"Je n'ai pas vécu la liberté, mais je l'ai écrite sur les murs" (la révolution syrienne)

De la fierté et de l’humiliation

in Féminisme/Instants by

Depuis plusieurs jours, plusieurs semaines, je tournais autour d’un point sur lequel je ne parvenais pas à mettre le doigt.
C’est au cours d’une conversation entourée de mes camarades, que j’ai trouvé le lien. Une de mes amies prononça au milieu de nos débats, le mot fierté.
….

Acte 1

Il y eut d’abord ces femmes sur les ronds-points. Ces femmes de la petite commune où je vis. Ces femmes qui se lèvent plus tôt qu’habituellement, mères de familles et femmes qui travaillent, déjà aux prises avec la double journée. Ces femmes qui du jour au lendemain perdent des heures de sommeil, de temps pour elles-mêmes (déjà très réduit), pour avant ou après leur travail, se placer sur des ronds-points. Et ce fait là, m’impressionne.

On m’a dit plusieurs fois qu’en ne m’associant pas aux GJ, je marquais mon mépris de classe. De petite bobo. J’ai exprimé que cet argument était fallacieux pour plusieurs raisons, mais j’en avais occulté une.

Le mépris je le connais. Je le fréquente chaque jour de ma vie. Il ne se passe pas 24h sans qu’un homme ne veuille me montrer que lui sait, que lui peut parler, m’interrompre, mecspliquer sur les sujets qui relèvent de mon domaine de compétence. Il ne se passe pas 24h sans qu’un homme au milieu de 1000 ne fasse pas preuve d’un « ma petite », ou ne s’adresse à moi comme si j’étais sa secrétaire (métier pour lequel je n’ai aucun mépris, mais si l’on m’exhorte à le faire, que l’on me paye, que l’on ne pense pas que je suis là pour être fière de servir « l’homme » en demande de soin / renseignements / pédagogie / attention / etc. de façon gratuite en toutes circonstances avec eux tous, par devoir de mon genre.)

La fierté donc.
La fierté de ces femmes sur les ronds-points.
La fierté de ces femmes qui investissent un espace géographique urbain très connoté.
Bagnoles/bruit/vitesse.
Un espace viril.

Est-il besoin de rappeler les études réalisées sur la place et l’occupation des femmes dans l’espace public ? Les lieux qu’elles s’interdisent ? Les horaires auxquels elles cessent de se déplacer ? Est-il besoin de rappeler que le territoire est celui des hommes ?
Toute femme le sait et très tôt.

Or voilà, ces femmes sur les ronds-points ont pris un lieu qui était a priori non culturellement/societalement reconnu comme le leur. Elles se le sont approprié.
Et je comprends cette fierté.

Je la comprends et je l’entends et je veux qu’elles sachent comme je suis impressionnée.
Alors on va me dire « mais pourquoi tu ne t’associes pas à ces femmes ? »
Parce que la fierté a un prix.

La fierté de réinvestir des lieux, des activités, des désirs perçus comme masculins dans notre système patriarcal a un seul et unique prix: qu’elle ne se fasse jamais au détriment d’autrui, qu’elle ne se mette pas en contrechamp de l’humiliation que l’on ferait subir à son tour.
On ne peut devenir fier en humiliant.

Marcher aux côtés de certains groupes dans les manifestations de GJ, c’est accepter de participer à une volonté d’humiliation d’autres groupes.
Être une femme fière, cela ne peut se faire au détriment d’autres minorités.
Je ne peux pas être fière de la femme qui se réapproprie pas à pas son autonomie, son indépendance, sa force, sa volonté et son désir, si c’est pour écraser en retour les femmes qui auraient moins de facilités d’accès à cela.

Je n’irai pas taper sur la femme racisée.
Je n’irai pas taper sur mes sœurs LGBT.
Je n’aurai pas l’outrecuidance de dire aux femmes de classes sociales moins favorisées « attendez je vais vous apprendre à parler » (Coucou Édouard Louis…).

Et être femme sur un rond-point, cela ne peut pas se faire au détriment d’autres sœurs dont les groupuscules d’extrême droite, parce que pas assez blanches ou catholiques ou bien nommées bien de chez nous, n’ont qu’un souhait: qu’elles restent surtout bien à leur place de dominées des dominés.

Voilà pourquoi malgré cette reconnaissance d’une force et d’une volonté des femmes GJ, je ne puis en aucun cas m’associer à elles en l’état.

Parce que la fierté est dans la sororité.
Jamais dans l’humiliation.

….

Acte 2

Je suis, pour des raisons de militantisme féministe général, de proximité professionnelle et de liens affectifs maintenant, de très près l’affaire Marsault et le procès qui a eu lieu vendredi 7 décembre.

Fierté et humiliation.

Je lis, entends, scrute, et tente d’analyser.
Marsault se présente avec de nombreuses failles. On pourrait les toucher du doigt. On peut se sentir ému•e de ses blessures.

On pourrait – Je pourrais ! finir par dire « d’accord garçon, tu as mal, je sais les pansements. »
Mais heureusement toutes les lumières de cette autodéfense développée pour ma propre survie au fil des années, me lance des alertes: danger.

Cet homme est un adulte responsable.
En pleine capacité.
Il est bien intégré socialement.
Il a agi de façon lâche, violente, agressive.
Il a réitéré.
Il n’éprouve pas de remords.
Il est bien embêté, il a fait une connerie et contre toute attente, il y a la justice qui s’en mêle.

C’est pas rien un procès.
C’est déjà un rappel au contrat social.
Ce que dans une société donnée nous pouvons faire ou non.
Le vivre ensemble.
Forgé pendant des siècles sur des textes de lois.
C’est imparfait.
Mais c’est apparemment ce que nous avons trouvé de mieux.

Ce que nous dit Marsault en filigrane, c’est qu’il fut humilié, lui aussi.
Il vient et porte son histoire dans une cour de justice.
De là où il est né, son milieu social et puis de l’intime de sa famille.
Je ne doute pas un instant des cicatrices.

Alors il a voulu se réapproprier sa fierté, par son travail et sa volonté.

Marsault aurait pu rencontrer notre chemin à mes camarades et moi.
Mais nous n’étions pas là.
Notre camp a failli depuis longtemps.
Nous nous sommes laissés infiltrer par des relents, des remugles bruns.
Nous avons laissé Marsault et des milliers d’autres qui humiliés, avaient besoin du regard d’autrui pour acquérir cette fierté.

En n’étant pas là, nous la gauche, perdue dans ses luttes intestines, nous avons laissé une brèche dans laquelle s’est engouffré le pire.
La gangrène.
Le mensonge.

Marsault est un adulte responsable.
Il pouvait dire non. Après des tentatives échouées d’intégrer une certaine presse il aurait pu entendre pourquoi on ne voulait pas de son travail.
Il aurait pu choisir d’y apporter une autre couleur.
Mais il a préféré les sirènes de mon acte 3.

Celles qui le poussèrent à humilier à son tour, sans limite aucune, comme si cela était capable de réparer et apaiser.

Or, comme pour les femmes GJ, la fierté individuelle ne peut se construire sur l’humiliation d’autres.

….

Acte 3

Il était une fois un éditeur et ses auteurs vedettes.
Il était une fois ces hommes.
Je ne connais pas leurs histoires personnelles.
Mais je sais ce qu’ils laissent aujourd’hui sur leur passage.

Le rire mortifère des humiliations.

Le virilisme.
L’extrême droite derrière chacun de leurs pas.
La jouissance de la souffrance des plus faibles.
La jouissance de l’écrasement d’autrui.

Ils se prennent un peu pour les cavaliers de l’apocalypse.

Ils ne sont que des petits hommes.
Tout-petits hommes.
Qui jouent aux pyromanes en titillant les blessures, en lançant des meutes sur un ou une seule, en se comportant en petits faiseurs et défaiseurs de royaumes où ne règnent que la jalousie, l’envie (et non le désir qui donne lieu à de si grandes et belles merveilles), la colère des impuissants et des frustrés qui pour essayer de s’apaiser tapent sur tout ce qui pourrait être plus fragile qu’eux.

Ce qui est faux.

Leur seule force est leur nombre.
Mais un jour face à deux meufs ils ont dû s’incliner.

Imaginez si nous étions nombreuses et nombreux face à eux.
Alors ces petits hommes vampires, qu’ils sachent que dorénavant je serai sur leurs chemins, avec mes amies, sur les lieux où ils sèment leurs ambiances délétères.

Qu’ils sachent que si je m’y trouve c’est bien parce que j’ai de mon côté choisi la fierté du partage et de la sororité, en toutes choses, quand ils ne savent que jouir des humiliations qu’ils provoquent.
À chacun et chacune sa jouissance. Ce que j’aime c’est le soleil. Je les laisse dans leurs ombres mais je me battrai pour qu’ils ne les étendent plus davantage.

La facilité mortifère je la fréquente de près et je sais ô combien elle est attirante et dévastatrice. Les pulsions de violence et de mort, d’apocalypse, ces esthétiques qui ne sont pas des jouets dans un monde réel, je les vois et je sais leurs dangers.
Ce sont des leurres.

Ici j’ai trouvé d’autres rayons de soleil, tout aussi perdus et inquiets que moi. D’autres petites parcelles d’espoir et de vie.

Je m’y suis agrégée car ne croyant jamais en rien par superstition-athée, je pense qu’en ces lieux, avec ces personnalités et ces parcours si divers, avec ces affections politiques variées, une chose nous a rassemblé•es : la certitude que nous ne pouvons pas céder aux sirènes du compromis sur des sujets aussi graves que le fascisme.

Si les femmes des ronds-points souhaitent nous rejoindre, nous leur ferons bon accueil. Et parallèlement, nous tenterons de ne pas détourner les yeux devant des petits Camille afin d’éviter des armées de Marsault. La fierté de la gauche se trouve sur ces chemins. Sans compromissions.

….

À mes enfants – boxeuse et boxeurs – qui êtes ma fierté et que je tente par tous mes moyens de ne jamais humilier:

Soyez convaincus d’une chose, j’ai aussi enfilé mes gants, prête à investir et combattre sur un Ring.

Militante féministe, Autrice de bande dessinée, Docteure en Histoire https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01246549/document?

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