"Je n'ai pas vécu la liberté, mais je l'ai écrite sur les murs" (la révolution syrienne)

Ken Loach, docteur Honoris Causa de l’ULB? Une diversité très sélective

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L’ULB, Université du libre examen, a choisi cette année d’honorer le réalisateur Ken Loach. Ce choix est motivé selon la direction  par l’engagement social et progressiste de ce dernier. Cette nomination a cependant suscité les protestations de plusieurs organisations juives et antiracistes qui  rappellent  les positions de Ken Loach récentes ou plus anciennes, concernant l’antisémitisme et le négationnisme.  En réponse à ces reproches l’université se retranche derrière une diversion  jésuitique:

“Monsieur Loach a été choisi par le Conseil académique de l’ULB, dans le cadre de l’Année des Diversités, en raison de son “œuvre militante relative aux conflits sociaux et la lutte pour le droit des travailleurs ou des immigrés clandestins“. Nous ne souhaitons pas en déplacer la focalisation vers le conflit israélo-arabe, ce qui serait en dénaturer”

totalement la signification et la dimension. Dans ce contexte, si les prises de position politiques de Monsieur Loach dans le cadre du conflit israélo-arabe attirent inévitablement les critiques de ses opposants, aucun élément du parcours de ce cinéaste engagé ne permet cependant d’étayer des accusations d’antisémitisme ou de révisionnisme à son égard. Aucune de ses œuvres ne traite d’ailleurs de ce conflit. Le soutien au boycott académique d’Israël, qui lui est reproché, n’est pas et n’a jamais été la position de l’ULB en tant qu’institution, mais ne peut le disqualifier pour autant. L’engagement très ferme de l’ULB contre toute forme de racisme ou d’antisémitisme, et a fortiori de négationnisme, est une constante que nous souhaitons réaffirmer ici avec force. »

Que de beaux et nobles principes sont ici rappelés pour finalement ne pas répondre et encore moins prendre position… ou plutôt,  si,  à savoir “on s’en fout !”

Pour qui connaît et surtout veut combattre l’antisémitisme et le négationnisme, le caractère pour le moins problématique des propos reproché à Ken Loach est malheureusement patent.

Or encore très récemment, Ken Loach a tenu des propos à la fois parfaitement inacceptables et d’une teneur assez banale quant à la position à tenir face au mensonge négationniste.

Interrogé sur les propos tenus par certains responsables du Labour Party, Loach affirme d’abord qu’il n’a jamais entendu un seul propos antisémite au Labour en cinquante ans. Il fait cette déclaration en septembre 2017, alors que le Labour est secoué depuis des mois par les propos antisémites de personnalités de premier plan comme Ken Linvingstone ,suspendu en mai 2016  pour avoir déclaré qu'”après tout Hitler était sioniste avant de devenir fou et de tuer 6 millions de Juifs”.  Quelques mois plus tard en juillet 2016, c’est une députée juive du Labour, qui est accusée de “conspirer avec les médias” en plein évènement…contre l’antisémitisme . Dans le débat intense qui agite le parti travailliste anglais, Ken Loach est donc très engagé, dans les rangs de ceux qui maintiennent envers et contre tout que seule la critique légitime d’Israël existe à gauche, et que des déclarations et des thèses racistes ont toute leur place avec cet alibi là. Une position très ancienne de celui qui est un cinéaste mais aussi un militant actif.

Mais dans cet entretien de 2017, Ken Loach franchit un cap. A la question ” Est-il acceptable de débattre de l’existence de l’Holocauste”, Ken Loach répond “L’ensemble de l’Histoire est débattable, non ?” Lorsque le journaliste lui demande de confirmer ses propos, Ken Loach répète, puis enchaîne immédiatement sur la nécessité de débattre de l’histoire de l’Etat d’Israël, et enfin en accusant son interlocuteur de vouloir subvertir le débat en parlant d’un antisémitisme qui n’existe pas.

Objections?

On peut toujours objecter que ces propos ne sont pas négationnistes en eux-mêmes, que Loach défend simplement le droit de débattre de tout, qu’il ne condamne pas mais ne soutient pas. Mais d’une part, qu’est ce qui l’empêchait de condamner clairement le négationnisme ?

Et surtout, un mot marque clairement un soutien au moins implicite au négationnisme: le mot “histoire”. Le négationnisme est une forme de racisme, un mensonge qui accuse les victimes du génocide orchestré par les nazis d’avoir inventé leur propre extermination. Le négationnisme n’a rien à voir avec l’histoire, et l’enjeu des militants négationnistes a justement toujours été d’imposer dans un premier temps que leur mensonge soit qualifié d'”hypothèse historique”. C’est ce point là que leur donne Ken Loach.

On peut toujours objecter aussi  que l’artiste, se rendant peut être compte du caractère proprement inacceptable de ses propos, s’est fendu ensuite de plusieurs “justifications” dans lesquelles il jure ses grands dieux qu’il n’adhère nullement aux thèses négationnistes et qu’il est indécent qu’on puisse lui en faire reproche… en rappelant bien sûr qu’aujourd’hui il est impossible de s’opposer au gouvernement israélien ou de soutenir les palestiniens sans être accusé d’antisémitisme…

Mais alors, pourquoi ne pas simplement présenter des excuses pour ces propos proprement scandaleux ? Pourquoi encore ramener la question israélo-palestinienne dans cette mise au point alors que l’antisionisme n’a selon lui rien à voir avec l’antisémitisme ?

Poser ces questions, c’est malheureusement déjà y répondre.

Récidiviste

Ken Loach n’en est pas à son coup d’essai. Ainsi, il explique les origines de son engagement “antisioniste” dans une de ses premières expériences artistiques,  à savoir la pièce “Perdition” de Jim Allen et l’odieuse censure dont cette dernière aurait fait l’objet suite aux protestations de la communauté juive et du fameux “lobby sioniste”.

De quoi traite cette pièce ? Rien de moins que des liens entre sionisme et nazisme, démontrés selon son auteur par l’épisode de la tentative de sauvetage par Rudolf Kastner des juifs hongrois et des négociations entamées par ce dernier avec le tristement célèbre Adolf Eichmann.

On peut évidemment s’interroger cette tentative, sur son bien fondé et ses motivations. Mais ce n’est cependant pas de cela qu’il s’agit ici. Il s’agit évidemment de construire, quitte à forcer le trait et à faire une certaine violence aux faits, un lien direct entre le génocide juif et la fondation de l’Etat d’Israël voire de prouver une relation originelle entre le sionisme et le nazisme…

Dans sa rhétorique et ses inspirations, Ken Loach  n’exprime rien d’original, “juste” un antisémitisme qui existe bel et bien à gauche et spécialement dans les milieux se qualifiant comme “antisionistes”. Pour leur défense, ceux-ci ont tendance à répéter ad nauseam que “la critique du sionisme  n’est pas l’antisémitisme” ce qui est formellement vrai. Mais  cette proposition est souvent comprise sous la forme suivante “aucune critique du sionisme n’est antisémite”. Ce qui est factuellement faux.

Ceci nourrit un déni face à l’antisémitisme et  participe de la banalisation et de la normalisation de ce dernier. Ce déni est spécialement violent quand il est opposé directement aux victimes de ce racisme. Encore plus quand ces dernières voient leurs légitimes protestations évacuées du revers de la main comme étant une tentative de diffamation ou de déstabilisation d’une opinion politique légitime.

Le cas qui nous occupe est bel et bien un exemple de ce déni, effectué en toute bonne conscience et sans aucune précaution oratoire, par  les autorités de l’ULB. Celles-ci évacuent d’un revers de main les protestations de victimes  heurtées par des propos a minima complaisants envers le négationnisme et par une auto-justification arrogante du type “Je ne peux pas avoir tenu des propos antisémites ou négationniste parce que je vous affirme que je ne le suis pas et qu’il est indigne que l’on m’en fasse d’ailleurs le reproche”… Le tout suivi de lourds sous-entendus et de clins d’oeils complices envers ceux qui les comprendront et qui ne se priveront pas d’ériger notre réalisateur vedette en victime de la haine sioniste toute affairée à vouloir le faire taire. La similitude de cette attitude avec celles des tenants du négationnisme pur et dur n’échappera à personne.

Ici, un antiracisme proclamé vaut comme un sauf-conduit par rapport à toute protestation venant d’éventuelles victimes de racisme, qui auraient donc l’outrecuidance de mettre en doute cette probité et cette haute valeur morale dont on se targue, spécialement quand il s’agit de propos pouvant heurter, blesser ou diffamer ladite victime.

Pour combattre effectivement le racisme il ne suffit en effet pas d’éviter de tenir des propos directement racistes. Ca, c’est ce que font les tenants du racisme pour éviter de se faire prendre. Il s’agit également de prendre au sérieux les victimes concrète du racisme et d’accepter d’entendre et d’écouter ce qu’elles disent et dénoncent comme tel et non pas de leur attribuer a priori un quelconque agenda caché ou une motivation sournoise et double…” suivez mon regard !”

La gravité des propos de Ken Loach ne concerne ni l’engagement social, ni le soutien à la cause palestinienne. Protester contre la nomination de Ken Loach revient donc  simplement à souligner des propos blessants et inacceptables .

Et la réponse de l’ULB aux protestations malheureusement reflète la même rhétorique perverse que les discours de Ken Loach. D’abord parce que d’entrée, elle présente Ken Loach comme un candidat parfait à l’honoris causa, dans le cadre de l’Année des Diversités, pour son oeuvre en faveur des travailleurs immigrés et des sans-papiers. D’emblée, une minorité victime d’un racisme terrible est donc exclue des “Diversités”, mise à part, invisibilisée dans son oppression. Exactement comme si l’ULB avait choisi d’honorer un cinéaste qui aurait défendu Eric Zemmour mais réalisé d’excellents films contre le racisme anti-chinois.

Encore une fois, on divise donc la lutte contre toutes les formes de racismes. Comme si au fond il n’était pas possible de trouver d’autres candidats qui aient oeuvré contre les discriminations dont sont victimes les travailleurs immigrés, des candidats qui n’aient pas par ailleurs tenu des propos complaisants avec l’antisémitisme et le négationnisme. C’est là toute l’hypocrisie de la position consistant à dire que l’oeuvre de Ken Loach en elle-même ne parle pas de ses complaisances. Certes mais c’est bien l’homme tout entier, artiste et militant, qui va recevoir les honneurs, pas un de ses films,  sur les podiums , on monte avec ses deux jambes et la médaille pend au dessous d’une tête que l’ULB ne va pas couper en deux.

Et ce n’est pas tout: en niant totalement ces propos , en ne les évoquant même pas en un mot dans leur réponse, l’ULB fait exactement la même chose que Ken Loach:  nier l’existence de l’antisémitisme et faire comme si sa dénonciation n’était qu’une manoeuvre et une dissimulation pour défendre la politique israélienne . Au passage, cela revient aussi à assimiler encore une fois la lutte contre l’oppression faite aux Palestiniens, à des positions qui n’ont absolument rien à voir avec ça: la complaisance avec le négationnisme ou les théories conspirationnistes sur le sionisme et le génocide commis par les nazis sont aussi combattues par des militantEs pour les droits des Palestiniens, qui n’entendent pas opposer les luttes contre les racismes.

La suite est malheureusement prévisible: la sphère antisémite comme la sphère islamophobe   bruissent déjà de la polémique et s’en réjouissent , tant elle attisera les divisions habituelles qui plombent les luttes nécessaires contre tous les racismes.

Tout cela au nom de la célébration “des diversités”. Triste mascarade.

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