle des luttes, transformées en symboles moraux pour s’absoudre de toute responsabilité politique.

Le moment est décisif. Et celles et ceux qui penseraient encore comme si on était en 2017 sont en retard d’un effondrement de l’État de droit, d’un putsch électoral, et d’un génocide à Gaza. Qui pourraient encore leur confier le moindre crédit moral, le moindre avenir politique ?

Au collectif Lignes de Crètes, nous pensons que la fascisation n’est pas une menace abstraite : c’est une réalité quotidienne pour des millions de personnes.

Rebâtir une gauche de combat, c’est rompre avec la compromission et retrouver la radicalité du mot « démocratie » : le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple — pas le pouvoir de quelques-uns au nom du peuple.

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